Critique

La servante du seigneur, à-dieu-vat

03 mars 2014
Par Mika
La servante du seigneur, à-dieu-vat
©DR

Comme toujours avec Jean-Louis Fournier, l’écriture est sans défaut, elle glisse comme la vouivre entre les herbes hautes, d’une confession sans concession, si ce n’est le heurt permanent d’un questionnement sous-jacent sur l’abandon des parents par leurs enfants

Retour à la case autobio pour Jean-Louis Fournier, bio comme naturel, comme sans exhausteur de goût, comme sans additif ni conservateur.

L’homme n’est pas content, c’est le moins que l’on puisse dire. L’homme et le père parce qu’on va et vient entre l’homme et le père. L’homme quand il épingle un peu la rrrrr(h)e(uuuu)ligion pour ne pas dire Dieu le Père, quand il redevient père et qu’il accuse le Père de lui avoir volé sa fille. Jean-Louis Fournier est donc très très fâché et il ne faudra pas m’en vouloir de m’être montré très très léger, face au sujet dit pour introduction. Entre deux rosaires, une séance d’auto flagellation avec ortie, verre pilé et sel sur mes plaies béantes, me voici revenu sur le droit chemin, droit dans mes boots.

Après une éducation que nous devinons plutôt heureuse et épanouie, la fille de Jean-Louis Fournier décide de prendre en noces le grand créateur et décide d’une vie d’austérité consacrée à la prière, à la louange, etc. Une anté-vie quoi. Enfin, je mets des gants hein, c’est pas moi qui m’y colle c’est le père. Le père ne comprend pas mais alors pas du tout le nouveau positionnement de sa fille dont il ne saisit plus l’identité. Car oui, c’est aussi un livre sur l’identité, enfin celle que nous attribuons aux autres, à nos proches et qui n’est en vérité qu’une succession d’algorithmes, de codes, de tris sélectifs de notre cerveau qui aime à classer, étiqueter. Connaît-on jamais pleinement quelqu’un ? Fournier, dans un va-et-vient constant souffle le chaud et le froid sur l’image de sa fille. Cette constante figure le désespoir entier dans lequel il se trouve face à la « mutation » de sa fille en elle même, car c’est de cela dont il s’agit, de ce qu’elle est. Hors le père ne s’y résout pas, sur son cheval à bascule, il joue des oppositions entre ombre et lumière en mettant sur la balance ce qu’elle était et ce qu’elle est devenue. Le déséquilibre est évident et saute aux yeux. Elle était mieux avant mais ça, c’est son point de vue, forcement tronqué par l’amour paternel, cet amour qui ne saurait reconnaître ce qu’il ne conçoit pas, qui sort du cadre de ses attentes envers l’autre.

Car c’est de ses propres attentes qu’il s’agit aussi, sûrement celles que nourrissent les parents pour leurs gosses, « tu seras médecin mon fils ». Ces attentes narcissiques, égocentriques, forcément déceptives quand elles sont balayées par l’objet de notre amour, celui à qui tout a été donné et qui est décidé d’être ce qu’il veut, comme il le veut. Jean-Louis Fournier est déçu. Il semble implicitement s’octroyer un droit de réserve sur l’aveu de ses propres manquements, il remplit apparemment tous les termes du contrat relationnel. Après tout, ne répond-il pas toujours présent quand sa fille le sollicite financièrement alors qu’elle se montre exécrable ?

On est jamais déçu si on attend pas de quelqu’un qu’il vous serve mais pourquoi ne le ferait-elle pas, elle qui sert le Seigneur ?

Comme toujours avec Jean-Louis Fournier, l’écriture est sans défaut, elle glisse comme la vouivre entre les herbes hautes d’une confession sans concession, si ce n’est le heurt permanent d’un questionnement sous-jacent sur l’abandon des parents par leurs enfants. Il y a toujours un côté voyeur à la lecture d’un « je » qui n’est pas sien, un malaise qui fait prendre part à la subjectivité de celui qui se met en scène, un parti pris pas toujours honnête qui fait que le lecteur peut se sentir pris en otage du point de vue unique de celui qui raconte. Jean-Louis Fournier tout en cœur et dans la volonté de ne pas faire passer sa fille pour un monstre égoïste et ingrat, nous soulage en laissant à la fin de son livre quelques pages en droit de réponse à sa fille, qui rétablit l’équilibre de l’ensemble.

Un beau livre donc qui se lit rapidement et qui questionnera sur la connaissance objective de l’autre malgré l’amour et les œillères que nous portons tous afin qu’il corresponde à l’image et à l’attente que nous en avons… pour notre seul confort ?

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Mika
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