Le punk rock, ou juste punk, est un courant musical et culturel né de l’émancipation individuelle post-années 1960 et de la protestation collective contre le capitalisme et l’impérialisme des pays riches. Si l’on peut tracer ses origines au rock’n’roll des fifties et à l’affirmation identitaire des classes populaires anglaises et américaines, il ne faut pas négliger le rôle des courants musicaux extérieurs.
1970, les premières années du punk
Genre originellement lié à l’histoire des pays anglo-saxons, le punk rock apparaît vers le milieu des années 1970 et connaît une rapide expansion au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Australie. Avec sa musique abrasive, simple et rentre-dedans, se reposant essentiellement sur des tempos rapides, des power chords et des riffs lourds et distordus, le punk rock se positionne d’emblée contre le rock considéré comme institutionnel. Reprenant d’une part l’amateurisme brut et passionné du garage rock, qui se développe en parallèle du proto-punk dès le début des années 1960, le punk rock emprunte l’attitude sauvage, provocante et agressive de formations comme les Stooges, les MC5, les Kinks ou les Sonics. D’autre part, ses partisans adoptent une posture anti-commerciale et anti-élitiste, voulant faire redescendre le rock qui a atteint des sommets d’abstraction avec le rock progressif et psychédélique ; de manière plus générale, le punk rock s’inscrit dans l’esprit bad boy à l’ethos épate-la-bourgeoisie, déjà ancré dans le rockabilly des années 1950.
Le ton est donné : plutôt que de flatter les oreilles du grand public, le punk rock cherche la confrontation aussi bien sonore, esthétique que thématique. Les sujets tournent autour des grands clivages de l’époque, à savoir le chômage, la guerre, l’anti-establishment, l’image de la royauté, en d’autres termes, tout ce qui est considéré tabou habituellement. Des groupes se démarquent presque immédiatement, tels les Ramones, qui montrent avec leur album éponyme que la fougue punk est tout à fait compatible avec des mélodies contagieuses ; les Clash, dont l’étendard du punk London Calling prouve que la créativité ne s’est pas perdue avec le vent de rébellion ; les Sex Pistols, dont le brûlot Never Mind the Bollocks Here’s the Sex Pistols est l’incarnation de l’esprit du punk : conscient et cynique, maniant habilement la satire et l’humour noir. Malgré tout, le pop punk, avec sa plus grande légèreté (Buzzcocks, The Undertones), et le surf punk, rappellent à tous que l’hédonisme et la camaraderie restent les mots d’ordre.
Visuellement, le punk rock première génération pose les jalons du look typique du punk : jean, blouson en cuir, piercings, tatouages et crête deviennent les attributs du petit keupon, puisant son esthétique dans les cultures motarde, anarchiste, la valorisation du do-it-yourself et, dans d’autres sphères plus radicales, le look skinhead.
Les métamorphoses du punk dans les années 1980 à 90
Dans les années 1980, le punk rock originel connaît un large culte underground tandis que des formes plus composites de punk voient le jour. Ainsi, le psychobilly (The Cramps, The Gun Club) récupère ses racines rockabilly, l’oi! (Sham 69, Cockney Rejects) voit d’un mauvais œil les ambitions artistiques de groupes comme Wire ou Television et souhaite revenir à une formule terre-à-terre et populaire. Le skate punk (Descendents, Suicidal Tendencies) devient la bande-son de la jeunesse suburbaine. Surtout, une vision divergente du punk apparaît, entre d’un côté le post-punk, et de l’autre la new wave. Si les deux genres émergents partagent un goût de l’expérimentation et une fascination pour des scènes extérieures (funk, dub, musique électronique), le post-punk tend à aborder des sujets sérieux à travers des atmosphères graves, froides, presque menaçantes. Joy Division, The Cure et Public Image Ltd sont autant de groupe qui creuseront leurs sillon dans cette période. De son côté, la new wave (Blondie, New Order, Elvis Costello) se détache de ses pairs et tente la fusion avec des genres dansants à la mode (disco, synthpop…), ce qui lui vaudra de rester un genre éphémère fortement associé à la décennie.
En parallèle, en réaction au vaste succès commercial du punk et ses dérivés, le hardcore punk, comme une allergie au mainstream, se donne pour mission de raviver la flamme du punk des origines. À travers une musique rapide, concise et plus agressive que jamais, le hardcore ressuscite l’éthique DIY et le souci d’intégrité, à grands coups de promotions, pochettes d’albums et productions faites par les groupes eux-mêmes, sans l’aide des labels établis. De ces circuits souterrains naissent des formations condamnées à un marché de niche, comme Minor Threat, Bad Brains, Black Flag ou les Dead Kennedys. Certains albums, comme Fresh Fruit for Rotting Vegetables des Dead Kennedys ou Damaged de Black Flag sont un bel exemple des classiques nés de cette période. Très vite, le hardcore mute et connaît divers embranchements, parmi lesquels le post-hardcore, qui veut concilier l’énergie farouche et l’émotion du hardcore avec les compositions exigeantes et la conscience du post-punk. Des formations comme Hüsker Dü, Fugazi ou les Minutemen incarnent bien ce tournant. D’autres genres se contentent d’enfoncer un peu le clou de la brutalité. Citons par exemple le beatdown hardcore, avec son tempo lent et ses breakdowns brise-nuques, le crust et sa vitesse étourdissante, ou encore le nihilisme bruitiste du noisecore…
Arrivé aux années 1990, il apparaît limpide que du punk rock, qui existe désormais par ses innombrables scènes, se dégagent toujours deux grandes tendances irréconciliables : le punk mainstream (pop punk, skate punk, hardcore mélodique, surf punk…), et le punk underground qui évolue dans l’obscurité. Cette double direction est définitivement entérinée lorsque, d’une part, un revival du pop punk déterre l’intérêt du public américain pour le punk, avec de nouvelles têtes comme Green Day et The Offspring, et d’autre part, le punk hardcore influence le metal et se fait influencer en retour. De cette union naissent des genres fusions comme le crossover thrash, le metalcore, le grindcore, le sludge metal, brouillant les frontières entre deux genres aux valeurs proches d’authenticité, de refus du grand public et de guerre sonore. Des groupes aux riffs metal et à l’énergie punk comme Neurosis, Converge ou Napalm Death entrent dans cette définition.
Les années 2000, entre tradition à perpétuer et quête de renouvellement
Aujourd’hui, si le punk a perdu de sa popularité, il est faux de croire qu’il a perdu en vitalité. Des scènes se balançant entre revival, tradition et volonté d’apporter une pierre à l’édifice émergent de partout. Le punk n’a jamais été aussi mondial, grâce au fait qu’il parte d’idées universelles et non d’une exception culturelle. Au fil de son développement, toutes les nouvelles causes ont pu se rattacher telles des wagons au train, partant de la culture straight edge (refus des drogues, de l’alcool et de toute chose qui pourrait faire dévier d’un train de vie sain et vertueux) pour continuer avec le féminisme, le pacifisme, le véganisme, etc. Par ailleurs, la culture anglo-saxonne n’appartient pas plus aux Anglais et aux Américains qu’à tous ceux qui ont grandi avec les films, la musique, les modes diverses qui en sont importés.
Le punk est plus protéiforme que jamais : la vague emo du début au milieu des années 2000 (My Chemical Romance, Say Anything), le metalcore seconde génération (Killswitch Engage, Trivium), le post-punk revival (Interpol, The National) ou le screamo (Touché Amoré, Envy) sont autant de générations lointaines du punk.
Les années 2010 : un vent de fraîcheur sur la planète punk
Les années 2010 constituent un véritable retour en force du punk et du post-punk. Marqués par un contexte socio-économique délicat, des artistes choisissent la musique comme véritable colporteur de messages. Instrumentations relevées, chant proche du punk britannique des premières heures, c’est toute une galaxie qui se constitue durant cette décennie et qui aborde les années 2020 avec confiance. La critique est séduite et les fans ne cachent pas leur enthousiasme.
Le Royaume-Uni est une nouvelle fois la terre promise du punk. A cheval entre punk, électro et rap, le duo Sleaford Mods fait partie des premiers groupes à lancer ce second souffle. Idles, avec des titres engagés et enragés, font carton plein, notamment grâce à Joy As An Act Of Resistance. Fat White Family, quant à eux, n’hésitent pas à explorer différentes contrées musicales, tout en conservant l’énergie du punk. On pense également à Shame, autre figure de proue de ce nouvel élan, et ses deux excellents albums, Songs Of Praise et Drunk Tank Pink, qui fleurent bon le post-punk. Enfin, Squid, originaire de Brighton, cristallise toutes les promesses dans ce renouveau avec un premier album qui casse les frontières de styles, Bright Green Field. La critique et le public ne boudent pas leur plaisir et attendent la suite avec grande impatience.
Aux Etats-Unis, Parquet Courts emportent tout sur leur passage avec une discographie truffée de disques de haut vol, en particulier Wide Awake qui aura du mal à trouver des détracteurs. En Suède, Viagra Boys frappent également à la porte avec leurs accents bluesy. Mais c’est en Irlande qu’une formation devient la référence dans cette galaxie bien fournie : Fontaines D. C. De l’énergie à revendre et une capacité impressionnante à se renouveler, la bande de Grian Chatten semble inarrêtable : de Dogrel au petit dernier Skinty Fia en passant par A Hero’s Death, le parcours est pour l’instant sans faute.
Du côté des groupes emmenés par des femmes, il y a également de quoi se satisfaire. La Française multi-casquettes Jehnny Beth, leadeuse du groupe anglais Savages, est une digne héritière de Siouxsie Sioux. Dans un registre post-punk sulfeureux, simple et efficace, Dry Cleaning en ont impressionné plus d’un avec leur premier album New Long Leg. Quant à Public Practice, le groupe ressuscite avec brio l’esprit punk new yorkais de la fin des années 70. Plutôt pop à ses débuts, le She Drew The Gun de Louisa Roach, s’imprègne progressivement de l’énergie punk en y incorporant des sonortiés dance pour le très engagé Behave Myself.
Vous l’aurez compris : le punk n’a pas dit son dernier mot !
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Visuel d’illustration : © Plismo, Wikimedia Commons.