Ils règnent sur la Grande-Bretagne depuis des centaines d’années, et sur la télévision depuis plus de 70 ans. Les monarques britanniques sont les héros d’innombrables programmes, toujours couronnés de succès. Une Royal Mania planétaire, ravivée par la série Becoming Elizabeth, diffusée en ce moment sur StarzPlay.
Pendant quatre jours, toutes les caméras étaient braquées sur une seule famille. À la télévision, sur les réseaux sociaux, dans les journaux… Le portrait des Windsor célébrant le jubilé de platine de la reine d’Angleterre, Elizabeth II, n’a pu échapper à personne. Rien de nouveau : la monarchie britannique est ultramédiatisée depuis toujours. « Les gens ont acheté la télévision pour regarder le couronnement de la reine en 1953, ça a marqué le début de la télévision ! », a rappelé Stéphane Bern, spécialiste des familles royales, lors de la conférence « La royauté en séries : fantasme ou réalité ? », organisée lors de la dernière édition du festival Séries Mania de Lille.
La monarchie britannique, source d’émerveillement planétaire
Les Royals envahissent les médias, mais aussi la fiction. Les séries, notamment, se sont régulièrement emparées de ces personnages. Les Tudors, Reign, Victoria, The Crown, et maintenant Becoming Elizabeth… Et si ce sont les destins des souverains britanniques qui sont le plus souvent représentés, ce n’est pas seulement parce qu’ils sont les plus médiatisés. Certes, il s’agit de la monarchie la plus fastueuse et la plus populaire en Europe, mais Ioanis Deroide, professeur agrégé d’histoire et spécialiste des séries télévisées anglaises ajoute que « l’industrie télévisuelle anglaise est très efficace et a beaucoup de moyens ». Les Britanniques peuvent donc créer des séries « qui en mettent plein la vue, avec les meilleurs décors, les meilleurs costumes, les meilleurs acteurs… ».
Selon Ioanis Deroide, la Grande-Bretagne est aussi une grosse pourvoyeuse du genre, car la fiction historique fait partie intégrante de sa culture. « Il y a beaucoup de pièces de théâtre britanniques qui mettent en scène les rois, comme les pièces historiques de Shakespeare par exemple », précise le spécialiste.
Des séries imprégnées de la culture et de l’histoire britannique, mais qui s’exportent avec succès sur toute la planète. Même dans les pays qui ont aboli la monarchie depuis longtemps… Comme la France. « Il y a un effet d’exotisme par rapport à notre modèle républicain », confirme Ioanis Deroide, qui avance aussi que ces séries viennent combler une offre qui n’existe pas dans l’Hexagone. « Il y a une grande tradition de séries historiques en France, mais le roi ou la reine ne jouent pas le rôle principal, développe-t-il. On fait des séries sur les mousquetaires, les chevaliers, mais on ne met pas tellement en valeur la tête couronnée. »
Une vie de Royal, l’ingrédient parfait pour créer une bonne histoire
Des têtes couronnées qui portent pourtant en elles un fort potentiel narratif, qu’elles nous soient contemporaines ou pas. La princesse Diana, Henri VIII ou sa fille, Elizabeth Ire, sont les personnages qui ont le plus souvent la faveur des scénaristes. « Je comprends que des réalisateurs aient eu envie d’en faire des séries, s’est amusé Stéphane Bern au Festival Séries Mania. Leur vie dépasse la fiction ! » Une vie ancrée dans un passé pouvant paraître « plus enchanté et plus glamour que notre présent », selon Ioanis Deroide.
Mais surtout, une vie regroupant tous les éléments pour faire une bonne histoire. « À chaque nouvelle génération, on a notre lot de conflits, de tensions, de ruptures, résume l’historien. Il y a des successions, des histoires de famille et puis des jalousies, des alliances… Tous ces ingrédients permettent des rebondissements, mais aussi une polarisation très forte avec le personnage qu’on adore détester, ou le personnage qui est pur, mais qui ne va pas gagner, par exemple. »
La série historique se transforme alors en soap opera, genre dramatique qui accorde une grande importance aux sentiments. Parce que, paradoxalement, ces hommes et ces femmes emblématiques, placés sur un piédestal par l’histoire, sont des figures auxquelles le public peut s’identifier facilement. À la fois représentants d’un ailleurs – ils sont les instruments d’événements historiques et politiques majeurs – et par certains côtés plus proches du reste de l’humanité – eux aussi aiment, souffrent, sont à la recherche du bonheur –, ils deviennent des personnages auxquels les spectateurs s’attachent.
Élément clé de cette dramatisation, et à coup sûr argument commercial infaillible : les mystères et autres histoires cachées gravitant autour des familles royales. « Personne ne connaît vraiment leur intériorité, leur réalité, admet Ioanis Deroide. On s’appuie toujours sur cette idée qu’il y aurait des choses à révéler, à débusquer, des non-dits… Cela peut donner de la matière à un épisode ou deux, donc c’est tentant d’aller chercher ces choses-là ! Et c’est là, souvent, qu’on va un peu forcer le trait dramatique. »
Déceler la part de réalité dans la fiction
Qui est vraiment la reine d’Angleterre, cette personne connue de tous, mais que personne ne connaît vraiment ? La question est à l’origine de la série The Crown. « Évidemment, on ne peut pas raconter n’importe quoi, parce que le public va décrocher s’il n’y a pas de vraisemblance », soutient Ioanis Deroide. C’est ainsi que les créateurs de The Crown (sortie en 2016 sur Netflix) mettent un soin extrême à reconstituer chaque détail décoratif, vestimentaire et physique connu. Mais la série contient aussi énormément d’inventions, rappelle l’agrégé d’histoire : « Par exemple, on ne sait absolument pas ce que se disent la reine et le Premier ministre lorsqu’ils se voient toutes les semaines lors de cette entrevue très protocolaire, dont personne n’est témoin. Donc là, forcément, on invente ! »
Selon l’expert, ces séries ne sont de toute façon jamais à prendre au mot. Il affirme qu’entre une vérité historique et une vérité plus favorable au scénario, les créateurs choisiront toujours la deuxième option. « Dans Les Tudors [créée en 2007 par Michael Hirst, NDLR], la réforme protestante est bien représentée, ainsi que la manière dont le roi essaie de s’imposer face à l’aristocratie, et les guerres avec les autres souverains européens, se rappelle-t-il. Mais, à côté de cela, certains aspects sont très irréalistes : le roi n’est pas du tout conforme à ce à quoi ressemblait Henri VIII en réalité, et les costumes sont assez fantaisistes, par exemple ».
Des écarts avec la réalité qui pourraient conduire les spectateurs et spectatrices les moins connaisseurs à adhérer à des faits historiquement faux ? Un risque qu’écarte Ioanis Deroide : « Les gens savent ce qu’ils regardent ! Même si parfois il y a une ambiguïté, on se doute bien qu’on n’est pas face à la vraie reine, au vrai prince Philip ou au vrai prince Charles… » Au contraire, le doute instillé par la fiction créerait même un dialogue instructif, selon le professeur. Les séries à succès sont en effet souvent à l’origine de commentaires, de débats, d’éclairages et de critiques sur leur fidélité – ou non – à la réalité. « Cela pousse aussi le public à se réintéresser à certaines périodes, certains enjeux… De ce point de vue là, la série entretient aussi une mémoire », conclue-t-il.
Pas certain que les Royals voient les choses de la même façon. Officiellement, Buckingham Palace martèle que The Crown n’est que de la fiction. La reine Elizabeth II aurait même été offensée par la représentation en père insensible de feu son mari, le prince Philip. Le prince Harry, lui, a déclaré lors d’une interview être « plus à l’aise avec The Crown qu’[il] ne l’[est] quand [il] voi[t] les histoires qui sont écrites sur [sa] famille, [sa] femme ou [lui]-même dans la presse ». Peut-être le signe que les séries sont, en tout cas, plus fidèles à la réalité que la presse à scandale.