Genres majeurs du XXe siècle, la soul et le funk ont représenté un grand pas pour la Great Black Music dans les années 1960-1970. A la fois populaires et revendicatifs, les deux courants ont eu une influence sur la musique pop, générant aussi des sous-genres très prisés comme le disco ou le r&b. Retour sur leur histoire.
Genres majeurs du XXe siècle, la soul et le funk ont représenté un grand pas pour la Great Black Music dans les années 1960-1970. A la fois populaires et revendicatifs, les deux courants ont eu une influence sur la musique pop, générant aussi des sous-genres très prisés comme le disco ou le r&b. Retour sur leur histoire.
La soul : une histoire de génies et de labels
À l’origine, la soul découle du rhythm ‘n’ blues, genre musical populaire et profane adaptant au format chanson le jazz, le blues et le gospel d’avant-guerre. Petit à petit, ce courant majeur pour le public afro-américain se diversifie : il devient synonyme de « rock and roll noir » dans les années 1950, avant de trouver sa forme d’expression au début des années 1960.
Parmi les pionniers de la soul, le pianiste et chanteur Ray Charles retrouve l’émotion du gospel et des chants d’Église en y mêlant des éléments de jazz et en incarnant véritablement ses titres par une voix immédiatement reconnaissable. Grand interprète de ballade, le « genius » va progressivement reprendre à son compte d’immenses répertoires, comme le prouvent ses disques en duo (Genius Loves Company) de blues (Genius Sings the Blues)…
Autre précurseur, le génial Sam Cooke fait de la soul le support de ses chansons sentimentales (et parfois sexuelles), où les riffs et l’énergie sont prépondérants malgré le caractère romantique de certains titres. À écouter pour s’en convaincre : Portrait of a Legend !
Deux labels vont émerger et faire de la soul l’un des genres majeurs des années 1960 : la Stax-Volt et la Motown. Le premier brille par son utilisation des cuivres, arrangés notamment par son orchestre maison, Booker T. and the M.G.’s (célèbre pour l’instrumental Green Onions), sur lequel les chanteurs vont imposer leurs pulsations et leur harangue. Otis Redding (Otis Blue, Dock of the Bay Sessions) et Sam & Dave seront les principaux représentants de cette soul produite par le label de Memphis.
Plus pop, pratiquant davantage les cordes plutôt que les cuivres, les artisans du son Motown ont fait de la chanson sentimentale de 3 minutes interprétée par des Afro-Américains la bande originale de la vie de millions d’adolescents des sixties. Les Supremes (au sein desquels brille une certaine Diana Ross), les Four Tops, les Temptations parviendront à séduire et le public blanc et le public noir.
Surtout, le label de Detroit découvrira les deux artistes majeurs de la fin des années 1960 côté soul : Marvin Gaye (auteur du chef-d’œuvre politique What’s Going On et des délices érotiques de Let’s Get It On ou I Want You) et le tout jeune Stevie Wonder, qui deviendra dans les années 1970 l’auteur-compositeur-interprète star de la soul et du funk avec les classiques Innervisions, Songs in the Key of Life ou Talking Book.
En dehors de ces labels, une diva contribue à l’âge d’or de la soul : Aretha Franklin. Son talent pour les ballades, sa grâce et son énergie en font une incontournable, que l’on réécoute toujours avec plaisir sur ses disques Amazing Grace, I Never Loved a Man the Way I Love You ou Lady Soul.
Le funk : des lumières et des groupes
Au sens premier, le « funk » désigne, aux États-Unis, l’odeur de la sueur et de tout ce qui a un côté trash. Le terme va bientôt trouver une signification musicale avec l’émergence, au milieu des années 1960, d’une soul un peu crade, sexualisée, s’appuyant sur des syncopes rythmiques, des danses lascives et surtout des performers charismatiques.
Le premier d’entre eux sera bien sûr James Brown, qui dès son Live at the Apollo, puis avec It’s a Man’s Man’s Man’s World et ses albums suivants, définira ce style, énergique et parfait pour laisser le groove opérer sur le public des heures durant.
Un autre artisan de ce début du funk reste Sly Stone et sa bande Sly & the Family Stone, qui réunira assez vite le son psychédélique alors dominant dans le rock américain et l’aspect collectif et délirant du funk.
Celui qui ira le plus loin dans cette formule se nomme George Clinton. En fondant deux groupes, Parliament et Funkadelic, il poussera le funk dans ses retranchements, expérimentant avec la seconde formation (voir les magnifiques solos de guitare sur Maggot Brain) et en trouvant une formule commerciale et extrêmement qualitative avec les premiers.
Au milieu des années 1970, le funk trouvera un débouché immensément populaire avec l’émergence du disco, qui est une version carrée et codifiée du funk. Les musiciens de Chic (à écouter sur le fameux C’est Chic), et ceux de groupes comme Imagination (In the Heat of the Night) en donneront une lecture festive et hyperdansante, pour le plus grand bonheur des habitués des discothèques.
Récemment, un revivaliste aura contribué à faire perdurer le funk tout en le modernisant : Jamiroquai, dont les albums Emergency on Planet Earth et The Return of the Space Cowboy auront marqué les années 90.
Années 1980 : l’essor de Prince, Michael Jackson, et l’apparition du R&B
Deux figures majeures relisent la musique afro-américaine au cours des années 1980. En premier lieu, Michael Jackson, ancien pensionnaire des Jackson Five signés alors à la Motown, prend son envol en solo, avec son disque Off the Wall, dans lequel il mêle disco et soul avec une grande souplesse. En 1983, Thriller connaît un succès considérable : parfaite synthèse entre pop, funk, soul et rock, cet opus fait de lui une star, dont les albums suivants Bad et Dangerous le verront explorer de nouveaux univers et conquérir un public encore plus large.
Si Michael Jackson doit beaucoup à ses arrangeurs, en particulier Quincy Jones, Prince est a contrario un génie de l’autoproduction. Multi-instrumentiste, il voue au funk et à la Great Black Music en général un profond respect, même s’il n’hésite pas à détourner les codes du genre. 1999, Parade, Purple Rain, Sign ‘O’ the Times berceront les années 1980, et feront émerger cet artiste à part.
Les ballades vont en parallèle faire leur retour en force à la fin des eighties, propulsant des interprètes vocalement très inspirées comme Whitney Houston ou remettant sur le devant de la scène Tina Turner. Un courant, dans cette veine, va retrouver la sensualité de la soul et le mêler à la pop : ce que l’on nomme encore aujourd’hui le R&B. De Terence Trent D’Arby (Introducing) à Justin Timberlake (Justified), d’Aaliyah à Lauryn Hill, ce genre va dès lors envahir les charts et se fondre parfaitement dans le hip-hop des nineties.
La soul : un revival
Soul et funk traditionnels vont rester plus marginaux jusqu’à leur retour en force dans les années 2000. D’abord, aux États-Unis, avec Sharon Jones (Dap Dippin’ With Sharon Jones and the Dap-Kings), puis en Angleterre avec Amy Winehouse (Back to Black) ou Michael Kiwanuka (Home Again), ces revivalistes vont retrouver le son vintage et l’efficacité mélodique des sixties.
Plus généralement, la soul inspire toujours de nombreux artistes talentueux, qui ont souhaité se différencier de l’approche R&B. Que l’on songe à Alicia Keys (Songs in A Minor), Erykah Badu (Baduizm), Selah Sue (Selah Sue) ou Ayo (Joyful), les interprètes des années 2000-2010 ont réussi le pari de remettre la Great Black Music sur le chemin de l’émotion en étant à la fois déférent et moderne.