Critique

Exposition Romy Schneider à la Cinémathèque française : l’impératrice en son palais

21 avril 2022
Par Félix Tardieu
Romy Schneider vu par Robert Lubeck, 1976
Romy Schneider vu par Robert Lubeck, 1976 ©Archives Robert Lubeck

Méliès, Tati, Kubrick, Burton, Truffaut, Leone, Scorsese, ou plus récemment Louis de Funès : il était temps que la Cinémathèque ouvre son grand espace d’exposition à une femme ayant marqué de son sceau l’Histoire du cinéma. C’est à présent chose faite avec cette grande rétrospective consacrée à Romy Schneider, disparue il y a maintenant quarante ans.

À la Cinémathèque française, une actrice lumineuse renaît de ses cendres : Romy Schneider, actrice d’origine allemande née à Vienne (Autriche) à la veille de la Seconde Guerre mondiale et qui traversa le cinéma des années 50, 60 et 70 avec une fougue et une présence inégalables, revient aujourd’hui subjuguer les vivants le temps d’une exposition rétrospective et chronologique qui revient en long et en large sur la trajectoire d’une actrice emblématique, morte à seulement 43 ans après trois décennies de travail acharné, comme trop vite consumée par le feu ardent qui implore les idoles.

A star is born

Romy Schneider était quelque part appelée à devenir une grande actrice de cinéma. Née Rosemarie Magdalena Albach-Retty, Romy Schneider a grandi dans une famille allemande peuplée d’artistes depuis le XIXe siècle : elle n’a que quinze ans lorsqu’elle fait ses débuts au cinéma en incarnant la fille de sa propre mère, l’actrice Magda Schneider – avec qui elle tournera huit films – dans Les Lilas Blancs (1953) de Hans Deppe. Sa carrière est lancée pour de bon lorsque le réalisateur et scénariste autrichien Ernst Marischka l’enrôle consécutivement pour Les jeunes années d’une reine (1954) puis pour Sissi (1955), où elle interprète l’impératrice Elizabeth d’Autriche, qui la propulse sous les feux de la rampe. 

Romy Schneider en 1955 ©Wikimedia Commons

Dentrée de jeu, l’exposition rappelle cette ascendance, seul segment du parcours à évoquer directement la vie intime de l’actrice – à commencer par son dégoût du nazisme et le lourd héritage laissé par des parents sympathisants et proches des plus hauts dignitaires nazis – avant de plonger pleinement dans une filmographie prolifique et hétéroclite. Un choix qui illustre au fond ce paradoxe, cette bifurcation dans la vie d’une actrice devenue une icône nationale à dix-huit ans à peine : son rôle emblématique de Sissi, qu’elle campera à trois reprises, a fait d’elle une star de cinéma mondiale en même temps qu’il l’a enfermée dans cette panoplie étouffante – « J’étais devenue propriété nationale », dira-t-elleque Romy Schneider ne cessera de fuir par la suite. D’une certaine manière, toute l’exposition tente de retracer en filigrane, et de film en film, cette  quête intarissable d’émancipation et de liberté.   

On traverse ensuite la remarquable filmographie de Romy Schneider comme on entrerait dans une sorte de studio de cinéma encore en construction ; les accessoires en tous genres y côtoient les affiches de l’époque, les photographies de plateau, les costumes portés par Schneider, les scénarios et extraits de films. L’exposition revient sur les grandes collaborations de l’actrice, à commencer par sa rencontre avec le tout jeune Alain Delon sur le film Christine (1958), qui marquera la naissance d’un couple mythique, dans la vie comme à l’écran. Impossible alors de passer à côté de La Piscine (1968), le film culte de Jacques Deray, qui scelle leur séparation en même temps qu’il marque leurs retrouvailles au cinéma. C’est avec La Piscine que Romy Schneider, jusqu’alors installée à Berlin, choisira pour de bon le cinéma français comme terrain de jeu après une incursion éreintante à Hollywood et également après avoir mis brièvement sa carrière en pause pour se consacrer à sa nouvelle famille.

La Piscine, Jacques Deray © 1968 SND (Groupe M6)

Naissance d’une actrice française

L’exposition ne manque pas non plus de dévoiler aux visiteurs les coulisses sa collaboration avec un metteur en scène majeur comme Luchino Visconti : seul le réalisateur acclamé de Rocco et ses frères (1960), Le Guépard (1963) et Mort à Venise (1971) pouvait convaincre Romy Schneider – qu’il avait fait monté sur les planches en 1961 aux côtés d’Alain Delon dans la pièce Dommage qu’elle soit une putain – de reprendre le rôle de Sissi pour une dernière fois dans Ludwig (1973), aux antipodes de la vision édulcorée et folklorique véhiculée par la trilogie d’Ernst Marischka.

L’exposition revient également sur son travail avec Orson Welles (Le Procès), Henri-Georges Clouzot (L’Enfer, célèbre film inachevé), ou encore Andrzej Zulawski pour L’important c’est d’aimer, qui lui vaut enfin son premier César de la meilleure actrice. L’exposition dévoile également de beaux tirages des séances photo que l’actrice décide de mettre elle-même en scène, témoignant de cette volonté de reprendre le contrôle de son image – et de son corps. 

(…) Romy possède un visage que le temps ne peut détruire.

Claude Sautet, Sur Romy Schneider (1978)

Mais le segment le plus intéressant de cette exposition qui ambitionne de couvrir la filmographie complète de Romy Schneider, c’est sans aucun doute la profonde entente et la complicité avec le réalisateur Claude Sautet, avec qui elle tournera à cinq reprises en l’espace d’une décennie : Les choses de la vie (1969), Max et les ferrailleurs (1970), César et Rosalie (1972), Mado (1976) et Une histoire simple (1978). Richement documentée, leur collaboration est envisagée sous toutes ses coutures, de la préparation du tournage (notes, plans de travail, scénarios annotés par Claude Sautet et son scénariste attitré Jean-Loup Dabadie, etc.) aux matériels promotionnels mûrement réfléchis, ou encore les précieux télégrammes dans lesquels l’actrice se livre à son metteur en scène fétiche : «  Mon Clo, Merci, Je ne suis pas si sûr de moi… Je ne suis pas si forte (…la peur constante au fond…) », peut-on lire sur l’un d’eux. 

Les Choses de la vie, Claude Sautet, 1969 © STUDIOCANAL – Fida Cinematografica

Que ce soit aux côtés de Michel Piccoli dans Les choses de la vie et Max et les ferrailleurs ou d’Yves Montand dans César et Rosalie, Romy Schneider embrasse pleinement dans ses rôles la modernité qu’elle incarne encore aujourd’hui. Son rôle de prostituée dans Max et les ferrailleurs « la lavait définitivement de Sissi et des héroïnes de bon genre », d’après Claude Sautet. « Quand on tournait, il fallait que je ne la quitte pas des yeux. Sinon, elle me disait aussitôt : ‘’on refait celle-là, tu ne m’as pas regardée! ’’ », se remémore aussi le metteur en scène à propos du tournage des Choses de la vie. Aujourd’hui, on la regarde encore, et encore. Et ça tourne toujours.

Infos pratiques
Romy Schneider, Cinémathèque Française (Paris 12e), du 16 mars au 31 juillet 2022 – En semaine de 12h à 19h, le week-end de 11h à 20h, fermé le mardi – Tarif : 12€ – TR : 9,5€ , moins de 18 ans : 6€ 

Article rédigé par
Félix Tardieu
Félix Tardieu
Journaliste