Entretien

Marine Leonardi pour Mauvaise graine : “L’intime est ce qu’il y a de plus universel”

23 décembre 2025
Par Anaïs Viand
Marine Leonardi dans “Mauvaise graine”.
Marine Leonardi dans “Mauvaise graine”. ©Charlotte Abramow

Humoriste révélée par les réseaux sociaux, Marine Leonardi a pourtant écrit son spectacle Mauvaise graine bien avant les face-cam qui l’ont fait connaître. Sur scène, elle revendique un stand-up frontal, intime, profondément ancré dans le réel : maternité, corps, désir, charge mentale. À travers l’autobiographie, elle touche à l’universel et déconstruit les attentes assignées aux femmes – sans jamais trahir la vérité de son vécu. Rencontre avec une artiste pour qui l’intime est un geste politique.

Revenons au commencement. Pouvez-vous nous parler de la vidéo qui a tout lancé et qui vous a donné envie de continuer ?

Je crois que c’était le 23 janvier 2024. J’avais environ 20 000 abonnés. Je faisais déjà des vidéos, surtout des reprises de trends, et j’ai eu envie de m’adresser directement à mon futur public, face caméra, en plan-séquence, sans couper. J’y raconte des choses très banales : ma fatigue, ma fille qui entre dans le champ pour me demander de signer son carnet. La vidéo est un peu bancale, mais elle fait entre 200 000 et 300 000 vues. Le lendemain, je poste une vidéo sur les mercredis avec les enfants. Elle fait plusieurs millions de vues. J’ai mes premiers haters dès la deuxième vidéo. Et à la fin, je dis spontanément : “Vous n’êtes pas seul·e·s.” Dans les commentaires, les gens me disent que ça leur fait du bien. C’est là que je me dis que quelque chose se passe.

Y a-t-il eu un déclic pour quitter le monde de la grande entreprise ?

Non, pas de déclic. Ça s’est fait progressivement. J’ai longtemps jonglé entre les deux activités : j’ai vraiment commencé le stand-up en juin 2021 et j’ai démissionné en novembre 2023. J’aimais plutôt mon travail, je voulais être sûre. En 2023, il y a eu un ras-le-bol des PowerPoint et des tableaux Excel. Surtout, j’avais de plus en plus de dates sur scène.

Était-ce une nécessité ou un désir ancien ?

J’ai toujours senti que j’étais faite pour une vie artistique, mais c’est quelque chose que beaucoup de gens ressentent sans parvenir à le concrétiser. Je n’ai jamais attendu d’être au bout du rouleau : j’ai fait dix ans de théâtre, écrit une pièce, exploré. Sans ce chemin-là, je ne serais pas arrivée au stand-up.

Y a-t-il une humoriste qui vous a donné envie de monter sur scène ?

C’est une réponse assez classique, mais Florence Foresti, évidemment. Pour les femmes de ma génération, elle a été déterminante : elle a rendu possible l’idée qu’une femme puisse occuper la scène avec cette énergie-là. Muriel Robin aussi, d’une certaine manière, avec des sketchs comme L’addition. Et puis Pierre Palmade, Gad Elmaleh… J’ai l’impression qu’on a grandi avec de très beaux exemples d’humoristes populaires, et c’était précieux.

Mauvaise graine est un spectacle très frontal, très intime. À quel moment avez-vous senti que cette forme s’imposait ?

Je ne l’ai jamais vraiment théorisée. J’ai toujours été comme ça. Pour moi, l’intime n’a rien de choquant. Au contraire : c’est souvent là que se nichent les dénis, les faux-semblants, les non-dits. Avant de jouer le spectacle, j’ai fait énormément de comedy clubs. Je me suis habituée à mon propos. Quand le spectacle a rencontré un public plus large, j’étais déjà au clair avec qui j’étais. Je suis parfois surprise quand on me dit que c’est “trash” ou “frontal”. Moi, je le vis simplement comme ma manière d’être.

Ne vous êtes-vous jamais demandé si vous alliez trop loin ?

Si, bien sûr. En comedy club, beaucoup d’hommes – dans le public comme parmi les humoristes – me disaient : “Attention, ce n’est pas joli dans la bouche d’une femme.” On me reprochait aussi de trop parler de moi. Ce qu’ils ne comprenaient pas, c’est que parler de soi, c’est parler des autres. J’ai eu des doutes. On me disait que c’était niche, que je parlais de mon périnée… J’ai essayé de changer, de chercher ce qui pouvait “marcher avec tout le monde”. Mais je revenais toujours aux mêmes sujets : le corps, la maternité, le désir. À un moment donné, j’ai décidé d’assumer. S’il y avait un public, tant mieux. Sinon, l’avenir le dirait.

Aujourd’hui, l’intime semble justement toucher un public très large.

Oui, et pas seulement grâce à moi. Avec d’autres humoristes, on a compris qu’il valait mieux être très spécifique que de chercher un universel mou. L’intime est profondément universel.

Quelle est la chose que le public découvre sur scène et qu’il ne connaît pas encore de vous à travers les réseaux sociaux ?

On me dit souvent que je suis très différente sur scène : plus construite, plus fouillée. Et que c’est mieux. Le spectacle n’est pas une redite des face-cam. Ce n’est pas un medley de vannes issues des réseaux. J’ai écrit le spectacle avant de me lancer en ligne. Il a ensuite été enrichi, bien sûr, mais il n’a jamais été pensé comme une déclinaison.

« Dire que la charge mentale détruit l’individu, le couple, le désir, c’est politique. »

Marine Leonardi

Le corps, la sexualité, le désir sont très présents dans votre spectacle, plus que sur vos contenus diffusés sur vos réseaux…

Parce que c’est politique. Dire que la charge mentale détruit l’individu, le couple, le désir, c’est politique. Il y a aussi un décalage qui fonctionne : je renvoie une image très rangée, et cette personne parle de périnée, de sexe, de désir. Ça fissure une image d’Épinal, et ça touche aussi beaucoup d’hommes.

Dans le spectacle, vous dites : “Tout est vrai.” Est-ce réellement le cas ?

Tout tend vers la vérité. Disons que c’est vrai à 80 %. J’exagère parfois, j’amoindris ailleurs, je peux attribuer à mon mari une situation qu’il n’a pas vécue, mais dont je sais qu’il est capable. Mais je le fais rarement. Rien n’est plus drôle que la réalité, à condition d’y rester fidèle.

« La maternité a décuplé mon féminisme. J’ai compris à quel point le système était défavorable pour les femmes. »

Marine Leonardi

Où commence la mise en scène et où s’arrête le réel ?

C’est flou. Il y a une cohérence de personnalité à respecter. Mon mari ne peut pas avoir tous les défauts du monde. Je veux que les gens comprennent qui il est : un homme bien, avec des défauts hérités du patriarcat, comme beaucoup. Si je charge trop la barque, les gens n’y croient plus.

Vous dites être “nulle à chier en éducation”. Est-ce un doute réel ?

Oui, complètement. Je trouve ça extrêmement difficile. C’est une responsabilité énorme. Je me trompe souvent. La seule chose que je fais, c’est m’expliquer beaucoup avec mes filles, leur dire quand je me plante, leur dire que je les aime, et essayer de les écouter.

Marine Leonardi dans Mauvaise graine.©Charlotte Abramow

La maternité a-t-elle modifié votre rapport au corps et au désir ? Qu’en est-il de votre rapport à la liberté de parole ?

La liberté de parole, je l’ai toujours eue. En revanche, la maternité a décuplé mon féminisme. J’ai compris à quel point le système était défavorable pour les femmes. C’est là que j’ai commencé à ouvrir davantage ma bouche.

Et votre rapport à la transmission ?

Je me méfie beaucoup de l’adulte qui se présente comme sachant. On est submergés d’informations sur la parentalité. À un moment, j’ai décidé d’écouter ce que je ressentais. Quand on me demande ce que j’aimerais transmettre à mes filles, je réponds souvent : rien. Ou en tout cas, rien de conscient.

Marine Leonardi dans Mauvaise graine.©Charlotte Abramow

Comment définiriez-vous la mère que vous êtes aujourd’hui ?

Approximative, mais très volontaire. Et je culpabilise assez peu. J’ai un métier prenant, je ne suis pas toujours là comme je le voudrais, mais mes filles voient une femme qui a pensé à elle. J’espère que ça leur donnera envie, plus tard, de penser à elles aussi.

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Une recommandation culturelle pour finir ?

Je viens tout juste de commencer la lecture du roman Des bateaux sur la terrasse de mon ami Jessé Rémond Lacroix. Il a par ailleurs un spectacle incroyable qui s’appelle Message personnel. Je viens de l’entamer et je suis très enthousiaste. Il y déploie un ton très personnel. Cette intimité, il l’a déjà dans son spectacle, mais là, c’est différent : il y a moins la touche humour. On est vraiment sur quelque chose de très personnel, très profond. Il raconte son histoire, une histoire de filiation très forte. C’est ce qui me touche particulièrement. Je suis très émue par ce texte et je trouve que c’est extrêmement bien écrit.

Mauvaise graine, de Marine Leonardi, en tournée dans toute la France du 9 janvier 2026 au 27 février 2027, au Théâtre des Variétés du 14 au 30 mai 2026, et à l’Olympia du 10 au 13 décembre 2026.

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