Avec la sortie du premier album de Menace Santana, !, la drill à la française s’est trouvé un ambassadeur de choix cet hiver. Il faut dire que le genre, qui mélange minimalisme et attitude gangsta, s’impose depuis quelques années comme un courant très suivi du rap contemporain. Retour sur l’histoire du genre.
La drill : une adaptation de la trap à Chicago
Impossible de parler de la drill sans aborder d’abord la trap : la première découle de la seconde. C’est en effet l’inventivité des producteurs et des rappeurs d’Atlanta, de Gucci Mane à Young Thug, qui a changé à tout jamais l’esthétique du hip-hop, à la fin des années 2000. Avec une nouvelle rythmique, l’utilisation de sons synthétiques (préférés aux samples du rap traditionnel), une attitude outrancière et un goût pour l’imagerie violente, la trap a représenté un vrai bouleversement.
Au début des années 2010, Chicago suivait le mouvement, en imposant son propre style, nommé bien vite la drill. En plus des composants initiaux de la trap, les rappeurs locaux ajoutaient un caractère encore plus nihiliste. Issus des bas-fonds d’une ville connue pour sa criminalité et sa misère, les pionniers du genre racontaient, sur des instrus minimalistes et avec un flow proche de la harangue, un quotidien sans horizon, entre drogues, meurtres et famille déglinguée.
Le premier à tirer son épingle du jeu, dans le genre, se nomme Chief Keef. Avec ses mixtapes Bang et Back From the Dead, puis l’album Finally Rich, il a défini l’ambiance funèbre et foutraque de la drill. En 2013, il a seulement dix-sept ans quand ses chansons connaissent un retentissement international, impressionnant les producteurs en pointe du hip-hop (comme son compatriote de Chicago, Kanye West). Par son entremise, au gré des featurings, les fans de rap découvrait aussi d’autres pionniers de la drill, notamment Lil Reese, King Louie ou Fredo Santana.
Le caractère véritablement nihiliste et chaotique de la drill a attiré nombre de rappeurs à partir de 2013. Ainsi Kaaris, de ce côté-ci de l’Atlantique, importait avec brio la formule sur son légendaire Or Noir, classique à la frontière de la trap et de la drill qui présentait une version hexagonale et outrancière de cette dernière, également audible chez Gradur avec L’Homme au Bob. Mais dès 2014, c’est en Angleterre que le genre rebondissait, davantage qu’en France, à travers « l’UK Drill ».
UK Drill : des artistes et des controverses
Début 2019, la plateforme vidéo YouTube retirait des centaines de clips de rap à la demande de Scotland Yard, sous le prétexte d’incitation à la violence. Le genre musical en cause ? L’UK Drill, version British de la scène de Chicago, qui s’est développé de manière tentaculaire dans tous les quartiers chauds de l’Angleterre et du Pays de Galles (en partant en particulier du quartier de Brixton à Londres).
Il faut dire que contrairement à ce qui s’est passé aux Etats-Unis, où le succès de Chief Keef et de Lil Reese a attiré les pontes de la musique, et les majors, le Royaume-Uni a vu sa scène drill s’atomiser en de nombreux collectifs aux allures de gangs, se clashant verbalement avant parfois d’en découdre dans la vie réelle. Initialement, la popularité de groupes comme Harlem Spartans, 410, 1011 ou 150 (ces derniers tirent leurs noms des codes postaux de leurs quartiers) s’est en effet accompagné d’une esthétique d’une violence absolue.
Pour autant, le développement de l’UK Drill a aussi apporté au genre un élan inédit : mêlant aux boîtes à rythmes TR-808 et les synthés de la drill au son dansant de l’UK Garage et du grime, le style musical s’est particulièrement enrichi au contact des artistes anglais ces dernières années. D’Unknown T à Fumez The Engineer, d’OFB à Meekz, de Kwengface à Headie One, pléthore de rappeurs et de beatmakers ont envahi les ondes anglaises et influencé les plus grands rappeurs anglais récents (Stormzy, Slowthai, Dave ou Skepta) et même une nouvelle scène américaine, la Brooklyn Drill.
Brooklyn Drill : retour aux Etats-Unis
Présent de manière discrète dans la région de New York depuis 2014, la drill fait une réapparition tonitruante en 2019 par l’intermédiaire de la collaboration entre le producteur d’UK Drill 808Melo et l’étincelant rappeur Pop Smoke. Avec des titres comme Dior ou Welcome to the Party, et l’album Shoot for the Stars Aim for the Moon, le MC (assassiné à seulement 20 ans début 2020) se montrait à la fois fidèle au gangsterisme exacerbé du genre et inventif du côté du flow. Son aura a d’ailleurs influencé toute une scène émergente du quartier de Brooklyn (et du Bronx), représentée aujourd’hui par des artistes comme Lil Tjay, Fivio Foreign ou Sheff G.
En France, la drill (re)sort de l’ombre
Depuis le tournant trap du rap français, amorcé autour de l’année 2012-2013, l’influence de la scène initiale de Chicago, mais aussi de ses prolongateurs anglais et newyorkais, revient périodiquement, au détour de morceaux précis ou d’hommage : Kalash Criminel sur Pronostic, Freeze Corleone avec une reprise du Welcome to the Party de Pop Smoke, Dosseh sur ses derniers singles ou encore Kekra le temps de Datejust ou Rolex ont « drillé » à leur façon.
Une vraie scène drill hexagonale a émergé dans la même période, avec des artistes spécialisés dans les instrus noires et synthétiques, les textes violents et nihilistes, l’imagerie ghetto poussée à son paroxysme. Gazo l’a montré début 2021, intitulant sa mixtape Drill FR. Il s’impose depuis comme une référence du genre.
C’est en particulier à Lyon que l’esprit Chicago/Brixton/Brooklyn a fait florès : à travers le collectif Lyonzon (En attendant la Popance 2) et ses membres en solo (Ashe 22, KPri, Jolly) mais aussi par l’entremise de Menace Santana, la dernière pointure de la drill hexagonale.
Avec son tout premier album, !, le rappeur mélange l’imagerie horrorcore (façon Vendredi 13) à une drill d’une incontestable noirceur, confirmant que la course au sordide et au sale dans laquelle s’est lancé le genre n’a pas fini de faire émerger de nouveaux talents !
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