Alors que sort en vinyle Peach Fuzz, l’un de ses derniers titres, Tyler The Creator apparaît toujours comme l’une des voix les plus intéressantes du rap actuel. Le MC américain, en jouant sur de nombreux codes, a notamment réussi à passer du gangsta rap à une forme très libre, qui se distingue notamment sur son album Igor.
Odd Future : l’incubateur de Tyler The Creator
C’était il y a dix ans jour pour jour ou presque. Les membres d’Odd Future, collectif de rappeurs californiens juvéniles, faisaient leur apparition dans l’émission Late Night With Jimmy Fallon. Masqués, les jeunes gens y interprétaient Sandwitches, tiré du premier album de Tyler, The Creator, Goblin.
Un grand moment télévisuel, qui confirmait la hype qui courait depuis plusieurs mois autour du collectif. Adoptant sur scène des postures punks, jouant avec les codes des films d’horreur, revisitant la virilité du gangsta rap, les tous jeunes MC (Tyler, mais aussi Earl Sweatshirt et Hodgy Beats, parmi une dizaine d’autres membres) ont fait grincer quelques dents. Et assumé quelques contradictions : flirtant avec l’homophobie dans certains de leurs textes, Odd Future a tout de même été le premier groupe de la superstar bi des années 2010, Frank Ocean. Quant à Tyler, The Creator himself, il a réalisé un « crypto-coming out » en chanson, quelques années plus tard…
Dans ce collectif, Tyler The Creator était à la fois un frontman et un leader intellectuel, charismatique autant que paradoxal. Sur Goblin, ses hommages à la gent féminine et sa misogynie émergeaient sur deux titres différents (She et Her). Surtout, il montrait une certaine ouverture à toutes les musiques, du rock au r’n’b, une constante dans sa carrière depuis lors.
Tyler the Creator : l’esprit libre du rap moderne
Dès son deuxième album, Wolf, Tyler, The Creator s’éloignait du son Odd Future pour définir le sien. Avec son concept de suivre trois personnages, un thérapeute, ces thèmes introspectifs, ces featurings avec des artistes aussi différents que Pharrell, Laetitia Sadier ou Erykah Badu, le disque confirmait que le garçon, comme ses comparses Frank Ocean et Earl Sweatshirt, devait marquer les années 2010.
Deux ans plus tard, en 2015, Cherry Bomb représentait une explosion des styles. Tyler, toujours en décalage, y rappait sur des morceaux ressemblant à du hip-hop du Sud des États-Unis que par-dessus des riffs de rock ou des thèmes jazzy. Que sa voix paraisse parfois dure, ou au contraire apaisée, il innovait là encore en allant vers l’abstraction et l’expérimentation de titre en titre, osant encore le jeu du grand écart.
Flower Boy et surtout Igor (ainsi que l’inédit Peach Fuzz à découvrir en vinyle) auront démontré davantage l’univers très étendu de Tyler, The Creator. Avec comme point culminant sa performance en perruque lors des Grammy Awards 2020, ces dernières années l’auront vu devenir le chouchou des cérémonies de remise de prix et des magazines indés internationaux. Une revanche, pour celui qui, par ses provocations, s’était fait bannir d’Angleterre ou chasser de certains festivals, alors même qu’il se rendait surtout coupable de pousser les limites de ses thématiques, en défricheur infatigable des tendances.