N’est-il pas unique d’assister à la sortie simultanée des deux séries les plus attendues par les fans de fantasy ? C’est pourtant bel et bien le cas avec les prequels de Game of Thrones et du Seigneur des Anneaux. Cependant, le plus intéressant à regarder, outre les séries elles-mêmes, sont les parallèles effectués entre les deux productions sur la manière dont elles utilisent et mettent en image ce genre.
Concurrence et premières tentatives
Les séries de medieval fantasy Game of Thrones : House of the Dragon et Le Seigneur des Anneaux : Les Anneaux de pouvoir, respectivement sorties le 21 août et le 2 septembre 2022, se sont livrées un duel indirect à chaque parution d’un nouvel épisode. Bien qu’il ne s’agisse la plupart du temps que de simples critiques ou commentaires twitter de la part des spectateurs, phénomène inhérent à ce type de superproduction, cette rivalité illustre toutefois les divergences occasionnées par deux propositions distinctes d’un univers de fantasy.
Depuis la trilogie de Peter Jackson, Le Seigneur des Anneaux faisait office de principale référence en termes de représentation d’un univers de fantasy sur les écrans. D’autres adaptations plus anciennes avaient elles aussi apporté leur caractérisation de la fantasy, à l’image de Conan le Barbare en 1982, Willow en 1988, Cœur de Dragon en 1996, ou encore l’adaptation des tomes de l’œuvre de C. S. Lewis en 2005 avec Le Monde de Narnia. Cependant, aucune n’a réussi à imposer sa représentation de manière aussi importante que ne l’a fait le travail de Peter Jackson. Ce n’est que depuis 2011, avec l’arrivée et le succès mondial de la série Game of Thrones sur la plateforme HBO, que le grand public a découvert et porté une nouvelle version d’un univers de fantasy. Une version qui est enfin parvenue à s’imposer aux côtés de la trilogie culte.
Deux représentations qui règnent en maître sur la fantasy
Game of Thrones n’a en réalité que peu de points communs avec Le Seigneur des Anneaux dans son traitement de la fantasy, l’univers se veut bien plus sombre, poisseux, cruel, mais surtout réaliste et violent. Contrairement au Seigneur des Anneaux qui illustre une fantasy que nous pouvons qualifier de « noble », avec une esthétique extrêmement soignée dans les moindres détails, dépourvue de réalisme cynique, d’enjeux politiques ou de violence exacerbée.
De cette opposition nait la rivalité entre les deux séries actuelles que sont House of the Dragon et The Rings of Power, car l’univers de la Terre du milieu vient directement affronter son principal concurrent sur son support de prédilection, à savoir la série TV. Il était inimaginable que les deux projets n’entrent pas en conflit au sein des deux communautés de fans. Entre les partisans d’une fantasy réaliste, et ceux d’une fantasy plus noble. Sachant qu’entre-temps, d’autres univers médiévaux fantastiques ont fait leur apparition, comme Warcraft : le commencement en 2016 ou plus récemment la série The Witcher qui a également tenté d’apporter un monde de fantasy à cheval entre la brutalité de Game of Thrones et l’esthétisme du Seigneur des Anneaux. Le public s’est donc cultivé, voire formé, aux univers de fantasy depuis quelques années. En particulier grâce à Game of Thrones qui a, pour ainsi dire, démocratisé un nouveau type de fantasy dans le monde entier. Rappelons qu’en 2019, la dernière saison du show de HBO avait provoqué un engouement encore jamais vu pour une série télévisée, avec plus de 17,4 millions de téléspectateurs pour son premier épisode.
Une opposition prévisible…
De ce fait, il était inévitable que les deux séries, sortant presque en même temps, ne soient mises en confrontation, aussi bien par le public que par les plateformes de streaming. Si le public a attendu quelques épisodes avant de comparer les deux séries, les plateformes se sont empressées de verser les premiers sangs à grand renfort de chiffres d’audience et de minutes visionnées. Amazon Prime s’est en effet targué, dès la sortie de son premier épisode, d’avoir obtenu un record de 1,3 milliard de minutes visionnées, tandis que House of the Dragon, n’a atteint « que » les 781 millions. Toutefois, au-delà des chiffres et des fanfaronnades des diffuseurs, les critiques du public se focalisent sur d’autres points bien plus constructifs et révélateurs de ce que doit être un univers de fantasy aujourd’hui.
… mais constructive
Au fil des épisodes, la série d’Amazon Prime a accumulé diverses critiques au sujet de son rythme, de ses personnages, de sa structure ou de ses pivots narratifs jugés tantôt incohérents, tantôt inconséquents. Des points autrement plus techniques et intéressants que de simples bagarres de chiffres. Tandis que cette fois, la série House of The Dragon, bien que moins chère et moins visionnée, obtient un succès d’estime bien supérieur à celui de sa rivale. Le public vante la minutie d’écriture et de développement de personnages d’une qualité, semble-t-il, bien plus qualitative que dans The Rings of Power, qui pâtît cette fois de l’aspect noble et plus posé et l’univers de Tolkien, agrémentée de l’imagerie et du rythme hérité de l’adaptation de Peter Jackson qui sied mal au format série TV.
House of the Dragon, quant à elle, conserve la finesse d’écriture et son savoir-faire en termes de rythme et d’intensité narrative de l’intrigue ayant fait le succès de la série mère. La production de HBO semble ainsi privilégier le fond à la forme, qui demeure néanmoins plus que remarquable pour une série TV (Le budget de House of The Dragon étant de 200 millions de dollars), contrairement à The Rings of Power où le public critique l’excédent mis sur la forme plutôt que sur le fond. La faute au budget considérable de 500 millions de dollars investis dans la réalisation de la série, le plus important à ce jour, qui a poussé les principaux détracteurs de la série à accuser la finalité purement mercantile du projet. Une critique dont les showrunners se défendent dans un portrait dressé par le Hollywood Reporter : « Un truc qui est très difficile à entendre, c’est la critique cynique selon laquelle on fait tout ça pour l’argent ! Mais tellement pas ! Au contraire. C’est la production la plus intègre qui soit. Ce n’est pas un job pour se faire du pognon. Pour personne au sein de l’équipe. C’est un travail d’amour ! ».
La dualité entre ces deux séries met ainsi en lumière la rupture entre deux visions de la fantasy issues des univers de Tolkien et R.R Martin. Une rupture qui survient après une décennie entière de monopole par Le Seigneur des Anneaux.
Bien entendu, il faut savoir raison garder au sujet de cette rivalité sérielle. Les critiques vont certes bon train de part et d’autre, mais la majorité silencieuse du public apprécie, à n’en point douter, les deux séries pour ce qu’elles ont à proposer de différent dans leurs univers respectifs. Il est cependant intéressant d’observer la comparaison entre deux propositions et la scission qui s’opère au sein du public, ce qui semblait impensable au cours des années 2000 tant Le Seigneur des Anneaux occupait une place hégémonique dans le monde de la fantasy.