Critique

Le Monde d’hier : plongée au cœur du pouvoir politique français

30 mars 2022
Par Erwan Chaffiot
Léa Drucker en présidente de la République dans Le Monde d’hier.
Léa Drucker en présidente de la République dans Le Monde d’hier. ©Pyramide distribution

Un mois à peine avant le premier tour de l’élection présidentielle, Diastème propose, avec Le Monde d’hier, de dévoiler les arcanes du pouvoir français par le biais de l’intime.

Dès la première séquence, on découvre une présidente de la République française (Léa Drucker) en gros plan derrière une vitre souillée par la pluie. Son regard se perd à l’horizon. Le cinéaste Diastème donne le ton de son « monde d’hier » : ce film politique souhaite s’approcher au plus près des femmes et des hommes qui nous gouvernent. Isolée dans son palais, la cheffe d’État sera avant tout en rapport avec son Premier ministre (Benjamin Biolay), son secrétaire général (Denis Podalydès) et son garde du corps (Alban Lenoir). À quelques jours du premier tour et alors qu’elle ne se représentera pas, on lui apprend que la seule figure capable de battre l’extrême-droite vient d’être plongée dans un scandale de corruption. Le secrétaire général conseille alors à Madame la Présidente d’éliminer physiquement le candidat extrémiste, avant que son concurrent ne soit disqualifié.

L’âme des élus

Si le pitch correspond à s’y méprendre à celui d’un thriller politique hollywoodien, Le Monde d’hier préfère, à l’image de son premier plan, se focaliser sur les méandres moraux et éthiques des gens de pouvoir. Le film se plait ainsi à montrer que la politique est d’abord une histoire de relations humaines. À ce titre, on retiendra surtout la belle et complexe connexion entre la Présidente et son secrétaire général, couple platonique et duo tactique ayant œuvré ensemble pour arriver au sommet de la pyramide étatique. Mais cette orientation de la sensibilité profonde des personnages politiques est également la faiblesse du film. Le scénario dérape en effet parfois sur des embranchements inutiles, à l’image du rôle de la fille de la Présidente – qui ne sert qu’à appuyer maladroitement les dilemmes personnels de la cheffe d’État. La jeune actrice Luna Lou n’en est pourtant pas responsable, alors qu’elle tente désespérément de faire exister ce personnage à la justification scénaristique discutable.

©Pyramide distribution

Prison dorée

Diastème se concentre sur l’isolement de ses protagonistes au sein de l’Élysée. Isolement psychologique, mais également physique, puisque la majorité du récit se concentre entre les quatre murs du palais présidentiel et de ses dorures. Les rares sorties de la Présidente sont toujours dans des décors peu reconnaissables et impersonnels, à l’occasion de furtives visites officielles. Le postulat très en vogue des politiques hors sol dans notre réalité démocratique est ainsi particulièrement bien mis en images tout au long du film. Les maîtres ne se mélangent pas au peuple : des murs de l’Elysée à leurs appartements personnels, en passant par les voitures officielles, ils sont seuls. La perte de contact avec la société réelle isole les protagonistes et les rend même physiquement malades. La notion de classe vieillissante et déconnectée se fait ainsi fortement ressentir ; d’autant que dans Le Monde d’hier, le peuple français est systématiquement effacé du cadre.

Politiquement correct

Alors que le candidat d’extrême-droite s’apprête à remporter la prochaine élection, le long-métrage soulève de sérieuses problématiques : faut-il s’écarter de l’État de droit pour empêcher l’innommable d’advenir ou faut-il respecter, quoi qu’il arrive, le jeu démocratique ? Et si Le Monde d’hier parvient à alerter sur la radicalisation des gouvernements d’Europe et du monde, il ne s’attarde malheureusement jamais à en examiner les causes. À l’image de ces puissants personnages, le film semble partir du postulat que le peuple se tourne vers l’extrême-droite par contamination virale. Or, si l’on approuve la description d’une classe politique mourante et en incapacité d’analyser les raisons du succès de l’extrême-droite, on regrette que le film n’en donne jamais les clés, même en sous-texte. Il aurait en effet été opportun de démontrer que le monde d’hier reste malheureusement celui d’aujourd’hui, précisément à cause des gens de pouvoir. Le Monde d’hier aurait pu s’assumer en tacle acide sur l’incapacité des classes politiques à se remettre en cause, mais fait finalement passer ces dernières pour des personnages, certes indolents, mais gentiment animés par des principes moraux indépassables. Dommage !

Le Monde d’hier, de Diastème, avec Léa Drucker, Denis Podalydès, Alban Lenoir. 1h29. En salle le 30 mars 2022.

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