Parue en 1844 dans le journal Le Siècle, les Trois Mousquetaires obtient un succès phénoménal. Il a été rapidement imprimé en roman pour satisfaire tous les lecteurs avides d’intrigues et d’action ! Alexandre Dumas y raconte les aventures de quatre soldats du roi qui défendent l’honneur de la reine Anne d’Autriche. Pour accomplir leur mission, ils devront mettre en déroute l’espionne du cardinal de Richelieu, la figure absolue du mal et de la vengeance : la mystérieuse Milady de Winter.
Un personnage inventé de toutes pièces
A la différence de d’Artagnan et des trois autres mousquetaires, tous inspirés directement de personnages historiques réels, Milady de Winter sort tout droit de l’imagination d’Alexandre Dumas. Cousine éloignée de Salomé, de Circé, de Mata Hari ou de Manon Lescaut, Dumas a insufflé à son être de papier les attributs funestes de chacune de ces créatures maléfiques, faisant d’elle tout à la fois une sorcière, une espionne et une femme fatale. Pour parfaire son être diabolique, l’écrivain des « Trois Mousquetaires » lui aurait ajouté quelques caractéristiques de Lucy Hay, comtesse anglaise de Carlisle, qui avait intrigué à la cour de Charles Ier au XVIIème siècle. Connue pour avoir été un agent double, cette belle et mystérieuse aristocrate devient aussi bien la confidente de la reine Henriette Marie de France que la maîtresse de nobles opposants à Charles Ier. Ses machinations la conduiront à son emprisonnement dans la Tour de Londres, d’où elle sera finalement libérée.
Milady de Winter, quant à elle, ne jouera qu’un seul jeu, le sien, même si elle apparaît bien souvent comme le jouet de Richelieu. Toutefois, la succession de multiples identités l’apparente à ces femmes sournoises, réelles ou imaginaires qui n’ont eu de cesse de tromper leur monde. Quelques noms pour s’y retrouver. Elle naît Anne de Breuil et devient la Comtesse de la Fère après son mariage avec le Comte de la Fère, qui se révèlera être le mousquetaire Athos. Elle prendra enfin plusieurs noms suite à son mariage avec Lord de Winter et se fera tour à tour appeler Charlotte Backson, Lady Clarick ou Milady de Winter.
L’essence de la femme fatale
Décrite comme une femme habile, experte en stratégie et opiniâtre, Milady jaillit dans le roman comme une sorte de réincarnation d’Athéna ou d’amazone. Arborant fièrement ces attributs plus communément masculins, elle est la seule adversaire à pouvoir rivaliser avec les Mousquetaires les plus braves. Qui plus est, elle dispose d’atouts plus spécifiquement féminins comme sa beauté ensorcelante et la séduction qu’elle exerce sur les hommes.
Déterminée à mater ses ennemis, elle peut compter d’abord sur sa beauté. En effet, les charmes de Milady semblent aussi puissants que l’envoûtement des magiciennes. Elle connaît son pouvoir de séduction qui lui permet d’instrumentaliser et de pervertir ses adversaires. Mais Milady n’est pas simplement belle. Elle est intelligente et sa virtuosité, alliée à ses charmes, fait d’elle une perfide sirène, un écueil où vont se briser les âmes frêles des hommes.
Brûlée par l’ambition, insensible, impitoyable, elle écrase quiconque se met en travers de son chemin. Véritable anti-héroïne, elle fait figure de génie du mal et met tout son cœur à soumettre les autres à sa propre volonté. Souvent rapprochée de la figure sournoise du serpent, elle fait sourdre ainsi l’image la femme tentatrice. Double d’Eve ou de Mélusine la femme-serpent, elle hypnotise sa proie pour mieux l’étouffer. Il n’en fallait pas moins pour se hisser à la hauteur du courage et des vertus quasi-divines de nos braves mousquetaires, d’Artagnan en tête ! Capable de tout, y compris de tuer, aussi dangereuse que la veuve noire, sorte de Beatrix Kiddo avant l’heure (la charismatique tueuse de « Kill Bill »), elle vient, par ses actes méprisables, se cogner aux valeurs patriotes et solidaires des mousquetaires. Un combat au final ancestral et universel, celui du Bien contre le mal.
Une femme au passé trouble
Mais pourquoi Milady est-elle si mauvaise ? Pas méchante, mauvaise. C’est-à-dire qu’elle a conscience de faire le mal et le fait quand même. Sans éprouver aucun remord. Que renferme son passé ? Qu’a-t-elle vécu de si terrible pour en être arrivée là ?
C’est au fil du roman que l’obscur passé de Milady est révélé à d’Artagnan et au lecteur. A l’occasion de confidences hasardeuses. La première est livrée par un Athos sous l’emprise de l’alcool, tandis que le bourreau de Lille se charge de la suite du récit du destin funeste de Milady. On apprend ainsi petit à petit les drames qui ont parcouru la vie de cette petite orpheline, abandonnée de tous, sans famille ni ami, qui grandit dans un couvent. Pour s’échapper de cette prison monacale, elle séduit un prête et s’enfuit avec lui. Mais c’est là que son côté masculin frappe pour la première fois puis qu’à l’instar de Thésée ou de Jason, héros sauvé par une femme gorgée d’amour, elle abandonne son libérateur qui se retrouve, telle Ariane ou Médée, seul face à son malheur et se suicide. La vengeance viendra de la main du frère de ce prêtre déchu : elle est marquée par lui d’une fleur de lys, le signe des femmes perdues ! Plus tard, alors qu’elle a épousé le Comte de la Fère (Athos), ce dernier sombrera dans la rage et la folie quand il découvrira la marque infamant à l’épaule de son épouse. Fou de douleur, il rejoindra le régiment des mousquetaires et ordonnera que son indigne épouse soit pendue.
Mais Milady survit miraculeusement à sa pendaison et s’enfuit. Elle jette alors son dévolu et ses charmes sur le pauvre lord Winter. L’intrigante, qui ne va pas voler son surnom de veuve noire, l’empoisonne tout simplement pour hériter de sa fortune. C’est ainsi qu’elle accède à l’indépendance et la richesse. Son amour de l’argent et du pouvoir la met logiquement sur le chemin de Richelieu, auquel elle va proposer ses déloyaux services.
Le ressort de l’intrigue romanesque
Un tel personnage, au passé si accidenté et au caractère si inébranlable est un moteur fantastique pour les intrigues et les rebondissements du roman. Et la mettre au service de Richelieu, ce cardinal diabolique et sans pitié, est la meilleure idée qu’ait eu Alexandre Dumas. A eux deux ils forment un duo démoniaque, deux âmes damnées au cœur de pierre. Dès le début du roman, l’intrigante exécute diverses missions malfaisantes au service de Richelieu mais son venin se déchainera à l’occasion de la vendetta du cardinal contre la reine Anne d’Autriche. Le but de Richelieu ? Faire tomber la reine et prouver à tous, mais surtout au roi, son infidélité et sa liaison avec le duc de Buckingham. Rien de plus facile pour Milady qui subtilise les ferrets que la reine avait offerts en gage d’amour au duc. Mais c’est sans compter les mousquetaire et l’habileté et la hargne de d’Artagnan, tout entier acquis à la cause de la reine. De nombreux rebondissements s’ensuivent et donnent lieu aux pages les plus enlevées de la littérature épique. La virtuosité de Milady confinera au génie lorsqu’elle parviendra à faire plier John Felton, réputé incorruptible. Sorte de Shéhérazade maléfique, c’est grâce à un somptueux mélange de séduction charnelle, de manipulation psychologique et à son talent de conteuse magnétique qu’elle arme la main de l’anglais puritain contre le duc de Buckingham, homme à abattre.
La fin sordide de la vie de Milady est à la hauteur de son effroyable existence. Après de nombreux et terribles forfaits, elle parvient à fuir. Mais Athos la poursuit et la rattrape. Les mousquetaires organisent un tribunal clandestin et Milady est jugée et condamnée à mort. Plus rien ne la sauvera. Le temps de rappeler ses crimes odieux et ses monstrueux méfaits et on la décapite.
Milady à l’écran
Quel visage donner à cet être qui inspire si bien la terreur et la pitié, à cette incarnation parfaite de l’héroïne tragique ? Les centaines d’adaptations au cinéma et pour la télévision en ont proposé bien des variantes, plus ou moins convaincantes. En voici quelques-unes parmi les plus inoubliables !
Lana Turner dans « Les Trois Mousquetaires » de George Sidney prête, en 1948, son glamour et son regard vénéneux à une Milady piquante à souhait. Icône de la femme fatale, celle qui a marqué à jamais les esprits avec son rôle sulfureux dans « Le facteur sonne toujours deux fois » se glisse avec beaucoup de naturel et de magnétisme maléfique dans la peau de la belle espionne aux côtés d’un Gene Kelly en élégant et fier d’Artagnan. Mylène Demongeot, quant à elle, représente le charme et la perfidie à la française dans « Les Trois Mousquetaires » de Bernard Borderie, réalisé en 1961, qui comptera parmi les versions les plus populaires de ce roman d’aventures exaltant.
De l’autre côté de l’Atlantique, où l’industrie cinématographique se montre friande de ce genre d’aventures rocambolesques et de production grand public, Faye Dunaway incarne avec une élégance singulière et une froideur glaçante une parfaite Milady. On est en 1973 et c’est Richard Lester qui s’attaque au roman de Dumas en proposant sa vision de l’univers de l’écrivain français dans « Les Trois mousquetaires » et « On l’appelait Milady ».
Plus près de nous, c’est Eva Green dans « Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan » de Martin Bourboulon qui offre ses traits à la démoniaque héroïne du roman de Dumas. Difficile d’imaginer un casting plus parfait ! Qui mieux que celle qui a été la seule James Bond Girl capable de briser le cœur de l’agent 007 dans « Casino Royale » pour affronter le tonitruant François Civil-d’Artagnan ? Ses rôles de femmes fortes, complexes et torturées, l’avaient parfaitement destinée à incarner la sublime espionne du cardinal Richelieu. L’actrice française campe ainsi une Milady belliqueuse et plus que jamais caméléon, portée par un viscéral désir de vengeance.