Vous avez entendu parler d’une expression mais ne comprenez pas d’où elle vient ni ce qu’elle signifie ? Vous voulez maîtriser le lexique des séries télévisées pour devenir le maître de cérémonie des soirées TV entre amis ? Pas de souci, nous vous proposons dans chaque épisode le décryptage d’un mot de la culture télévisuelle passé à la postérité. Aujourd’hui, attaquons-nous à l’expression « cliffhanger », le procédé qui mène les fans par le bout du nez.
Pour la petite histoire
Le procédé du cliffhanger, littéralement « qui est suspendu au bord de la falaise », est un outil scénaristique consistant à placer un personnage dans une situation difficile à la fin d’un épisode (mort imminente, révélation choquante, dilemme…), et de lancer le générique sans donner la résolution aux spectateurs. Cela permet à la série de torturer le spectateur avec un suspense insoutenable qui l’obligera à regarder la suite, seul moyen de calmer sa curiosité insatiable.
Un tel procédé n’est évidemment pas spécifique aux séries télévisées, puisque la littérature emploie le cliffhanger depuis la nuit des temps. Ainsi, dans Les Mille et Une Nuits, Shéhérazade emploie déjà ce stratagème pour obliger le roi Chahriar à écouter chaque nuit le dénouement de l’histoire de la veille, point de départ d’une nouvelle histoire. Mais l’origine de ce terme remonte plutôt au XIXe siècle et à Charles Dickens, qui est considéré comme le pionnier des histoires en feuilleton, publiées épisodiquement dans des journaux britanniques. Dans les années 1860, ce mode de publication devient courant dans l’Angleterre victorienne, et inspire notamment le romancier et poète Thomas Hardy à l’écriture du roman Les Yeux bleus (1873). Publié épisodiquement dans le Tinsley’s Magazine de 1872 à 1873, ce roman-fleuve parlant de triangle amoureux tragique voie un de ses personnages, Henry Knight, un vieux noble londonien convoitant la femme d’autrui, être littéralement accroché à une falaise. L’expression est alors adoptée.
Dès l’explosion du cinéma dans les années 1910, beaucoup de films jouent sur le cliffhanger. Durant cette période, certains films peuvent s’étendre sur plusieurs heures, comme Fantômas de Louis Feuillade (5h37) ou Napoléon d’Abel Gance (5h32), ce qui rend plus pratique de les découper en épisodes diffusés au cinéma. En particulier, dans le film franco-britannique The Perils of Pauline (6h50), l’un des personnages se retrouve fréquemment accroché à une falaise en fin d’épisode.
Ce n’est qu’à partir des années 1960 que le cliffhanger est associé définitivement au lexique des séries télévisées. Les soap operas l’utilisent à profusion, mais il se répand ensuite dans tous les types de séries. Le cliffhanger est prétexte à lancer des campagnes publicitaires autour de séries avec des conséquences qui atteignent parfois des sommets : le slogan « qui a tué J.R. ? », en référence à un personnage de la série Dallas, a donné lieu à des paris d’argent sur les 10 suspects potentiels, à l’interruption d’une session du parlement turc pour que les parlementaires puissent voir l’épisode chez eux, et même à une campagne des Républicains, affirmant qu’un Démocrate avait sûrement commis le crime !
Le cliffhanger dans les séries modernes
Utiliser un cliffhanger peut appeler différentes raisons : jauger l’attente d’une suite par les fans, mettre en scène le départ d’un acteur de la série… La plupart du temps, il s’agit effectivement de tenir le spectateur en haleine et encourager les théories de fan pour faire vivre une série jusqu’à son retour. C’est en quelque sorte une application concrète de l’effet Zeigarnik : une théorie d’une psychologue russe stipulant que l’on se souvient mieux des tâches interrompues que des tâches réalisées. Voici quelques séries qui nous manipulent donc (et on en redemande) :
X-Files : Aux frontières du réel
La série dans laquelle les agents très spéciaux Scully et Mulder enquêtent sur des affaires non classées, toujours à la limite du paranormal, foisonne d’épisodes à cliffhanger. Certains sont devenus des épisodes d’anthologie, en tête desquels le final de la saison 2, Anasazi, qui laisse les fans incertains sur le destin de Mulder.
True Blood
Il y a de quoi se faire du mauvais sang avec cette série de vampires qui joue constamment sur les cliffhanger, non seulement à la fin de chaque saison mais aussi à la fin de chaque épisode. Les saisons 3 et 4, en particulier, nous mettent les nerfs en pelote.
Twin Peaks
Un cas un peu particulier que celui-ci : Twin Peaks a connu l’annulation après deux saisons pourtant très favorablement accueillies, laissant les fans sur leur faim. Lynch, mécontent de la pression des producteurs qui l’ont obligé à dévoiler prématurément les clés du meurtre de Laura Palmer, fait alors en sorte de laisser des mystères non résolus… et obtient finalement une troisième saison. Bah oui, les réalisateurs aussi veulent connaître la suite !
Le Visiteur du Futur
Née de l’imagination de François Descraques, cette relecture timbrée et fauchée de Doctor Who mitraille les spectateurs de cliffhangers. Le Visiteur, un agent venu du futur pour empêcher la fin du monde, empêche les gens de profiter de leur quotidien tranquille et ennuyeux. Pour les dissuader de vivre leur vie, il dégaine sa formule fétiche : « Attention, ne fais pas ça sinon voilà ce qui va se passer !! »
Lost : Les Disparus
Jamais une série n’avait employé autant de révélations à gogo pour maintenir son dynamisme : ésotérisme, expériences scientifiques, voyage dans le temps, survie, pouvoirs surnaturels, mythologie, au-delà… et toujours les cliffhangers, liant naturel de cette épopée en six saisons.
