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Le spoiler, une règle à ne jamais briser

23 mars 2022
Par Lisa Muratore
L’épisode des Noces Pourpres dans “Game of Thrones”.
L’épisode des Noces Pourpres dans “Game of Thrones”. ©HBO

Le spoiler est un phénomène contemporain inédit. Les spectateurs ont construit une véritable culture autour de lui. Une évolution qui en dit long sur nos habitudes de consommation, sur nos comportements, et qui n’échappe pas à quelques dérives.

Tu ne spoileras point. C’est sûrement l’un des commandements les plus importants du divertissement aujourd’hui. Il s’agit d’une règle d’or et quiconque oserait l’enfreindre pourrait se heurter à des représailles. La révolution Internet et l’arrivée de fictions inédites ont renforcé cette obligation de ne pas divulgâcher, comme on dit en français, le plaisir des spectateurs.

Rien de pire que de connaître la fin du film ou les événements cruciaux d’une série avant même de l’avoir regardée. Cette peur et sa pratique ont d’ailleurs influencé nos comportements et notre manière de consommer les formats audiovisuels. À l’accord tacite de ne rien dévoiler a succédé la fameuse – et parfois inutile – spoiler alert.

De la Bible à Game of Thrones

Si le mot trouve son origine prophétique dans la Bible, spoiler signifiant « dévastateur », sa pratique est cependant plus récente. À partir des années 1970, il devient le péché moderne. On voit apparaître le terme dans plusieurs recherches avant qu’il ne soit utilisé à partir de 1982 dans des discussions pour évoquer la sortie de Star Trek II : la colère de Khan. Quelques années plus tard, avec les débuts d’Internet, le spoiler est vu comme une révélation indésirable. Il est notamment utilisé par les fans de la série X-Files : aux frontières du réel. C’est le début d’un phénomène que cultiveront par la suite des films comme The Usual Suspects (1995, Bryan Singer), Le Sixième Sens (1999, M. Night Shyamalan) ou encore Fight Club (1999, David Fincher). La culture du spoiler va donc de pair avec celle du plot twist.

La fin du Sixième Sens fait partie des plot twist à ne pas spoiler.©Gaumont Buena Vista International

À partir des années 2010, l’arrivée de Game of Thrones et l’avènement des réseaux sociaux ancrent la tradition des spoilers dans nos habitudes. Cette série désormais culte se construit autour d’une communauté solide et le mot spoiler entre alors dans le vocabulaire commun des spectateurs. Il ne faut pas non plus oublier que, lorsque la première saison est diffusée en 2011, côté littérature, George R.R. Martin en est déjà au cinquième livre. Ses fidèles lecteurs connaissent donc déjà les rebondissements majeurs de l’univers d’heroic fantasy. La menace du spoiler est partout.

Le spoiler : entre union et peur

GoT est souvent assimilé à la dernière grande série de la télévision. Sa narration a participé à construire un véritable engouement et, au fil de ses huit saisons, le show prouve qu’il peut continuer d’étonner. Qui dit sortie d’un nouvel épisode dit florilège de théories, de teasing, de mèmes et donc de potentielles révélations croustillantes sur les réseaux sociaux.

Emilia Clarke dans la dernière saison de Game of Thrones.©HBO

L’omniprésence d’Internet et la culture de masse qui en découle sont non négligeables dans la culture du spoiler et dans l’importance de Game of Thrones comme catalyseur. Chaque internaute pense que son avis sur tel ou tel épisode est indispensable et la communauté que la série de David Benioff et D.B. Weiss fidélise tend à exacerber les comportements autour du spoiler, qu’il soit respecté ou non.

Si aujourd’hui cette culture est d’autant plus significative, c’est aussi à cause de notre façon de consommer le cinéma et les séries. L’arrivée des plateformes de streaming légal a bouleversé nos habitudes de consommation. Le rassemblement quasi religieux en prime time a été remplacé par des contenus multiples et accessibles, à dévorer quand on le souhaite.

La série culte des années 1990, X-Files.©Fox

Mais le spoiler fascine autant qu’il effraie. Il nous inquiète, car il représente la vitesse inédite à laquelle fonce la culture, et qu’on a du mal à suivre. La peur qu’il suscite s’explique aussi par la crainte d’un événement imminent. Ça peut être l’interprétation d’un futur sombre, comme le faisait X-Files, ou la mort d’un personnage cher à nos yeux. Le passé peut également provoquer une certaine ferveur, mais ici ce qui nous angoisse le plus, c’est finalement qu’il y ait quelque chose à spoiler plutôt que le spoiler en lui-même.

Pour le prévenir, certains spectateurs vont adopter un comportement particulier, voire exagéré. Il peut aller de l’installation d’un pare-feu anti-spoilers sur son feed, au supplice d’une nuit blanche pour voir le plus rapidement possible le dernier contenu.

Les dérives du spoiler

Cette attitude interroge sur les « dangers » liés aux spoilers. Outre la crainte, ils peuvent provoquer la colère. Et, dans ce cas, spoiler rime souvent avec punition. Par exemple, une application propose d’envoyer anonymement des spoilers à des victimes désignées. La rancœur peut aussi être violente physiquement. En Antarctique, un chercheur russe a poignardé l’un de ses collègues qui n’arrêtait pas de lui raconter la fin de ses livres.

À côté du danger psychologique ou physique, la culture du spoiler représente un risque dans notre capacité à apprécier l’ensemble de la fiction. C’est d’ailleurs ce que pointe l’essayiste Pacôme Thiellement. « Se focaliser sur un élément de dénouement, c’est être purement passif et s’arrêter au spoiler, c’est tellement pauvre. Il y a 1 500 autres manières de lire un récit. Le vrai mystère de la fiction, c’est pourquoi elle nous parle. » C’est pour cette raison qu’il encourage à se libérer du spoiler et de sa pression. Un choix que certains ont déjà fait à travers le mouvement « Spoilers, please ».

Brad Pitt et Edward Norton dans Fight Club.©Splendor Films.

Malgré cela, la culture des spoilers a encore une longue vie devant elle. Son respect oblige même les productions à prendre des précautions inédites aujourd’hui. Elles cachent désormais des éléments essentiels sur leurs tournages, et les acteurs et les réalisateurs n’hésitent pas à prendre la parole sur les réseaux sociaux afin de dissuader les amateurs de spoilers. En 2019, durant la promotion d’Avengers: Endgame, les studios Marvel ont dégainé des messages anti-spoilers à coup de spots publicitaires. Les frères Russo ont aussi tourné des scènes alternatives pour garantir le secret le plus total et remis à leurs comédiens seulement des parties précises du scénario. Comme quoi, pour garantir le secret du spoiler, tous les moyens sont bons. Encore faut-il les avoir.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste