Le musée des Arts asiatiques de Paris ouvre les portes de sa nouvelle exposition consacrée à la bande dessinée japonaise. Depuis le 19 novembre et jusqu’au 9 mars prochain, le parcours propose une immersion dans les œuvres et les courants qui ont façonné le manga et accompagné son ascension fulgurante jusqu’au rang d’icône de la pop culture.
Longtemps cantonnée à la culture populaire, la bande dessinée a (enfin) trouvé sa place dans la grande classification des arts dans les années 1960. Sous l’impulsion de figures comme Morris, cocréateur de Lucky Luke, puis avec la création du Festival d’Angoulême en 1974, le « 9e art » s’impose au fil des décennies. Lorsque la reconnaissance devient internationale dans les années 1990, un autre phénomène éditorial explose : le manga, devenu l’un des genres littéraires les plus diffusés au monde.
Un musée transformé en initiation au manga
Depuis le 19 novembre et jusqu’au 9 mars 2026, le musée des Arts asiatiques Guimet lui rend hommage avec l’exposition Tout un art !, retraçant les influences qui l’ont façonné. « Nous souhaitions faire plus qu’un simple alignement de planches, en l’introduisant de manière innovante et créative », a déclaré la présidente du musée, Yannick Lintz, à l’occasion d’un vernissage organisé pour la presse. Une ambition réussie, grâce à une scénographie ample et fluide, pensée comme une traversée.

Chronologiquement, la visite débute au deuxième étage avec la section Avant les mangas, qui invite à « chausser des lunettes manga » pour reconnaître, dans l’art japonais des XVIIIe et XIXe siècles, les prémices du genre. Livres illustrés (yomihon), récits graphiques et caricatures de Kawanabe Kyōsai dévoilent déjà des animaux anthropomorphes, des scènes absurdes et un goût prononcé pour la fantaisie – autant d’éléments qui résonneront plus tard dans les shōnens. Le folklore y est omniprésent, tout comme cette irrévérence envers les divinités que l’on retrouvera dans des œuvres modernes comme Dragon Ball ou Noragami.
La naissance du manga moderne
Le gros de la visite se fait au rez-de-jardin, où l’on s’engage dans un parcours s’ouvrant sur les vraies origines de la BD japonaise, qui émerge des échanges avec l’Occident à la fin du XIXe siècle. L’Américain Charles Wirgman, puis le Français Georges Bigot importeront la satire graphique, matrice d’une narration séquencée. Rapidement apparaissent de grandes figures fondatrices, comme Norakuro, le « Félix le chat japonais », mais surtout Astro Boy d’Osamu Tezuka, véritable pilier de l’animation et premier succès mondial.

Les années 1960-1970 témoignent d’une diversité insoupçonnée. Le mouvement gekiga impose un dessin dramatique, adulte, sombre. On ne peut que faire une pause devant les planches de La chute du château d’Hirata Hiroshi, réalisées à l’encre de Chine, dont les contrastes expressionnistes et la densité du trait donnent une impression saisissante de mouvement. On mesure alors combien le manga s’est rapidement affranchi de l’idée d’un simple divertissement pour enfants.

Puis viennent les géants récents. Le shōjo est principalement représenté avec La rose de Versailles, dans un espace un peu restreint à notre goût. Lui succèdent Fairy Tail, Dragon Ball, Naruto, One Piece, Demon Slayer et L’attaque des titans. Dans chaque salle, les planches font face à des objets historiques du musée : des représentations historiques de La pérégrination vers l’Ouest, matériel original qui a inspiré les aventures de San Goku ; des estampes d’Utagawa Kuniyoshi et des incarnations du renard à neuf queues, qui ont précédé Kyûbi.

La vague, matrice visuelle et mythe culturel
Point d’orgue du parcours : une salle immersive entièrement consacrée à La grande vague de Hokusai (au deuxième étage). L’estampe – imprimée entre 5 000 et 8 000 fois – fascine par son souffle, l’intensité du bleu de Prusse et une perspective d’une modernité saisissante pour l’époque. Le parcours rappelle qu’elle doit son statut d’icône mondiale surtout à la fascination occidentale, jusqu’à influencer la ligne claire de la BD européenne.

Autour de l’estampe, la mise en dialogue est remarquable et témoigne des nombreuses réinterprétations de l’œuvre. On découvre notamment une robe Dior de 2007, la planche apocalyptique de Milo Manara mêlant Vague et fin du monde dessinée au stylo bille (dans L’odyssée de Giuseppe Bergman), ou encore le dessin de Coco, habité par la dévastation intérieure des attentats de Charlie Hebdo de 2015.
Une exposition pour passionnés et curieux
Tout un art ! séduira les amateurs désireux de comprendre les racines du genre autant que les néophytes souhaitant découvrir le phénomène. Les fans de shōnen n’y apprendront pas de secrets sur leurs œuvres favorites, mais les retrouver sous l’angle de l’histoire de l’art – et admirer des planches originales – suffit à rendre la visite intéressante. Ils pourront également s’arrêter pour un moment de lecture à la bibliothèque en accès libre, au cœur de la visite.
En bref, une exposition généreuse qui rappelle que, si le manga domine aujourd’hui la pop culture, c’est parce qu’il s’inscrit au croisement de traditions, de cultures et d’une imagination sans frontières. L’exposition s’accompagnera de plusieurs événements dans les mois à venir : spectacles, rencontres, conférences, visites commentées… Toutes les informations sont à retrouver sur le site du musée Guimet.