LFO, Aphex Twin, Squarepusher, Autechre… Avec ses premiers artistes, Warp Records devait marquer à tout jamais l’Histoire de la musique électronique. Le label de Sheffield a permis le développement de l’IDM (ou « Intelligent Dance Music ») avant de se diversifier et de signer des artistes indie pop et rock, dont Broadcast, Stereolab ou plus récemment Squid.
Warp : un ancrage local devenu national
L’histoire de Warp débute modestement au nord de l’Angleterre, à Sheffield. Deux disquaires, travaillant chez « FON », décident d’accompagner le mouvement massif de l’electro dans le pays. Steve Beckett et Rob Mitchell, fous d’house et de techno, lancent alors Warp, nom inspiré de l’adjectif « warped » (qui signifie « perverti »).
Dès 1989, les deux hommes réussissent à sortir un premier single : Track With No Name de Forgemasters. Un premier disque qui annonce la couleur : ce groupe, lui aussi originaire de Sheffield, incorpore des éléments de différents courants électroniques pour aboutir à un résultat assez expérimental, dans un style qu’on appelle le « bleep ».
Le caractère aventureux et chercheur de Warp attire rapidement tout un ensemble de musiciens anglais, qui jusqu’alors se livre à leur art essentiellement dans les raves ou en club. L’existence de Warp leur permet en effet d’espérer produire des titres destinés à une écoute domestique.
Un an après leur fondation, la maison signait LFO, un duo britannique innovant qui leur apportait leur premier grand succès, avec un single éponyme. Expérimental, cet hymne de rave rentrait dans les charts pop. Le « son Warp » devenait assez reconnaissable : LFO comme Nightmares on Wax s’inspire à la fois de la culture hip-hop (notamment des « breakbeats ») et de l’univers de l’acid house et de la techno. Avec Frequencies, le premier album de LFO, Warp signait son premier chef-d’œuvre long format.
L’émergence de l’Intelligent Dance Music
Les signatures suivantes du label Warp apportent au monde de la musique électronique un tout nouveau genre, sorte de version arty et expérimentale de la drum’n’bass, qu’on appellera d’abord la drill’n’bass.
Plus généralement, l’essor d’une musique électronique susceptible d’être écoutée à la maison se manifeste dès la compilation Artificial Intelligence, qui rassemble quelques-uns des créateurs de cette Intelligent Dance Music (nommée aussi « electronica » à une époque). En effet, sous pseudonyme ou non, Aphex Twin, Autechre et The Black Dog se trouvaient rassemblés dans ce disque fondateur sorti à l’été 1992.
Aphex Twin, avec sa polyvalence, son talent à surprendre son monde, sa multitude d’alias et de projets, représente l’esprit très indépendant porté par Warp durant la première décennie d’existence du label. Capable de passer de l’IDM à la techno hardcore d’un single à l’autre, il étonnait le public electro avec un disque intitulé Selected Ambient Works, qui, comme son nom l’indique, rassemblait des morceaux dédiés à une écoute passive, de la musique d’ameublement arty, en quelque sorte. C’est à partir du second volume de ce recueil, Selected Ambient Works 2, que ses albums ont paru chez Warp. En 1995, …I Care Because You Do, puis Richard D. James faisaient davantage connaître ce sorcier du son, qui revisitait drill’n’bass après l’avoir inventé sur single.
En 1993, c’est Autechre qui entrait dans le grand bain, avec un premier album sorti chez Warp : Incunabula. Mêlant sans sourciller beats hip hop, climats ambient, basses énormes et gimmick techno, la formation se démarquait elle aussi des canons dance de l’époque. Au cours de son histoire, le groupe se fera de plus en plus expérimental, grâce à l’utilisation de scripts informatiques créant des altérations aléatoires de patterns rythmiques, mieux connus sous le nom de « glitchs ».
Autre grand innovateur, Squarepusher, spécialiste des beats de batterie ultra-complexes typés drill’n’bass, signe chez Warp en 1995 et y sort son deuxième album, Hard Normal Daddy. L’artiste britannique est depuis l’un des emblèmes du label, puisque la plupart de ses sorties suivantes auront lieu sous la même estampille. Ainsi, le dernier en date, Elektrac propose une relecture live de quelques « tubes » composés par celui qu’on connaît dans le civil sous le nom de Tom Jenkinson et qui a formé le groupe Shobaleader One.
Au cours des années 2000, le label continuera à suivre les figures émergentes et innovatrices de la scène electro : en 2009, par exemple, Warp réussissait à signer Bibio qui livrait alors son meilleur album, Ambivalence Avenue. Élargissant son champ, elle s’attachait aussi les services de Flying Lotus, beatmaker hype et auteur du superbe Cosmogramma au sein de la maison britannique.
Warp Films, signatures pop : une diversification bienvenue
Depuis le début du troisième millénaire, Warp a réussi à conserver son esprit d’origine tout en se diversifiant. D’abord, l’entreprise a monté une société de production audiovisuelle. Avec des films comme This is England, Four Lions, Submarine ou Ghost Stories, Warp Films applique au cinéma la même exigence que dans le domaine de la musique, mettant en valeur des auteurs particulièrement innovants.
Au fil des décennies, Warp a également exploré des territoires pop éloignés de l’electro, tout en gardant un esprit frondeur et une volonté de promouvoir des projets artistiques indépendants, souvent audacieux, toujours racés. Gravenhurst, côté folktronica, certains disques de Sterelobab, dans le genre lounge pop, mais aussi les indie rockeurs de Maxïmo Park, l’expérimental Oneothrix Point Never, la chanteuse de R&B alternative Kelela ou les rappeurs indés d’Anti-Pop Consortium figurent dans le roster du label. Récemment, l’une des signatures les plus populaires de Warp s’avère un groupe appartenant au post-punk revival : Squid, dont le dernier album en date, Bright Green Field, a connu un très bon accueil critique et public en Europe. Signe de la diversification réussie de la maison trentenaire de Sheffield !