Critique

Inge en guerre de Svenja O’Donnell : le récit poignant d’une femme pendant la guerre

07 octobre 2020
Par Anastasia
Inge en guerre de Svenja O’Donnell : le récit poignant d’une femme pendant la guerre

C’est avec de multiples questionnements sur ses origines allemandes que Svenja O’Donnell grandit et se construit. Lors d’un voyage à Kaliningrad, lieu où a grandi sa grand-mère, elle trouve enfin le courage de l’appeler. C’est alors que se crée, entre les deux femmes, un lien où le silence devient propice aux confidences.

 

Le récit d’une vie en temps de guerre

Inge-en-guerreEn mars 1933, Ingeborg Gertrud Wiegandt a huit ans. Ses yeux d’enfant ne comprennent pas encore que l’Allemagne est en train de vivre l’accession au pouvoir absolu d’Hitler, et que le monde est en passe de changer…

Parsemé de photographies pour étayer le récit de la grand-mère de Svenja O’Donnell, Inge en guerre nous plonge dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale non pas vécue par les soldats mais par les civils, et plus particulièrement les femmes.

Au début de ses échanges avec sa Inge, Svenja découvre dans son récit une Europe peu entachée par les heures sombres de son temps. Née en 1924, sa grand-mère grandit au sein d’un foyer aisé et aimant. Aussi, elle fermera pendant longtemps les yeux sur les horreurs de la guerre, aidée par son amour de jeunesse, ses amis et sa ville, qui semble alors nullement touchée par la guerre et les nombreux raids aériens.

« Elle dépeignait un pays de gentillesse et d’abondance, où l’on riait et où l’on se sentait en sécurité. »


Lorsque Koch arrive dans les hauts rangs, devenant l’Oberpräsident* de la Prusse-Orientale, les Juifs de Königsberg voient leurs vies complètement bouleversées. En ajoutant à cela les lois de Nuremberg, les longues années qui suivirent furent pour les Juifs, les antinazis, les homosexuels, les handicapés, des années de terreur et d’annihilation totale.

En 2012, c’est le décès de Vati, le compagnon d’Inge, qui pousse celle-ci à confier à sa petite-fille les couches plus profondes et douloureuses de sa jeunesse. S’ouvre alors progressivement sous les oreilles attentives de Svenja, un monde bien plus sombre et terrifiant, où la censure est reine et la délation son valet.

« Il est étrange de penser aux Allemands comme à des réfugiés, condamnés comme ils l’étaient à porter le poids des crimes de leur nation. Ce fut pourtant la réalité à laquelle ma famille fut confrontée quand elle se retrouva sans foyer et sans personne vers qui se tourner. »

De ce long voyage à travers les souvenirs de sa grand-mère, Svenja apprendra que la survie ne tient souvent qu’à un fil, bien plus dépendante de la chance que d’une volonté de vivre. Nombreuses sont les fois où sa grand-mère, ses arrière-grands-parents et sa mère auraient pu périr.

Si Svenja a éprouvé le besoin de retracer la vie de sa grand-mère, de parcourir des années plus tard ce que celle-ci et sa famille ont parcouru, en revenant sur les lieux pour les voir de ses propres yeux, c’est pour mieux connaître ses racines et offrir à ceux qui suivront après elle, le cadeau du savoir : ils n’avaient jamais collaboré et avaient résisté à leur façon, par de petits actes anodins. 

*Oberpräsident est le titre pour désigner un haut représentant de l’État de Prusse au sein d’une province prussienne.

Svenja O’Donnell en quête de ses origines

Alors enfant, Svenja O’Donnell participe à une sortie scolaire au musée de la Deuxième Guerre mondiale en Normandie. Au moment d’entrer dans la salle consacrée aux victimes de l’Holocauste, elle sent les regards de ses camarades peser sur elle : « J’étais la seule enfant à moitié allemande : ce fut la première fois que j’en ressentis une certaine honte. »

De cette honte naît de nombreuses questions sur ses origines. Mais ce n’est que bien plus tard qu’elle s’octroie enfin le courage de questionner sa grand-mère sur son passé et celui du reste de sa famille. Qui avait-elle été ? Quels avaient été son rôle et celui de ses arrière-grands-parents dans la guerre et l’Holocauste ? Pourquoi avaient-ils dû fuir ?

Femme assez froide et peu expressive, Inge n’est pas ce que l’on appelerait une grand-mère proche de ses enfants et petits-enfants. Ce ne sera que lors d’un voyage solitaire à Königsberg (aujourd’hui Kaliningrad), sur les traces du passé de sa famille, que Svenja éprouve le besoin de l’appeler : « Je voulais simplement te dire bonjour, bredouillais-je. Je suis à Kaliningrad. »

Comme l’effet d’un bulldozer qui terrasse les protections d’une forteresse, cette phrase réduit à néant ce qui restait de cette vieille femme jugée non sentimentale : si des milliers de kilomètres les séparaient, ces deux femmes furent soudainement plus proches que jamais.

Un fort et lourd témoignage

« Il est tellement rare de trouver les mots justes quand nous en avons le plus besoin. Tout ce que je peux faire à présent, c’est les écrire. »

On ne connaît finalement que très peu l’histoire de la Seconde Guerre mondiale vécue par les civils. C’est cela qui nous apparaît lorsque nous lisons Inge en guerre. Comment ont-ils survécu ? Et avant cela : comment ont-ils vécu la guerre ? Quelles sont leurs histoires ?

Au travers du témoignage de la grand-mère de Svenja, c’est le récit de tout un peuple allemand caché qui sort de l’ombre. Par ce livre, l’auteure donne une voix et un droit, celui de parler, de dénoncer et de faire exister les silences d’une réalité aussi dure qu’inconnue.

« Les citoyens allemands pouvaient être détenus indéfiniment, sans jugement, en « détention de sûreté » ou dans des camps de concentration. Les enfants qui ne participaient pas aux réunions des Jeunesses hitlériennes étaient menacés de ne pas obtenir leur diplôme […] et les fonctionnaires qui ne s’inscrivaient pas au Parti de perdre leur emploi. »

Si nombreux sont morts sous les bombes, les torpilles et les balles, d’autres tout aussi nombreux ont disparu, tués par quelque chose de plus simple : la famine et l’absence de soins, soins que les médecins danois refusèrent à tous les Allemands réfugiés sur leur territoire. Sans parler de ces survivants qui perdirent des proches, leurs foyers, leurs maisons ; et de toutes ces femmes qui furent pendant longtemps de simples objets sexuels aux mains des soldats et de certains terribles citoyens.

« Nombre de ses amies furent violées. Mais dans les mois et les années qui suivirent, elles n’en ont jamais parlé. Elle a décrit cela comme un “code de silence”, le prix que les femmes allemandes s’étaient senties obligées de payer pour les crimes de leur nation. »

Si nous espérons que les morts ont trouvé un repos éternel, nous espérons également que ceux qui ont survécu ont pu, d’une certaine façon, reconstruire leur vie et apprendre à vivre avec leurs blessures.

Ce livre en est un fort témoignagne. 

Parution le 26 août 2020 – 368 pages

Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Pierre Guglielmina

Inge en guerre, Svenja O’Donnell (Flammarion) sur Fnac.com

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Anastasia
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