Décryptage

Aux origines du grunge

15 mars 2022
Par Mathieu M.
Aux origines du grunge

Associée pour l’éternité à la ville de Seattle et à Nirvana, la scène grunge représente l’une des dernières révolutions musicales du XXe siècle. Ce mois-ci, la sortie de rearviewmirror de Pearl Jam, le best of de l’autre groupe culte du genre, nous permet de nous replonger dans l’Histoire de ce courant né dans un moment trouble à la fin des années 1980.

Associée pour l’éternité à la ville de Seattle et à Nirvana, la scène grunge représente l’une des dernières révolutions musicales du XXe siècle. La réédition de rearviewmirror de Pearl Jam, le best-of de l’autre groupe culte du genre, nous permet de nous replonger dans l’Histoire de ce courant né dans un moment trouble à la fin des années 1980.

Le grunge, né de quelques influences hardcore

Gluey Porch TreatmentsEn 1983, « King Buzzo », accompagné du batteur Dale Crover, fonde l’improbable groupe des Melvins. En cette époque où triomphe la pop synthétique et le métal, les deux garçons d’Aberdeen, dans l’État de Washington, au nord-ouest des États-Unis, décident de jouer du punk hardcore, mais de manière extrêmement lente. Ce tempo lourd a une grande influence sur les quelques privilégiés qui voient le duo débuter, notamment un certain Kurt Cobain.

OzmaCe jeune garçon aux cheveux blonds traîne ses guêtres et sa mélancolie anxieuse dans la banlieue de Seattle. Il prend quelques cours de guitare auprès de King Buzzo, et donne même des coups de main pour porter le matériel des Melvins. Surtout, Kurt Cobain, comme d’autres aspirants musiciens de la région, apprécie peu à peu le son lourd, destroy, désespéré, du rock alternatif américain d’alors.

MudhoneyDans le sillage du punk, un certain nombre de formations font florès depuis le début des années 1980. Messages politiques forts, violence musicale et attitude profondément rebelle les accompagnent : les membres du mouvement hardcore représentent le summum de la contre-culture, en s’opposant aux modèles dominants la société yankee, à savoir les anciens hippies et les « yuppies » de l’ère Reagan.

God's Balls Edition DeluxeÀ Seattle, les jeunes prolos, sans horizon autre que les travaux manuels payés une misère, se cherchent un absolu dans la création. Habillés en guenille (chemises de bucheron achetées en fripes, jeans déchirés jusqu’à la fibre, bonnets dépareillés), ils passent leur frustration et leur rage en jouant le plus fort possible, sans grimacer au moindre larsen, en cultivant un certain nihilisme musical. Influencés par le caractère provocateur du Velvet Underground ou des nouveaux venus Pixies, par le son lourd du hardcore, par Black Sabbath, par les albums électriques de Neil Young (Re-ac-tor, Live Rust), ils forment rapidement les premiers groupes « grunge » – une appellation a posteriori qui désigne en argot la crasse accumulée entre les orteils – que seront Mudhoney, Tad, Soundgarden, Nirvana et Green River.

Le grunge, la musique de Seattle

Rehab Doll Loser EditionComme on peut le voir dans la comédie rock Singles, la jeunesse de Seattle dans son ensemble a fait bon accueil à la scène qui s’est montée dans les bars de la ville. Quantité de petits groupes répétant dans d’immondes garages, entre deux factions à l’atelier ou chez un artisan, ont bénéficié de la création de médias locaux, comme la radio alternative KAOS, des fanzines, mais aussi de labels. Ils ont ainsi pu enregistrer leur musique, souvent avec très peu de moyens.

Ultramega Ok Edition DeluxeDans ce bouleversement de la fin des eighties, Seattle accouche d’une structure fabuleuse : Sub Pop. Créé par un journaliste visionnaire, Bruce Pavitt, et un organisateur de concert au nez creux, Jonathan Poneman, le label perce grâce à une compilation où figurent des étoiles montantes de la scène indé de tout le pays, comme Savage Republic ou Sonic Youth. Puis ils signent les premiers groupes grunge : Soundgarden y sort Hunted Down, Green River Together We’ll Never, Mudhoney Touch Me I’m Sick. Point commun de ces singles ? Un son qui semble « proche » de l’auditeur, où les artistes témoignent davantage d’un sacré sens de la débrouille que d’une avalanche de moyens.

BleachEn 1988, Nirvana y fait paraître Love Buzz, premier single d’un album à venir, Bleach. Le succès du grunge se limite alors à quelques initiés, abonnés à la feuille de news Sub Pop envoyée par la poste où sont inventoriées les sorties. En France, en 1989, quelques disquaires indépendants seulement ont connaissance de l’émergence du mouvement et proposent des disques choisis en import. Tout va cependant rapidement changer au début des années 1990.

Âge d’or et déclin du grunge

RearviewmirrorEn 1990, Pearl Jam (dont ressort le vinyle best-of rearviewmirror), composé d’anciens Green River, se forme en quelques semaines autour d’Eddie Vedder. Ils signent chez Epic Records. De leur côté, Alice in Chains, qui vivote depuis cinq ans grâce à de petits concerts, est repéré par Columbia. Nirvana passe de Sub Pop à Geffen. Autant de maisons de disque ambitieuses qui souhaitent propager le son de Seattle à l’international.

NevermindCe sera chose faire en 1991 : à la suite d’une tournée européenne avec Sonic Youth à l’été, Nirvana publie son premier album, Nevermind, à l’automne. Le single qui ouvre l’opus, Smells Like Teen Spirit, fait l’effet d’une bombe. Bientôt, toute une génération perdue, marquée par les idéaux salis de leurs parents, l’épidémie de Sida et les travers du consumérisme, se reconnaît dans le message de Kurt Cobain et de ses acolytes.

DirtEn quelques mois, la culture occidentale s’imprègne du grunge : les jeans déchirés et chemise de bucherons prolifèrent, les écrivains associés au mouvement (comme Douglas Coupland et son Génération X) cartonnent, et pléthore de groupes de Seattle publient leurs albums majeurs. Alice in Chains avec Dirt, Pearl Jam avec Ten, Soundgarden avec Badmotorfinger puis Superunknown, Mudhoney avec Every Good Boy Deserves Fudge deviennent des icônes, les clips étant diffusés sur MTV, tandis que les réseaux de salle de concert accueillent leurs tournées à guichet fermé.

FrogstompDes groupes venus de partout se mêleront au mouvement, comme les Nord-Irlandais de Therapy? ou les Australiens de Silverchair. De même, le parrain du genre, Neil Young, invitera Pearl Jam à se produire avec lui, à l’occasion de son album Mirror Ball. Mais le courant va rapidement tourner court : le suicide de Kurt Cobain, en 1994, peu après la sortie du troisième disque, In Utero, et l’intégrité profonde des musiciens de la scène ont vite raison de la médiatisation du grunge, qui disparaît au milieu des années 1990.

Live Through ThisQuelques groupes tenteront des revivals, de Nickelback à Sugar Ray en passant par Three Days Grace ou Three Doors Down, sans oublier Hole, dirigée par la veuve de Kurt Cobain, Courtney Love, sans pourtant retrouver la fraîcheur des débuts…

Article rédigé par
Mathieu M.
Mathieu M.
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