Le dernier album sorti par les Daft Punk, Random Access Memories, est réédité en 2023. Un disque qui devait marquer l’aboutissement du geste artistique orchestré par le duo français : après avoir révolutionné la house music en samplant nombre de héros et d’anonymes de la disco, du rock FM et du funk, les robots invitaient ces mêmes musiciens à jouer avec eux. Retour sur l’histoire du sampling chez Daft Punk.
Daft Punk : une musique de diggers
La musique de Daft Punk est-elle roulée à la main sous l’aisselle ? C’est ce que pourrait affirmer certains, en faisant la connexion entre deux titres parus aux extrémités de la carrière du groupe (le single Around The World sorti en 1997 et l’immense succès Get Lucky 16 ans plus tard) avec un morceau de Vladimir Cosma, baptisé Monsieur Prescovic, instrumental tiré de la b.o. du Père Noël est une ordure. On a peine à croire que la bande originale d’un film culte des années 1980 ait pu à ce point influencer deux des musiciens les plus branchés et innovateurs de ces trente dernières années.
Et pourtant, c’est tout à faire l’esprit du duo parisien, né en 1993 après un premier projet commun à Guy-Manuel de Homem-Christo et Thomas Bangalter (le groupe shoegaze Darlin’) puis une attention particulière des deux hommes à la scène house et techno, alors en pleine explosion en Angleterre. Les deux amis sont déjà des fous de musique. Et si Thomas Bangalter a naturellement baigné dans la disco dès son enfance (son père Daniel Vangarde a produit des artistes comme Ottawan et les Gibson Brothers) son comparse n’est pas en reste, lui qui adore les œuvres retro, qu’elles soient musicales ou filmiques.
Surtout, les Daft Punk s’insinuent dans un genre, la house, qui, comme le hip-hop, utilise la musique « préexistante » pour en créer. Les premiers DJ de rap créaient des boucles autour de quelques breaks de batterie entendus chez James Brown ou Funkadelic. Les beatmakers et les producteurs de house œuvrent dès les années 1980 à l’invention du sampling. En reprenant un bout de mélodie, une ligne de basse, un chant a cappella, l’art de la composition change complètement. Aussi, comme ils l’ont plus ou moins fait avec Monsieur Prescovic, les Daft Punk se mettent en recherche d’éléments sonores présents sur des disques confidentiels, pour s’en inspirer. Ce procédé, le « digging », explique en partie le caractère à la fois familier et innovant de la musique du duo français.
© Mondadori Portfolio
Le sampling : de l’art de triturer les sons
La musique électronique des années 1990 s’inspire évidemment des différentes techniques d’échantillonnage et de superposition que pratiquent les DJ en mixant des morceaux en club ou en rave. Filtres, passe-passe entre deux platines et autre scratching quittent même l’univers des shows éphémères pour être enregistrés sur disque. Dès leurs premières scènes, et alors qu’ils sont encore des DJ anonymes, les Daft Punk démontrent une certaine maîtrise de ces techniques ; Bangalter et Homem-Christo sont ainsi tout à fait capables de boucler un incident technique (comme le bruit d’une prise jack débranchée en « live ») pour allonger un morceau… et faire plaisir aux danseurs !
Sur leur premier album, Homework, les Daft Punk font la part belle à des effets d’amplification de la dynamique, qui rend le son extrêmement percutant, grâce à la « compression ». Et ils l’appliquent à des boucles de batterie issues de vieux titres disco, parfois déjà échantillonnés pour des banques sons de DJ. Ils ajoutent également le vocoder à leur palette, tirant déjà parti du son robotique de cet appareil qui modifie la voix et devient leur marque de fabrique. Autant d’approches qui font le lien entre la musique electro de club et celles que l’on peut écouter à la maison, comme le prouve le succès de titres comme Around the World ou Da Funk.
Sur le disque Discovery, leur approche devient de plus en plus hypnotique : à partir de samples très précis, ils extraient des sonorités inouïes, mélangeant parfois des éléments de onze chansons (Face to Face), ou cachant les crédits des originaux, de manière à brouiller les pistes. Ainsi, en reprenant trois beats disséminés dans l’intro violoneuse du hit disco More Spell On You d’Eddie Johns, les deux compères accélèrent ou ralentissent chaque partie, passent les samples à travers différents effets, et créent le riff diablement efficace d’One More Time. Pourtant, difficile d’entendre comme une évidence la filiation entre les deux morceaux…
Les exemples sont ainsi légion dans l’œuvre de Daft Punk. Mais si la manière de concevoir est fascinante, le résultat final montre que les deux garçons produisent une musique futuriste avec ce qui est vu parfois comme un passé ringard ou daté. Trente ans après son succès, ils contribuent ainsi largement au retour du disco sur le devant de la scène, puisque leur house filtrée s’inspire de ce genre festif et populaire… dans les années 1970.
Un retour aux instruments : quand les samples prennent vie
Si leurs albums Human After All et Tron : Legacy ont vu le duo se frotter à des genres un peu différents – le premier s’inspire du rock pour trouver une nouvelle énergie, le second voit l’electro rencontrer la musique orchestrale – c’est avec Random Access Memories que les Daft Punk s’offrent une sorte de rêve de producteurs. Plutôt en effet que de sampler d’illustres artistes, les deux Français ont pu travailler avec les musiciens de leur rêve en chair et en os. De quoi voir dans les crédits du disque, réédité cette année pour son dixième anniversaire, un who’s who de la musique adorée de Thomas et Guy-Man. Rock FM et b.o seventies (avec Paul Williams sur Beyond, hommage à la bande originale de Phantom of the Paradise), disco/funk (avec la présence du guitariste Nile Rodgers de Chic sur trois titres), electro-disco (Giorgio By Moroder où le légendaire producteur italien raconte ses méthodes)…
Le line-up du disque, auquel s’ajoutent des voix et des instrumentistes modernes (Julian Casablancas des Strokes, Pharrell Williams des Neptunes, Chilly Gonazales et Panda Bear d’Animal Collective), rend compte d’un souhait de présence réelle, plutôt que d’évocation samplée. Le tout a mené à la fabrication d’un immense disque pop, analogique, et quasiment privé d’échantillons… La suite du destin de Daft Punk (le duo est officiellement séparé depuis deux ans) prouve, pour l’heure, leur souhait de rester « dans cette veine », puisque Thomas Bangalter vient de faire paraître la bande originale orchestrale du ballet Mythologies.