Avec la deuxième partie de la saison 2 de Désenchantée sur Netflix et la 25e saison de South Park en cours de diffusion aux US, les séries animées américaines confirment leur pleine santé. Mais du chemin a été fait depuis les premières du genre dans les années 50 jusqu’à aujourd’hui. Voici un rapide panorama du genre, riche en séries cultes et essais iconoclastes.
Gloire à l’imaginaire : des Pierrafeu à Scoody-Doo
Loin des premiers courts métrages d’animation (jusqu’au Code Hays) souvent scabreux, horrifiques ou parfumés aux substances planantes – un parti pris qui ne reviendra en force qu’à la fin du siècle – la série animée américaine naît dès les premières heures de la série tout court avec Adventures of Pow Wow en 1949, western pour enfants. Rapidement, auteurs et réalisateurs se saisissent de ce nouveau style d’histoire pour la télévision et en quelques années, un petit corpus de séries animées voit le jour. Le premier pic étant The Huckleberry Hound Show (1958), série de l’écurie Hanna-Barbera qui devint la 1re série d’animation à remporter un Emmy Award de la meilleure série pour enfants. Rapidement, la SF et le Fantastique s’imposent comme des genres incontournables. La diversité compense la perte des cartoons pour adultes, devenus trop chers et risqués à produire.
Dans les années 60, deux séries vont influencer profondément les séries animées : Les Pierrafeu (1960) montre un surcroît d’ambition des animateurs en transposant à l’âge de pierre l’American Way of Life des sixties. Figures cultes de l’animation, cette sympathique famille continue six décennies plus tard à bénéficier d’un merchandising prospère et populaire. Elle a surtout contribué à l’émergence des séries animées à double lecture : pour enfants et parents. II s’agit d’ailleurs de la 1re série qui nous soit parvenue à nous montrer un couple partager le même lit.
En 1966, Les Nouvelles aventures de Superman créent la controverse pour sa violence, mais son succès pousse les collections de comics, notamment DC et Marvel, à multiplier les adaptations en séries animées (Spiderman, Fantastic Four, Batman…). La décennie 60’s voit également la naissance des séries animées musicales comme The Beatles, ou encore la cultissime Scooby-Doo et ses innombrables prequels, sequels et spin-offs. C’est l’ère du cartoon du samedi matin, avec déjà un marketing florentin : nombre de séries d’animation sont des transpositions de populaires séries en live-action (Star Trek, La Famille Addams, The Brady Bunch…) ou de comics tels les incontournable Archie Comics, dont Riverdale n’est qu’une déclinaison de plus. L’hégémonie des séries animées pour enfants restera indiscutée jusqu’en 1981.
Le phénomène « Les Simpson »
En 1981, MTV devient la chaîne rock/pop culture des années 80. Son esprit contestataire se retrouve dans sa production animée. Fred Seibert, du département animation de la chaîne, déclare en effet que l’animation est l’équivalent visuel le plus proche du rock (Henry Selick fait ses premières armes à MTV). MTV ne produit pas beaucoup de séries animées, mais ses courts et ses clips animés tranchent avec la ligne claire (à tous les sens du terme) de la concurrence. Pendant ce temps, les années 80 font passer la sitcom de la bourgeoisie aux classes populaires, notamment avec Roseanne et Mariés deux enfants.
Nourri de ces deux influences, le scénariste Matt Groening imagine en 1989 pour la Fox Les Simpson, série animée centrée sur une petite ville rurale et une famille middle-class. Succès immense (la série est toujours en production aujourd’hui), incarnation à elle seule de l’animation US à l’international, Les Simpson crée le template ultime pour les séries animées contemporaines : esthétique plus ronde et colorée, mélange d’humour adulte et juvénile, pop culture en rafale et commentaire ironique sur la société américaine, ici via une famille bigarrée, rarement « modèle » (ce qui n’ira pas sans faire grincer les dents des conservateurs, notamment George W. Bush qui la compare défavorablement à la plus édulcorée The Waltons). Le succès des Simpson doit aussi à sa diffusion en primetime, du jamais vu depuis les années 60.
Il est une vérité universellement reconnue que malgré son succès, Les Simpson ne sont plus la série poil à gratter la plus corrosive, prisonnière de sa volonté à viser tous les publics. Dès 1991, MTV lance son anthologie avant-gardiste Liquid Television, cramée du bocal, bien rock, et expérimentale. S’ensuivront les deux bijoux que sont la tarée Beavis et Butthead et la suprêmement grunge Daria. La série classique d’animation certes continue, la brillante Avatar le dernier maître de l’air en est un auguste fleuron. Ou encore les séries superhéroïques (Invincible…). Mais à partir de là, trois autres tendances majeures vont s’étendre : les séries d’aventure (comme Arcane et Castlevania), les séries satiriques et les séries existentielles (genres non exclusifs).
Les séries satiriques : de South Park à Robot Chicken
Dans la lignée des Simpson, les trublions Trey Parker et Matt Stone, déjà responsables de films doux et poétiques tels Cannibal the musical! et Capitaine Orgazmo, jettent un pavé dans la mare animée en 1997 avec South Park, animation au dessin simple, au ton trash, bourrin, acide, au mauvais goût permanent, à la critique sociale sous bazooka. Contrairement à leur ainée, South Park, 25 ans après, n’a rien perdu de sa virulence rigolarde. Le succès énorme de la série (les créateurs viennent de signer un deal de 900M$ pour 5 nouvelles saisons) ouvre la voie aux séries contestataires. Notamment celles de Seth MacFarlane qui achève de dézinguer les totems des Etats-Unis : la famille dans la joyeusement malaisante Les Griffin ou les valeurs traditionnelles dans American Dad! Matt Groening lui-même met à jour son humour pamphlétaire avec la très space Futurama, quand la Terre en 3000 continue de recycler les mêmes problèmes que le début du XXIe siècle. Tandis que la comédie d’espionnage Archer jette un pont entre satire bouffonne – notamment des tropes du genre – et moments d’émotion brut.
En 2001, Cartoon Network ouvre sa filiale Adult Swim, destinée à accueillir les programmes les plus frappadingues. L’imagerie de l’enfance renvoyée par l’animation, quelle qu’elle soit, rend d’autant plus tranchant les contrastes avec ses sujets parfois extrêmement sérieux… ou très adultes. L’un de ses porte-étendards est Robot Chicken, stopmotion grossière, zapping frénétique mettant cul par-dessus tête tous les tropes et maillons de la pop culture (y compris la plus underground). Les deux chaînes ont produit ainsi pas mal de satires comme Adventure Time,où la fantasy est passée à la sulfateuse ou Teen Titans Go ! qui donne une toute autre vision de DC, bien plus allumée. Aujourd’hui, Netflix s’y met et des séries comme F is for family ou Inside Job croquent sauvagement nos travers.
Les séries existentielles : de Rick et Morty à Désenchantée
Duckman introduit dès 1994 dans la série animée américaine les troubles existentiels et les maladies mentales, via un personnage dont l’un des principaux défauts est une intense haine de lui-même. L’humour est bien là, mais est déjà grinçant. Avec The Boondocks, la culture afro trouve le moyen de s’exprimer, souvent avec rage et militantisme (comme ressusciter Martin Luther King). Final Space explore souvent les thèmes de la solitude, rendue plus évidente par l’immensité de l’univers. Steven Universe, science fantasy animée ultra inclusive, est aussi colorée et arc-en-ciel que ses thèmes deviennent de plus en plus durs et sombres au fil du temps. BoJack Horseman demeure aujourd’hui la plus déstabilisante étude sur la dépression et l’aliénation mentale, où l’humour sait se retirer a tempo pour laisser des vagues impitoyables de déchirement nous traverser l’âme (et parfois en même temps).
Evidemment, la révélation de ces dernières années est bien Rick et Morty, série à l’imagination sans limites, d’une violence nihiliste aussi hilarante que cruelle et portrait d’une famille pas très bien dans sa tête, que ce soit le timoré Morty ou le dominateur effroyable Rick. Finalement, Désenchantée apporte un contraste bienvenu où l’imagination bondissante d’un pastiche de fantasy se fait avec rire et complicité, loin des marées de ténèbres de Justin Roiland et Dan Harmon.