Critique

Juste une balle perdue de Joseph d’Anvers, dans le sillage d’un coup de feu fatal

30 janvier 2020
Par Sébastien Thomas-Calleja
Juste une balle perdue de Joseph d’Anvers, dans le sillage d’un coup de feu fatal

La trajectoire enflammée de Roman et Ana, jeunes incandescents brûlants de la flamme vive de l’insouciance. Leur amour incendiaire dévastera tout sur son passage. Un roman au rythme haletant, entre boxe, stupéfiants, et cambriolages périlleux. L’itinéraire redoutable d’un enfant de la balle.

« Avance, encaisse, esquive, progresse »

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C’est sa devise lorsqu’il intègre cette prestigieuse académie. Coaché par José, son entraîneur, Roman veut devenir boxeur. Un vrai, un pro, un champion. « Fils d’alcolos », doublé d’un père violent et d’une mère neurasthénique, c’est un crochet du droit qu’il compte bien envoyer à la vie et faire mordre la poussière à tous les déterminismes sociaux. C’est « un pacte entre nous, un sentiment que seuls ceux qui se battent connaissent ». Mais la réalité vous balance parfois de violents uppercuts. « Bigger, better, stronger » est un leitmotiv qui ne suffit pas toujours contre ses propres automatismes et les tentations extérieures.  

Découvrir le monde gavé de vodkas tièdes, dans une pièce saturée de « synthés vintage et de beats sauvages », l’esprit embrumé de substances qui se fument, s’avalent ou s’injectent : ce monde de la nuit qu’il explore avidement l’entraîne peu à peu vers des jours sans fin, limitant ses capacités physiques.  

« On était au fond qu’une bande de pauvres mecs sans avenir qui jetions nos derniers espoirs dans le sport le plus rude et le plus injuste qui soit. » Les lauriers ne seront pas pour lui. Il faudra se contenter de survivre et de profiter de la vie comme il se doit. C’est lors d’une de ces soirées qu’il la verra, « hypnotisé, envoûté par les courbes de son corps fin et délicat ». 


« Un monde d’ivresse et de langueur »

« Elle s’appelait Ana et j’ai su dès le départ que ça allait merder. » C’est sur le canapé d’une gigantesque villa qu’il se réveillera, hébété et livré à lui-même. Une maison étrange où vit une bande de jeunes fêtards qui ne semblent jamais s’arrêter de boire ni de danser. Les nuits troubles se succèdent aux jours gorgés de lumière, allongé au chaud d’un transat ensoleillé, sur la terrasse surplombant la mer et devant le spectacle d’Ana, « gracile et légère, fragile et incendiaire ». 

Fasciné, envoûté, Roman laisse tomber José, sans trop savoir où aller. C’est le propriétaire de la villa qui l’accueillera et lui proposera même de s’installer. Igor, homme d’affaires déroutant, bienfaiteur d’une équipe de jeunes en faillite avec l’avenir, bien décidés à prendre leur revanche sur la vie. Nourris et logés, en sont-ils libres pour autant ? Contre ses « nuits d’excès et d’allégresse », Igor demande en effet à ses protégés quelques menus services, qu’ils acceptent tous comme leur condition, « celle des écorchés, des hommes qui se battent pour survivre ».

« Une saison entre paradis et enfer »


Igor est un marchand d’art, dont les principaux fournisseurs sont les villas balnéaires de cette région repue de chaleur et d’argent dont on ne dit jamais le nom. S’il recueille de jeunes gens en perdition, il faut aussi qu’ils soient tous bien portants, car ils seront la main armée de ses méfaits. La seule exigence qu’il a envers eux est qu’ils n’ont pas le droit de se tromper. La moindre erreur leur sera fatale. Cette folle équipée que l’on surnomme le « gang des villas », alors que les casses font rage, cultive aussi bien le mystère que l’efficacité.  

« Je volais, je filais, j’étais une ombre, un courant d’air » : Roman se plaît dans son nouveau rôle de cambrioleur au grand cœur. Éperdu d’amour pour Ana, il ne voit pas le danger se profiler. Attiré par la puissance et le néant qui le captive tout autant, il ne distingue pas la menace dégoupillée, « fasciné par le vide, hypnotisé par ce mouvement continu, furieux et souple à la fois ». 

Transgressant les règles de la balistique fondamentale, Joseph d’Anvers nous entraîne sur l’itinéraire d’un enfant éperdu de désir de vivre. Les flash-backs situent le contexte difficile, et les retours à la réalité sonnent comme des détonations mortelles. Juste une balle perdue se lit la main sur la gâchette de la frustration existentielle d’un gamin en mal d’amour, sur le rythme d’un tir automatique vital et salvateur. Chanteur, compositeur, après avoir été chef-opérateur, la carrière protéiforme de l’auteur prend tout son sens dans ce deuxième roman en condensant les thèmes chers à celui qui a déjà écrit pour Dick Rivers ou Alain Bashung : les amours condamnées, les nuits clandestines et la solitude à apprivoiser. Un thriller haletant, au suspense maîtrisé et fascinant, dont les inspirations rock jalonnent ce récit écrit d’une plume sobre et élégante, comme cette chanson enregistrée au Salon Fnac Livres 2018. Il en suffira d’une : Juste une balle perdue.

Parution le 8 janvier 2020 – 349 pages 

Photo d’illustration © MasterTux sur Pixabay

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Article rédigé par
Sébastien Thomas-Calleja
Sébastien Thomas-Calleja
Libraire à Fnac Bercy
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