Décryptage

Lexique TV : que veut dire « Jumping the shark » ?

10 juin 2020
Par Auxence
Lexique TV : que veut dire « Jumping the shark » ?
©Pikrepo

Vous avez entendu parler d’une expression mais ne comprenez pas d’où elle vient ni ce qu’elle signifie ? Vous voulez maîtriser le lexique des séries télévisées pour devenir le maître de cérémonie des soirées TV entre amis ? Pas de souci, nous vous proposons dans chaque épisode le décryptage d’un mot de la culture télévisuelle passé à la postérité. Aujourd’hui, attaquons-nous à l’expression « Jumping the shark », la hantise des scénaristes TV.

Au commencement fut un coup marketing risqué

La genèse de l’expression « Jumping the shark », littéralement « sauter au-dessus du requin », se trouve dans la sitcom américaine Happy Days, diffusée sur le réseau ABC entre 1974 et 1984. Dans cette série extrêmement influente et populaire, on suit la vie de deux adolescents, Richie Cunningham (Ron Howard) et Arthur « Fonzi » Fonzarelli (Henry Winkler), dans une Amérique idéalisée des années 1950-60. On y découvre l’apprentissage de la vie par des ados jonglant entre vie de famille, amis du lycée et amourettes. Au fur et à mesure que le show progresse, le personnage de Fonzi, archétype du blouson noir bad boy, séducteur et cool, mais également ami indéfectible au grand cœur, vole peu à peu la vedette à Richie Cunningham, au départ personnage central. Tant et si bien que les scénaristes, qui se rendent compte de la perte d’audience de la série au bout de deux saisons, choisissent d’accorder une place de plus en plus importante à Fonzi, et d’adopter une tournure beaucoup plus comique en général.

Happy_Days_1974   Happy_days_motorcycle_richie_fonzie_1977

Le succès est immédiatement au rendez-vous. Fonzi, favori des fans, permet à la série de repartir en flèche. Vers 1976, la série est la plus regardée aux États-Unis, et Fonzi en est le pivot central, grâce à ses répliques cultes (« Sit on it », « Heyyy! ») reprises partout en cœur et ses super-pouvoirs de type cool (frapper du poing sur une machine pour la redémarrer, claquer des doigts pour attirer l’attention d’une fille…).

   

jumping the sharkMais les saisons passent et la série s’essouffle à force de tirer sur la corde. Dans la cinquième saison, dans un épisode appelé Hollywood: Part 3, on met Fonzi au défi de faire du ski nautique dans un bassin où nage un requin. Ni une ni deux, le surhomme, en maillot de bain et blouson de cuir, saute par-dessus le requin sous la clameur générale. C’est le début d’une longue dégringolade. La série, dont le charme venait de sa description réaliste et tendre de l’adolescence des 50s, et la nostalgie qui peut en résulter, est tout à coup perçue par les téléspectateurs comme un cirque où Fonzi est le clown star. Les scénaristes ont voulu jouer avec le feu, prêts à tout pour relancer l’audimat, et cela se ressent cruellement.

Après onze saisons, la série rend les armes. L’année suivante, en 1985, le journaliste radio Jon Hein popularise l’expression péjorative « jumping the shark », caractérisant une situation absurde et grotesque qui ne colle pas du tout au contexte d’une fiction, et qui dénote un point de non-retour dans le n’importe quoi.

Un échec pour la série, vraiment ?

Si cette expression signifie qu’une limite a été franchie et que la série ne redeviendra jamais ce pourquoi elle est aimée des fans, le coup marketing a-t-il été un échec pour autant ? Pas vraiment : à en croire le scénariste Fred Fox, Jr., à l’origine de l’épisode Hollywood, non seulement ce dernier a été diffusé à une époque où la série était encore très populaire, mais il n’a pas marqué son déclin. Au contraire, quoi que l’on pense de cette manœuvre scénaristique, il faut reconnaître qu’elle a fonctionné. La série aurait-elle été aussi populaire, et cet épisode en particulier si discuté, si l’expression n’avait pas vu le jour ?

Ce bad buzz retentissant a permis à la culture populaire de s’enrichir d’une nouvelle expression. Étendue au cinéma, à la publicité, et même en politique, pour signifier qu’un homme ou un régime politique dépasse les bornes, « jumping the shark » est tellement efficace que depuis 2017, le quotidien anglais The Guardian consacre une rubrique à tous les « sauts au-dessus du requin » dans les séries télévisées. Voici quelques exemples tirés de la culture populaire :

indiana jonesLe film Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal : la scène où Indy se réfugie dans un réfrigérateur pour échapper à un test nucléaire dans une fausse ville a fait crier bien des fans. Scientifiquement improbable, cette scène a donné lieu à l’expression « nuke the fridge » (« atomiser le frigo »), inspirée de « jumping the shark ». Steven Spielberg, fier de sa bêtise, démontre que ce genre de décision scénaristique est rarement accidentel. Qui n’a jamais inclus ce film, et en particulier cette scène, lors des débats sur les sagas qui déraillent ?

La série Prison Break : les stratagèmes d’évasion loufoques, un personnage censé être mort qui revient dans la série ;

Les séries House of Cards et Homeland : le personnage principal meurt mais la série se poursuit, au détriment de la qualité de l’ensemble ;

Le syndrome « Lost, les disparus » : a-t-on vraiment besoin d’expliquer ?

Visuel : © Pikrepo

Article rédigé par
Auxence
Auxence
Disquaire sur Fnac.com
Sélection de produits