Entre le cinéma et Silvio Berlusconi, ce ne fut pas une belle histoire d’amour, loin s’en faut. Homme politique autant que de médias, le Cavaliere ne s’est pas fait que des amis dans le septième art et certains réalisateurs le lui ont bien rendu.
Federico Fellini
Le réalisateur Federico Fellini est l’un des plus grands cinéastes européens. Ses films ont parcouru le monde entier, glané des récompenses prestigieuses et sont devenus des classiques, La Dolce Vita et La Strada en tête. Mais l’arrivée de Silvio Berlusconi, qui se fait déjà surnommer le Cavaliere, en tant que président des chaînes principales de télévision italienne Canale 5, Italia 1 et Rete 4, ne passe pas. Le magnat des médias appauvrit les programmes culturels, coupe les films par de longs écrans publicitaires et de nombreux intellectuels commencent à s’insurger, Fellini en tête.
Ce dernier décide de réaliser un film pamphlétaire contre Berlusconi. Ce sera Ginger et Fred avec Giulietta Masina et Marcello Mastroianni, qui interprètent deux acteurs-danseurs se retrouvant dans une émission de télévision, trente ans après leur dernière prestation ensemble. Le programme appartient d’ailleurs à un certain Cavalier Fulvio Lombardoni. Le film fait polémique. Berlusconi tente de le faire interdire et on va jusqu’au procès, que perd le réalisateur. Mais cela aura permis par la suite à la loi italienne de faire modérer le nombre de publicités à la télévision. Égalité, balle au centre.
Nanni Moretti
Depuis qu’il fait du cinéma, Nanni Moretti a remporté des prix à la Mostra de Venise (Sogni d’oro), au Festival de Berlin (La messe est finie), au Festival de Cannes (Prix de la mise en scène pour Journal intime et Palme d’or pour La Chambre du fils), mais son grand film reste à ce jour, très certainement, Le Caïman. Sorti en 2006, il raconte l’histoire de Bruno Bonomo, producteur de films bas de gamme, décidant de se lancer dans un long-métrage de grande ampleur : un biopic sur Berlusconi. Mais rien ne va se passer comme prévu, d’autant que l’ombre du Cavaliere semble planer au-dessus du tournage. Un film à charge contre l’homme politique, que Moretti incarne d’ailleurs physiquement lors d’une scène finale éblouissante. Le Caïman sera un succès et obtiendra six David di Donatello Awards, l’équivalent italien de nos César. C’est aussi le signe que l’influence du Cavaliere commence à faiblir.
Paolo Sorrentino
Enfant terrible du cinéma italien, Paolo Sorrentino n’a jamais pu s’assagir et éblouit les écrans de ses scènes esthétiques, festives, transgressives et métaphysiques. Après le triplé gagnant Il divo, La grande bellezza et Youth, il se lance dans un portrait de Berlusconi balançant entre hagiographie comique et satire sulfureuse. Silvio et les autres a été coupé en deux parties de deux heures de l’autre côté des Alpes, mais en France, il fut ramené à un unique film de plus de trois heures. Berlusconi met d’ailleurs du temps à apparaître. Tout tourne au début autour du personnage de Sergio Morra, alias Riccardo Scamarcio, entrepreneur prêt à tout pour réussir et approcher le Cavaliere. Mais lorsque ce dernier se montre enfin, on ne voit plus que lui. Il faut dire qu’il est parfaitement incarné par Toni Servillo, acteur fétiche de Sorrentino qui offre ici une prestation tout en subtil cabotinage. Impossible d’oublier cette scène dantesque où il prend son téléphone pour vendre, au milieu de la nuit, un produit inutile à une ménagère qui n’en a pas besoin. Histoire de montrer que le Cavaliere n’aura été que ça : un éblouissant vendeur de rêves.