Critique

Pluribus : bienvenue dans la fin du monde, veuillez rester souriants

07 novembre 2025
Par Sarah Dupont
“Pluribus”, à partir du 7 novembre 2025 sur Apple TV+.
“Pluribus”, à partir du 7 novembre 2025 sur Apple TV+. ©Apple TV+

S’effacer pour mieux exister : qui dit mieux ? Ce 7 novembre, Vince Gilligan (Breaking Bad) signe une fable d’anticipation existentielle, toujours nourrie de satire et d’humour noir, dans laquelle l’humanité se reprogramme en conscience collective absolue. Une proposition audacieuse et subtilement dérangeante.

Lorsque j’ai lancé le premier épisode de Pluribus, j’ai rapidement réalisé qu’il me faudrait mettre sur pause plus vite que prévu. Pas pour digérer une scène particulièrement troublante ou savourer un plan ; mais pour tenter de comprendre ce que je venais d’entendre. « Système à quatre valeurs », « virus lysogénique » : pour être honnête, ce vocabulaire m’a d’abord évoqué un charabia pseudo-scientifique que j’allais avoir du mal à suivre.

Par réflexe scolaire, j’ai ouvert un onglet de recherche pour découvrir, avec une certaine surprise, que ces termes ne relevaient pas du simple folklore de laboratoire, mais d’authentiques notions scientifiques. J’ai vite été rassurée : nul besoin de réviser ma biologie moléculaire pour suivre les minutes suivantes, ce préambule ne constituait en réalité qu’une porte d’entrée vers un tout autre vertige.

Une apocalypse ordonnée

Ce 7 novembre, Apple TV+ dévoile les deux premiers épisodes de cette nouvelle série, poursuivant sa volonté d’imposer ses propres univers originaux. Cette fois, c’est à Vince Gilligan qu’elle confie les clés. Le créateur de Breaking Bad délaisse les cartels et la morale acide de l’Amérique profonde pour un autre territoire : la science-fiction d’anticipation.

Rhea Seehorn dans Pluribus.©Apple TV+

Mais pas d’extraterrestres ni de soucoupes volantes ici ; la menace s’infiltre à bas bruit, par un signal venu de l’espace. Ce message, le fameux « système à quatre valeurs », se révèle être une séquence biologique (comme l’ADN humain). Persuadés de tenir une révélation historique, les chercheurs tentent d’en percer la logique. Un virus, un laboratoire, une erreur humaine… Vous voyez le schéma. À ceci près qu’ici, l’apocalypse est lente et organique, et conduit à un peu trop de sourires.

Une contamination polie

Vous l’aurez compris, dans Pluribus, la contamination ne relève ni de la morsure ni du carnage. Plutôt que les morts-vivants façon The Walking Dead, les spores de The Last of Us ou les corps accaparés des Âmes vagabondes, la transmission s’effectue par simple échange de salive. On pense davantage au Covid-19 ou à la mononucléose qu’au Cordyceps.

Pluribus.©Apple TV+

Sa conséquence, aussi, est tout autre. L’humanité ne s’effondre pas : elle se transforme. Se reprogramme. Même visage, même voix, mêmes souvenirs ; une seule chose disparaît : le libre arbitre. Une fin du monde en sourire poli, où l’individu s’efface au profit d’un organisme collectif absolu. L’idée d’une paix totale semble à portée de main, mais sans personne pour en mesurer le prix.

Une anomalie nommée Carol

Au centre de ce chaos trop organisé, il y a Carol. Écrivaine désabusée à l’humour au vitriol, elle demeure « humaine » quand tous les autres basculent – non par héroïsme, mais par anomalie biologique. Rhea Seehorn, magnétique comme dans Better Call Saul, porte cette dissonance avec une tension sèche, entre rage et lucidité.

Rhea Seehorn dans Pluribus.©Apple TV+

Car la mutation n’épargne pas tout le monde : Helen, sa compagne, n’y survit pas. La protagoniste se retrouve donc seule. D’abord parmi ces nouveaux êtres, incapables de violence, s’appliquant à la satisfaire tout en la scrutant comme une équation à résoudre. Mais aussi parmi ses derniers congénères « humains », dont les contradictions ne tardent pas à faire vaciller la certitude que l’humanité mérite d’être sauvée…

Esthétique bien pensée

À son scénario original, Pluribus ajoute une esthétique maîtrisée. Laboratoires chorégraphiés, palettes saturées presque néon, plans inattendus, caméras embarquées : Gilligan cherche l’innovation et déploie une mise en scène parfaitement alignée avec son propos.

Rhea Seehorn dans Pluribus.©Apple TV+

Le monde ralentit – sans pour autant s’immobiliser – et se range. On retrouve une certaine froideur ritualisée à la Severance, malgré les décors chauds et secs du Nouveau-Mexique où réside la protagoniste. L’effroi bascule : il ne naît plus du désordre, mais du contrôle absolu.

Le vertige du collectif total

Derrière ce vernis SF, la série ne joue pas vraiment dans la cour de l’anticipation. Gilligan ne cherche ni le spectaculaire ni l’hypothèse scientifique : il construit une fable philosophique, presque un manuel d’angoisse existentielle. La question centrale n’est finalement pas « Comment l’humanité luttera-t-elle ? », mais « À quoi bon ? ».

Rhea Seehorn et Karolina Wydra dans Pluribus.©Apple TV+

Dans ce monde sans violence apparente, qui repose tout de même sur l’élimination pure et simple de l’individualité, l’harmonie devient insupportable. Évidemment, Gilligan ne résiste pas à l’humour noir et à l’ironie, véhiculés par sa protagoniste cynique, pourtant déterminée à ne pas se faire happer et incarnant ainsi cette vieille mythologie américaine du sauveur solitaire – ici féminisée.

Pas un drame pandémique de plus, donc, mais une dystopie calme qui refuse la frénésie pour mieux faire monter l’angoisse. Certains y verront des lenteurs ; d’autres salueront ce pari. Dans sa manière de regarder l’humanité se dissoudre dans un sourire, Pluribus touche à quelque chose d’inconfortable et de puissant. Apple TV+ voulait une proposition singulière. Elle l’a.

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