Critique

The Abandons : Gillian Anderson affronte Lena Headey dans un western trop classique

04 décembre 2025
Par Marion Olité
“The Abandons”, à voir sur Netflix à partir du 4 décembre.
“The Abandons”, à voir sur Netflix à partir du 4 décembre. ©Netflix

Le créateur de Sons of Anarchy est de retour sur Netflix avec The Abandons, un western centré sur l’affrontement entre deux matriarches, incarnées par Gillian Anderson et Lena Headey. Un casting alléchant sur le papier, mais qu’en est-il sur les écrans ?

Avant même de savoir de quoi retourne The Abandons, l’annonce de son casting nous procurait déjà des frissons de plaisir : Lena Headey, inoubliable Cersei Lannister dans Game of Thrones, allait partager l’affiche avec Gillian Anderson, actrice incontournable du monde des séries depuis X-Files. Sentant le bon filon, Netflix a donné son feu vert à ce western concocté par Kurt Sutter, le créateur de Sons of Anarchy. Le bel attelage de The Abandons avait donc de quoi intriguer tout fan de séries qui se respecte.

L’histoire prend place dans les années 1850 en Oregon, au nord-ouest de l’Amérique, dans une ville baptisée « La Crête de l’ange ». Constance Van Ness (Gillian Anderson), une riche aristocrate européenne, récemment veuve et mère de trois enfants, tient la ville dans la paume de sa main et étend son pouvoir en rachetant les terres de ses voisins. Son expansion se heurte à un mur, qui prend les traits de Fiona Nolan (Lena Headey). Cette Irlandaise, pieuse et incorruptible, à la tête d’une famille d’orphelins, refuse de vendre ses terres. Après de la disparition d’un enfant Van Ness, qui implique les Nolan, la tension monte entre les deux camps…

La rencontre du feu et de la glace

Les rôles de Fiona et Constance, chacune badass à leur façon, semblent avoir été taillés sur mesure pour les deux actrices. La première représente la classe populaire, la justice et l’idée de famille choisie. Stérile, Fiona a adopté plusieurs enfants au cours de sa vie, pauvres ou rejetés en raison de leur couleur de peau (ce qui la place par ailleurs dans le rôle problématique de la « sauveuse blanche »). Très croyante, mais aussi sanguine, Fiona est prête à tuer pour protéger les siens. C’est aussi le cas de Constance Van Ness, qui se salit moins les mains directement, mais fait régner son autorité froide et aristocratique sur La Crête de l’ange en n’hésitant pas à avoir recours à des méthodes mafieuses (intimidation avec des hommes de main, sabotage de bétail) pour étendre sa mainmise financière sur la région.

THE ABANDONS. (L to R) Lucas Till as Garret Van Ness, Gillian Anderson as Constance Van Ness, Toby Hemingway as Willem Van Ness, and Aisling Franciosi as Trisha Van Ness in Episode 101 of The Abandons. Cr. COURTESY OF NETFLIX © 2025
Lucas Till et Gillian Anderson dans The Abandons.©Netflix

Dans ce face-à-face attendu entre deux matriarches aux méthodes opposées, mais aux objectifs assez similaires (protéger les leurs et leur héritage), Gillian Anderson et Lena Headey insufflent la bonne dose d’intensité à leur interprétation. Leurs échanges intenses réveillent une série qui ne les sert pas à leur juste valeur. Le constat déceptif est d’autant plus rageant qu’on avait envie d’adorer The Abandons ! Le casting, principal comme secondaire (Nick Robinson, Lamar Johnson ou Aisling Franciosi assurent leur partition dans cette série très chorale), n’est pas à mettre en cause dans ce résultat mitigé.

La place des personnages féminins dans un western

Vétéran des séries, Kurt Sutter s’est épanoui à la fin des années 2000, sur la chaîne du câble américain FX et dans des séries testostéronées (Sons of Anarchy, The Shield, Mayans M.C.). Il excelle à dépeindre des personnages masculins dévorés par leurs démons intérieurs et spectaculairement violents. Le showrunner planche d’ailleurs sur une nouvelle série pour Apple TV+, Nomad, avec Jason Momoa en roi des bikers hors-la-loi de la Nouvelle-Zélande. Allait-il pouvoir créer des personnages féminins crédibles, dans un univers, le western, où elles ont longtemps fait tapisserie dans des rôles secondaires d’épouses sacrificielles ou de pauvres victimes ?

THE ABANDONS. (L to R) Clayton Cardenas as Quentin Serra, Elle-Máijá Tailfeathers as Oma Serra, Katelyn Wells as Samara Alderton, Lena Headey as Fiona Nolan, Nick Robinson as Elias Teller, and Diana Silvers as Dahlia Teller in Episode 101 of The Abandons. Cr. MICHELLE FAYE/Netflix © 2024
Clayton Cardenas, Elle-Máijá Tailfeathers, Katelyn Wells, Lena Headey, Nick Robinson et Diana Silvers dans le premier épisode de The Abandons.©Netflix

Il s’agissait de ne pas plaquer des comportements typiquement masculins sur ces personnages féminins et, en même temps, de ne pas tomber dans le piège inverse, qui consiste à les essentialiser et à les réduire à leur rôle de mères. Constance et Fiona se parlent et tentent de régler leurs différends autrement que par la violence. Dans l’épisode 2, elles doivent même s’allier pour traquer un ours qui menace la communauté. Cela raconte une autre manière de gérer le pouvoir. Ce qui ne veut pas dire que les deux femmes ne se montrent pas violentes, dans un univers aussi hostile, quand la nécessité s’en fait sentir.

En revanche, les deux matriarches apparaissent trop contemporaines dans leurs attitudes (des réflexions peu subtiles sur le fait d’être une femme, etc.) pour rendre cet univers vraiment crédible. Elles sont aussi desservies par des dialogues peu subtils et qui manquent de férocité. En comparaison, le personnage retors de Sara Rowell (incarné par Betty Gilpin) dans À l’aube de l’Amérique, un autre western Netflix se déroulant à la même époque que The Abandons, était autrement plus convaincant.

Des remous en coulisses 

En coulisses, la fusion entre Kurt Sutter « le rebelle » et Netflix « la rassembleuse » n’a pas pris. En effet, le créateur a quitté le tournage de The Abandons trois semaines avant son bouclage. La projection d’un épisode pilote de plus de 100 minutes, jugé beaucoup trop long et brouillon aux yeux de Netflix, a mis le feu aux poudres. Aucune des parties n’a communiqué officiellement sur ce différend et les producteurs exécutifs Otto Bathurst et Rob Askins ont pris le relais, coupant le pilote en deux.

THE ABANDONS. (L to R) Diana Silvers as Dahlia Teller, Lamar Johnson as Albert Mason, Natalia del Riego as Lilla Belle, and Nick Robinson as Elias Teller in Episode 103 of The Abandons. Cr. COURTESY OF NETFLIX © 2025
Diana Silvers, Lamar Johnson, Natalia del Riego et Nick Robinson dans l’épisode 3 de The Abandons.©Netflix

Reste que Kurt Sutter a tout de même écrit et tourné la majorité de cette première saison inégale de The Abandons, composée de sept épisodes. La série se révèle trop lisse, comme si le showrunner avait eu peur de salir ses actrices, ce qui ne le gênait pas avec le cast majoritairement masculin de Sons of Anarchy.

Un western trop lisse

Tous les ingrédients d’un western classique sont là : la lutte pour la possession des terres, une romance impossible, les enjeux raciaux et l’anéantissement des clans natifs américains… Mais le résultat final manque de « pep’s », surtout comparé au dernier mètre étalon du genre, la sulfureuse Yellowstone. La reconstitution historique est du même acabit : rien ne distingue La Crête de l’ange d’une autre série western prenant place à la même époque.

THE ABANDONS. Lena Headey as Fiona Nolan. Cr. MATTHIAS CLAMER/Netflix © 2024
Lean Headey dans The Abandons.©Netflix

Excepté les costumes de Constance, plutôt réussis, le reste de la garde-robe des habitants reflète cette même sensation de déjà vu, en mieux. Est-ce la faute de Netflix et de sa tendance à uniformiser la fiction ? Ou à Kurt Sutter qui n’a pas su trouver le souffle nécessaire pour enflammer ce scénario ?

Toujours est-il que la série souffre d’un problème de rythme général. D’un côté, certaines séquences sont visiblement trop courtes au vu des enjeux et trahissent une série prisonnière de son format. De l’autre, la tension monte beaucoup trop lentement durant la première partie de la saison.

THE ABANDONS. (L to R) Nick Robinson as Elias Teller and Aisling Franciosi as Trisha Van Ness in Episode 101 of The Abandons. Cr. Michelle Faye/Netflix © 2024
Nick Robinson et Aisling Franciosi dans le premier épisode de The Abandons.©Netflix

Malgré ces défauts, The Abandons est portée par deux actrices qui ne manquent pas de caractère et sauvent presque la série à elles toutes seules. L’avenir nous dira si Netflix donne une seconde chance à The Abandons, qui pourrait prendre son envol si les scénaristes musclaient leur plume et laissaient leurs deux anti-héroïnes véritablement lâcher leurs furies intérieures.

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