2023 : Juliette Armanet fait chanter Les Derniers Jours du disco au public lors de son premier Bercy, Corine publie son deuxième album, et Roisin Murphy s’apprête à faire son grand retour avec DJ Koze. C’est dire si le disco est sur toutes les lèvres, dans la chanson d’ici et dans la pop mondiale. Retour sur un revivalisme récurrent.
Le disco n’est jamais vraiment mort
Donna Summer et les hits signés Giorgio Moroder. Le succès de la bande originale de Saturday Night Fever, transformant les Bee Gees, groupe de pop anglais, en phénomène disco. Les titres Spacer de Sheila et Musique de France Gall… Entre 1973 et 1979, les boules à facettes et les pat’ d’eph’ se retrouvent au hit-parade. Le phénomène est né aux États-Unis, à travers la transformation d’artistes funk en orchestres de discothèque, et l’essor du « Philly Sound », soit l’accélération du rythme de la soul opérée par un trio de producteurs venus de Philadelphie (composé de Leon Huff, Kenny Gamble et Bunny Sigler).
Mais l’âge d’or ne dure qu’un temps. La pop se transforme très vite, et le disco, très critiqué par les milieux conservateurs pour son hédonisme gay et son lien avec les discothèques, jugées comme lieux de perdition, entraîne la marginalisation du mouvement. Pour autant, les années 1980 ne signent pas la mort complète du genre, puisque de grands producteurs de disco comme Nile Rodgers (Chic) contaminent la pop mondiale avec leur groove, ce qui aboutit à la naissance de titres emblématiques comme Let’s Dance de David Bowie ou les premiers tubes de Madonna, comme Papa Don’t Preach.
Dans l’underground aussi, les DJ américains ne délaissent pas la rythmique « four-on-the-floor » (tous les temps marqués à la grosse caisse) propre au disco. Le mouvement Garage (bien documenté dans le livre Le Chant de la machine ou le film Eden), puis la house, et la techno, dans une certaine mesure, donnent au disco des prolongements plus électroniques que dans les seventies. Preuve que le genre ne s’est pas entièrement volatilisé : il a simplement connu une phase de sommeil.
Un revivalisme disco dès les années 2000
À la faveur de différents événements, comme le film Disco en 2008, le succès de Daft Punk, ou les retours scéniques de Kool and the Gang ou d’Earth, Wind and Fire, la nostalgie agit toujours sur les fans de disco. Mais c’est à travers la scène indépendante que le genre a opéré son plus grand come-back esthétique. Dès le milieu des années 2000, une formation comme les Scissor Sisters intégrait la rythmique si particulière du disco à une ambiance ouvertement queer très inspirée des libertés et des tolérances que prônait le genre durant son âge d’or. Leur reprise disco de Pink Floyd (Comfortably Numb), ou leur tube rétro I Don’t Feel Like Dancin’ (présent sur le disque Ta Dah) ont montré la voie. Un courant entier de l’electro-pop s’inspirait du strass disco, et d’excellents artistes devaient s’engouffrer dans la brèche. Les Australiens d’Empire of The Sun, dès le disque Walking On A Dream, ressuscitaient le genre et lui donnaient une aura mondiale. Dans le même temps, des projets indés atteignaient un large public : The Whitest Boy Alive nous introduisait à la néo-disco scandinave (des décennies après Abba) avec les disques Rules et Dreams, avant que Breakbot ne fasse lui aussi la jonction entre inspirations dancefloor et underground avec le disque By Your Side en 2012. Miami Horror pratiquait le même revivalisme avec l’album Illumination, prouvant la nette parenté entre electro-pop et « nu-disco ».
Le disco dans toutes les têtes : années 2010 et au-delà
Un des symboles de la transition entre electro-pop et nu-disco reste Roisin Murphy. L’artiste irlandaise, ex-chanteuse de la formation Moloko, devait dans un premier temps mettre les synthétiseurs dans sa carrière solo, comme en témoignent ses disques des années 2000. Plus récemment, elle a ressuscité toute l’esthétique des seventies avec son album Roisin Machine. Son look exubérant a beaucoup fait pour associé son image aux divas de la grande époque… œuvrant depuis les années 2010 dans un même registre, le duo de producteur The Knocks a fait entrer le disco dans les lives electro où l’EDM était davantage le genre à la mode.
En France, l’héritage disco a toujours été assumé par les grands noms de la French Touch, depuis Daft Punk (qui a ressuscité les cocottes funky et honoré Giorgio Moroder sur leur album Random Access Memories), jusqu’à Justice en passant par Dimitri From Paris. Plus récemment, on a vu des artistes locaux frayer encore plus directement avec le genre, qu’il s’agisse d’Her, de French 79, ou de L’Impératrice, dont le premier succès Vanille Fraise s’appuie sur l’excellent sample de Spoiled By Your Love de la diva disco Anita Ward (la même chanson avait fourni l’ambiance solaire du hit Playa de La Clinique).
Plus récemment, la France a consacré trois chanteuses dont l’inspiration eighties se teintait des rythmiques et de l’attitude disco. Sur son dernier disque, Avec les yeux, Fishbach proposait un mix étonnant entre les inflexions façon Catherine Ringer et le groove hyper dansant du disco. Juliette Armanet, connue au départ pour la formule piano-voix à la Véronique Sanson de ses premiers titres, a progressivement fait du son dansant des seventies sa marque de fabrique, sur des singles aussi emblématiques que Flamme ou Le Dernier jour du disco (Brûler le Feu 2). Enfin, Clara Luciani, de ses arrangements de cordes à ses choix rythmiques, incarne à merveille ce goût de la pop française (et mondiale, cf. The Weeknd) moderne pour la disco et la new-wave. Et ça marche, comme l’atteste encore le succès énorme de Cœur Encore.
Plébiscitée par le milieu de la mode et les soirées branchées depuis son disque Un air de fête en 2019, Corine accomplit elle aussi le voyage dans le temps. Son imposante choucroute, ses titres festifs et lascifs (Pourquoi pourquoi, Il fait chaud), ses prestations énergiques rappellent le caractère organique et accessible du disco. Son deuxième album, R, prolonge l’esthétique rétro du projet, l’un des meilleurs représentants du revivalisme actuel.