Le nouveau film de Gaspar Noé, Vortex, est en salle depuis ce mercredi 13 avril. À cette occasion, L’Éclaireur revient sur la filmographie du sulfureux réalisateur franco-argentin.
« Violent », « déstabilisant », « animal » : les qualificatifs ne manquent pas pour décrire le cinéma de Gaspar Noé. Depuis Seul contre Tous (1998) et Irréversible (2002), celui qu’on surnomme « le sale gosse du cinéma français » a su se construire une identité singulière sur grand écran. Plus que le choc, le réalisateur cherche en effet à asseoir un esthétisme quasi-expérimental : il filme les corps comme personne, observe la part d’ombre de ses personnages, et offre des mises en scène inédites et audacieuses.
Une mise en scène sensorielle
La mise en scène de Gaspar Noé n’a pas pour seul objectif de provoquer. Surtout, elle a de l’ambition. Et c’est encore son évolution, ces 20 dernières années, qui le montre le mieux. Aux plans fixes de Carne (1991), son premier moyen-métrage qui inspirera Seul contre Tous (1998), vont ainsi succéder les fameux plans séquence d’Irréversible (2002).
Évolution aussi du côté des couleurs. Si Gaspar Noé a longtemps filmé la grisaille, les endroits malsains et ternes, il élargit radicalement sa palette et s’intéresse aux contrastes entre ombre et lumière à partir des années 2000. Vient ensuite le temps des couleurs chaudes et flashy, comme dans Enter The Void (2009), Climax (2018) et, plus récemment, Lux Æterna (2019). Comme si le réalisateur cherchait à stimuler les sens de plus en plus intensément.
Loin d’un cinéma contemplatif, les œuvres de Gaspar Noé prennent aux tripes, excitent, fascinent, effraient. Et cet aspect sensoriel est le point de départ de sa filmographie. On le voit avec le court-métrage de 1995, Une expérience télévisuelle d’hypnose, dans lequel le réalisateur filme une séance d’hypnose, entre sons et lumière glaçante du stroboscope – un outil que l’on retrouve d’ailleurs beaucoup dans la carrière du cinéaste.
L’importance de la musique et des sons
Le stroboscope évoque l’univers techno dont sont souvent imprégnés les films de Gaspar Noé. On se souvient en effet des clubs comme le Void et le Rectum, mais aussi de sa fructueuse collaboration avec Thomas Bangalter, un des membres des Daft Punk. Le son et la musique représentent ainsi une part importante dans la carrière du réalisateur, alors qu’il mêle électro, disco, rock et classique, et s’est même occupé de la réalisation de plusieurs clips – Placebo, SebastiAn, Nick Cave & The Bad Seeds sont entre autres passés devant sa caméra. Sur grand écran, Climax est sans doute l’œuvre de sa filmographie qui se rapproche le plus de l’art de la nuit. Sorti en 2018, le long-métrage filme le dérapage collectif d’une troupe de danseurs drogués à leur insu. Waackeuses, vogueurs, krumpeurs se donnent alors corps et âme, se jettent au sol dans un style aussi trash qu’étourdissant, alors que la fête s’apprête à tourner au cauchemar.
Des personnages torturés
Ce parti pris de mise en scène est mis au service d’un montage souvent à rebours. On le voit avec Irréversible (2002) ou avec le mélodrame érotique Love (2015), qui s’ouvre sur la rupture de Murphy et d’Electra avant de montrer leur première rencontre. Gaspar Noé s’affranchit ainsi des règles de la narration, comme pour enfermer et torturer encore plus efficacement ses personnages et ses spectateurs.
Faire de ses protagonistes les victimes de leurs pulsions est en effet l’une des manie de Gaspar Noé. Le réalisateur donne à voir des hommes et des femmes sombres, primaires, violents. Ils sont rongés de l’intérieur – par la vengeance, par une rupture, ou encore par un fantasme –, à l’instar des personnages d’Enter The Void. Ce dernier tourne autour d’un thème central et récurrent chez l’artiste : la perte de l’être aimé. Le meurtre de l’ouvrier commis par le boucher de Carne qui le prive de sa fille, le viol d’Irréversible ou encore l’accident d’Oscar (Enter The Void) sont ainsi autant de ressorts scénaristiques pour montrer le déchirement des personnages.
Corps au centre
EtVortex (2022), son dernier film, n’échappe pas à la règle. Dans ce drame macabre, réaliste et philosophique, le réalisateur met en scène les derniers jours d’un couple de personnes âgées frappé par la maladie d’Alzheimer. La séparation inéluctable des deux amants incarnés par Dario Argento et Françoise Lebrun fait écho au déraillement affectif, mais aussi au relâchement physique. Une thématique qui rappelle l’importance des os et de la chair, tandis que le corps en tant qu’objet sexuel occupe une place majeure dans la filmographie de Gaspar Noé.
Le réalisateur n’a d’ailleurs jamais caché son intérêt pour la pornographie – ce dont témoigne son court-métrage Sodomites (1998). Ses premiers films montrait le sexe de façon brute et violente ; presque comme un acte répugnant. À partir d’Enter The Void, cependant, le sexe se mêle à l’érotisme, entre aspect malsain et douceur ; une représentation qui atteint son apogée dans Love.
Le cinéma de Gaspar Noé se dévoile donc aussi évolutif qu’intemporel. Cette dualité explique certainement pourquoi celui qui s’inspire de Stanley Kubrick et partage des similitudes avec Lars Von Trier bouscule autant les cinéphiles. Si l’on retrouve souvent les mêmes thématiques et procédés de mise en scène, le réalisateur parvient à les décliner de multiples façons, au gré des formats et des scénario.
Vortex, de Gaspar Noé. Avec Alex Lutz, Dario Argento et Françoise Lebrun. 2h22. En salle le 13 avril 2022.