LE CERCLE LITTÉRAIRE – Le coup de cœur d’Evy V. (Sceaux). Sélectionné parmi les finalistes du prix Goncourt 2019, Soif d’Amélie Nothomb fournit une lecture originale de la Passion du Christ, non pas tant pour conter à sa manière les dernières heures de Jésus (depuis son procès jusqu’à sa crucifixion), que pour proposer son interprétation des mystères qui l’entourent.
Soif
Le coup de cœur d’Evy V. (Sceaux)
Sélectionné parmi les finalistes du prix Goncourt 2019, Soif d’Amélie Nothomb fournit une lecture originale de la Passion du Christ, non pas tant pour conter à sa manière les dernières heures de Jésus (depuis son procès jusqu’à sa crucifixion), que pour proposer son interprétation des mystères qui l’entourent.
« Je est un autre » : l’Incarnation par le corps
En l’occurrence, en choisissant d’écrire à la première personne du singulier, Amélie Nothomb n’hésite pas à se projeter dans les pensées qu’aurait pu avoir le Christ : en écrivant « je », finalement, elle cherche à « s’incarner » en quelque sorte dans Jésus.
Elle lui fait dire ou penser « Je suis un faux calme », « je ne suis pas sans défaut »,…
Par ce procédé, elle tend à gommer l’image d’un Jésus omniscient et faiseur de miracles pour s’attacher surtout à montrer le côté humain du fils de Dieu («Je sais quoi, j’ignore comment »), un homme capable d’éprouver de la colère, qui a peur de mourir, qui surtout ne peut pas recourir au miracle pour lui-même.
La soif… L’amour…La mort : « trois manières d’être formidablement présent. »
La soif constitue le thème central du livre éponyme ; c’est une preuve d’existence, donc de vie, comme l’amour. En effet, « Pour éprouver la soif, il faut être vivant.» Amélie Nothomb veut dire que, outre la présence physique certifiée par la sensation de soif, il y a aussi le fait que nous, les Hommes, avons soif de bonheur : nous voulons aimer et être aimés (Jésus est lui-même amoureux de Marie-Madeleine). Mais attention, pour le Jésus d’Amélie, « aimer est beaucoup mieux que l’amour ». Aimer fait appel aux émotions (pour preuve, la pensée blasphématoire qu’aurait eue Jésus « Quand on aime vraiment quelqu’un, exige-t-on qu’il se sacrifie pour nous ? »), alors que l’amour permettrait juste d’attester de notre présence.
Quant à la mort, elle nous fait rester présents dans les esprits.
La foi et le blasphème
D’aucuns crieront au blasphème devant certains propos tenus par le Jésus d’Amélie Nothomb, car effectivement, au premier abord, c’est ce qu’il semble et d’ailleurs Amélie en joue (« Je blasphème ? C’est vrai »). Toutefois, ces propos a priori choquants correspondent peut-être au doute de certains hommes par rapport à la foi. Et comme son Jésus dit « J’ai la foi. Cette foi n’a pas d’objet. Cela ne signifie pas que je ne crois en rien. […] La foi est une attitude et non un contrat.», alors il nous enjoint à « douter du doute », afin que chacun puisse croire chacun à sa façon.
L’acceptation comme un mantra
Amélie Nothomb s’interroge aussi sur le mystère de cette acceptation de la crucifixion par Jésus. Pourquoi Jésus se répète-t-il comme un mantra « Accepte » ? Il s’auto-suggère « Accepte, non que ce soit acceptable, mais parce que tu souffriras moins.» En fait, il ne lui faudrait pas réfléchir, car « Ce qui empêche de pardonner, c’est la réflexion. »
Soif est un roman ambitieux et original dans la façon d’aborder la Passion du Christ qui « est une monstruosité, mais (qui) demeurera l’une des histoires les plus bouleversantes de tous les temps.». Dans ce livre, Amélie Nothomb joue beaucoup avec le lecteur : elle le fait réfléchir, et en parallèle lui propose un jeu de piste littéraire (des mots en grec non traduits, des citations sans auteur…).
Soif est un roman pour lequel il faut prendre son temps pour lire sa quelque centaine de pages et ainsi parvenir à s’assoiffer de lecture, pour pouvoir l’apprécier à sa juste valeur.
Mais au final, comme Amélie le dit si bien : « Le livre se constitue en fonction de notre désir. »
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Parution le 21 août 2019 – 160 pages