Exposé pour la première fois depuis 17 ans, Le désespéré de Courbet fait son grand retour au musée d’Orsay. Un prêt exceptionnel du Qatar qui ravive les débats autour du patrimoine et de la diplomatie culturelle.
Les yeux écarquillés, les mains dans les cheveux, la chemise entrouverte, il fixe le spectateur. Ce visage, c’est celui de Gustave Courbet à 25 ans, immortalisé dans Le désespéré (1845). Le musée d’Orsay l’expose à nouveau à partir de ce 14 octobre pour cinq ans. Un événement culturel majeur, pour une œuvre qui n’avait pas vu le sol français depuis 17 ans, mais qui fait naître une controverse sur les conditions de sa mise à disposition, rendue possible par le Qatar Museums.
Une réapparition après des décennies d’absence
Car Le désespéré appartient aujourd’hui au musée qatari. Avant son rachat aux alentours des années 2010 (la date précise n’est pas connue), le tableau a longtemps été la propriété du fonds d’investissement artistique de la BNP Paribas. L’émirat l’a acheté dans la perspective de l’intégrer au futur Art Mill Museum de Doha, dont l’ouverture est prévue en 2030. De toute son existence, l’œuvre n’a jamais intégré les collections publiques françaises.
L’huile sur toile n’a été présentée au public français qu’à deux reprises en un demi-siècle : lors de la grande rétrospective Courbet de 2007-2008 à Paris, New York et Montpellier, et auparavant à la fin des années 1970. Pour Paul Perrin, conservateur en chef du musée d’Orsay, le tableau est « unique dans la production d’autoportraits de Courbet parce que c’est le plus halluciné, le plus fort en termes d’expression des émotions et des sentiments. C’est vraiment une démonstration de maîtrise picturale (AFP, cité par Beaux Arts). »
Un héritage éparpillé par l’exil
Condamné pour sa participation à la Commune de Paris en 1871 et pour avoir soutenu le déboulonnage de la colonne Vendôme, Courbet s’exile en Suisse pour échapper à la prison. Ruiné par les amendes, il vend ses toiles pour payer ses dettes, dispersant ainsi une grande partie de son œuvre.
L’origine du monde, longtemps propriété du psychanalyste Jacques Lacan, n’a rejoint Orsay qu’en 1995. Le désespéré, resté dans l’ombre des collectionneurs, devient aujourd’hui symbole de cet éclatement du patrimoine français.
« Un détournement symbolique »
Cette toute nouvelle exposition doit beaucoup à l’action de Sylvain Amic, nommé à la tête du musée d’Orsay en 2024, grand spécialiste de Courbet mais disparu le 31 août dernier. Avant son décès, il avait négocié ce prêt avec la princesse Sheikha al Mayassa, présidente du Qatar Museums. « Nous honorons aujourd’hui sa mémoire (…) avec la fierté de savoir que cette œuvre voyagera régulièrement entre Doha et Paris », a-t-elle déclaré à l’AFP.
Mais certaines critiques s’inquiètent d’un « détournement symbolique » de l’héritage de Courbet, figure de la liberté artistique, par une diplomatie culturelle étrangère qui investit massivement dans les trésors européens.
Un événement national autour de Courbet
Ce prêt s’inscrit dans un mouvement plus large de redécouverte de l’artiste. À Ornans, son musée natal, une exposition dévoilera sa correspondance privée et des archives inédites. À Besançon, d’autres musées mettent en lumière son engagement politique et sa modernité.
Plus d’un siècle et demi après sa mort, l’artiste, banni de son pays pour ses convictions, revient au centre de la scène culturelle française. Et, une fois encore, il ne laisse personne indifférent.