Avec son nouveau film Moi qui t’aimais, la réalisatrice Diane Kurys se penche sur le couple le plus célèbre d’une époque : Simone Signoret et Yves Montand. L’Éclaireur a rencontré les deux comédiens qui se sont glissés dans leur peau, Marina Foïs et Roschdy Zem, aussi complices dans la vie qu’à l’écran.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’interpréter Yves Montand et Simone Signoret après la lecture du scénario de Diane Kurys ?
Marina Foïs : Mais pourquoi refuser ? [Rires]
Roschdy Zem : Plus sérieusement, aucun de nous n’avait été confronté au genre du biopic et au fait d’interpréter des personnages célèbres.
M. F. : Oui, l’exercice du biopic est intéressant ! Je ne voulais pas mourir sans avoir joué dans un biopic. Quand j’incarne Hervé Guibert qui meurt du sida [dans la pièce de Christophe Honoré, Les idoles, ndlr], je ne suis pas un homme, je ne suis pas malade. Il y a donc des questions qui se posent, mais pas celle de la ressemblance. Simone Signoret était mon idole quand j’avais 16 ans, donc je ne pouvais pas refuser ce rôle-là. Je la connais déjà, ou, en tout cas, j’ai l’impression de la connaître. J’avais même le sentiment d’avoir un rapport privilégié avec elle puisque je l’ai tant aimée.

Aviez-vous déjà toute la matière documentaire pour vous glisser dans sa peau ?
M. F. : Je n’avais pas vu tous les films dans lesquels elle a tourné, mais j’en avais vu beaucoup. J’avais lu La nostalgie n’est plus ce qu’elle était et Le lendemain, elle était souriante… Je me souviens d’une de ses dernières interviews que j’avais vue à l’époque. Le journaliste lui dit : “C’est incroyable, votre esprit est si jeune” et elle répond franchement : “Quelle catastrophe de loger un esprit si jeune dans ce vieux tas de débris !” J’aimais bien cette insolence qui me racontait une femme hyper libre et détachée des injonctions qui torturent la vie. Elle était iconique pour moi, donc évidemment j’ai eu envie de la jouer. Aussi, quand on me le propose, j’ai l’âge qu’elle a quand commence le scénario et je désire parler de ce que c’est d’être une actrice de 50 ans, du couple public, d’avoir du pouvoir et du pognon, mais d’être une actrice engagée… Mais également d’un couple des années 1980, alors que moi je suis une femme de 2025. Tout me donnait envie dans ce film qui a une douce nostalgie sans être réac’.
Justement, Moi qui t’aimais est un film sur Signoret et Montand, mais est-ce qu’il n’a pas aussi une portée plus universelle, en racontant un couple et le portrait d’une femme libre et émancipée ?
M. F. : Oui, c’est le portrait d’une femme résolument moderne, féministe et libre. Elle ne se soumet pas aux injonctions de l’éternelle jeunesse et, en même temps, si on se penche sur sa vie intime, elle est une femme de son époque, qui encaisse. Dans la pensée commune, les hommes n’ont pas les mêmes besoins que les femmes, le désir féminin n’existe pas, la trahison est une chose avec laquellle on deal… Et Simone Signoret est en même temps tout à fait de son époque et pas du tout. C’est une figure très intéressante. Elle est bouleversante, car elle est très humble. D’un côté, elle a un destin extraordinaire et de l’autre une vie de femme douloureusement banale.

Et vous, Roschdy, aviez-vous un lien particulier à Yves Montand quand vous acceptez de l’interpréter ?
R. Z. : En préparant le film, j’ai un peu plus découvert l’homme que l’artiste. J’avais, notamment, sous-estimé sa part d’engagement politique. Le couple est engagé, mais il animait lui-même des émissions politiques à des heures de grande écoute sur une chaîne nationale, ça n’existe même plus aujourd’hui. Ce qui m’a également impressionné, c’est la part enfantine que l’on retrouve chez cet homme. Il avait une grande aisance et se sentait bien à la fois sur un plateau de cinéma et sur un plateau de télévision, mais, dès que l’on grattait un peu, on voyait aussi la douleur de son parcours. C’est quelque chose que j’aime essayer d’apercevoir chez un homme. Surtout, si je vais l’interpréter. Chez Yves Montand, c’est assez criant, il y a quelque chose qui émane de sa personnalité de fort et touchant, et je pense que c’est sûrement ce qui a dû séduire Simone Signoret.
M. F. : Oui, il y a quelque chose chez lui de complètement paradoxal, et qui me plaisait beaucoup quand je voyais Roschdy jouer. Il est brillant, joyeux, lumineux et en même temps… Tout ça est construit sur un complexe et la question de la légitimité pour celui qui vient d’un milieu immigré et pauvre. Pour Signoret, cette question-là ne se pose pas parce qu’elle vient d’un milieu immigré aussi, mais bourgeois et blanc…

Il y a une forme de mise en abîme intéressante. Vous êtes des comédiens qui interprètent des comédiens qui passent eux-mêmes leur temps à se mentir, à jouer l’un avec l’autre. Est-ce qu’il y a un plaisir de jeu d’incarner ces personnages ?
M. F. : C’est intéressant comme question parce que je me suis beaucoup demandé quand est-ce qu’elle dit vrai et quand est-ce qu’elle ment ou s’arrange avec la vérité… Elle répétait qu’à la fin elle aimait être avec un homme qui plaisait. Je pense qu’il y a des moments où c’est vrai. Ça peut être érotisant de vivre avec cet homme qui a plein de succès, qui est brillant, qui chante, qui danse… Et il y a d’autres moments où c’est l’enfer. Cette même phrase, elle peut la dire en mentant ou en le pensant.
« On raconte ces personnages ultrabrillants à l’endroit où ils tâtonnent dans l’intimité. »
Marina Foïs
R. Z. : Il y a beaucoup de questions auxquelles on n’a pas de réponse, parce que c’est très difficile d’imaginer ce qu’est une vie commune de 30 ans et tout ce qui la compose, donc on est obligé d’inventer, de fantasmer. Mais il y a quelque chose qui nous a beaucoup aidés, Marina et moi, c’est de restituer cette complicité que partageait Montand et Signoret. Nous, on a aussi une très grande complicité, depuis plus de 15 ans. C’est quelqu’un qui est très proche de moi dans la vie, c’est quelqu’un avec qui j’aime travailler. On s’appelle très souvent. C’était intéressant de se servir de ça, sans chercher à le maîtriser et le mettre en scène.

Diane Kurys fait le choix de se concentrer uniquement sur les dix dernières années de la vie de Simone Signoret, mais elle crée un pacte de fiction avec les spectateurs, puisqu’on vous voit en scène d’ouverture vous préparer physiquement pour ces rôles…
R. Z. : Oui, ça veut dire aussi que l’on va se raconter. Il y a un endroit où Montand et Signoret deviennent des prétextes pour qu’on se raconte en tant qu’acteurs, ainsi que Diane Kurys, la réalisatrice. Cette scène d’introduction est une invitation à ça, et c’est assez audacieux. Quand on voit le film, on voit que l’on n’est pas là pour incarner des personnages à proprement parler, mais plutôt pour les évoquer. Ça nous donne beaucoup de liberté, surtout qu’on s’est débarrassé de tous les artefacts. Ce qui est important, c’est de trouver sa liberté. Il faut proposer notre physique avec l’émotion qui est la nôtre, parce que quand vous avez du latex ou des prothèses, votre peau et votre visage ne vivent plus. Vous devez proposer autre chose, et, surtout, il y a souvent des interventions numériques. Pour ce film, c’était important que l’on soit entre guillemets à nu.
M. F. : Diane ne voulait pas du tout que l’on disparaisse. La scène d’ouverture raccorde avec une idée du film qui est de montrer deux artistes connus, mais par la loge et la répétition. C’est-à-dire de les raconter à travers le travail et la fabrication, et non par le succès et le résultat. C’est le point de vue de Diane. Le film montre tout ce qui précède ce que les gens voient. On raconte ces personnages ultrabrillants à l’endroit où ils tâtonnent dans l’intimité.
C’est aussi vos retrouvailles à l’écran. Vous aviez déjà joué un couple dans Happy Few d’Anthony Cordier. Roschdy Zem, vous avez dirigé Marina dans votre film Bodybuilder, puis il y a eu la série Les sauvages… Vous parliez de votre complicité dans la vie, comment la retrouvez-vous sur un plateau de cinéma ?
M. F. : Dans Les sauvages j’étais son garde du corps et je l’ai si mal protégé qu’il se fait tirer dessus dans la première scène ! [Rires] En fait, nous n’avons plus à faire connaissance et il n’y a plus tellement de pudeur, parce que je pense qu’en 15 ans d’amitié on a partagé les grandes joies et les tristesses. Et il reste l’admiration, comme au début. C’est un de mes acteurs préférés, mais c’est aussi quelqu’un dont je connais les doutes, certaines timidités, la drôlerie…
R. Z. : Ça permet un gain de temps considérable ! C’est-à-dire qu’il n’y a plus ces discussions sur les doutes ou l’appréhension. On s’aime ! C’est une étape sur laquelle on n’a pas besoin de revenir et ça se passe de mots. Là, on essaie d’en parler et j’ai beaucoup de mal, car on n’en parle jamais en réalité ! C’est très organique, ça passe par des échanges ou un sourire.
M. F. : Des fous rires aussi ! Et par exemple, sur ce tournage, on tournait toutes nos scènes ensemble, mais on déjeunait ensemble aussi. On ne pouvait pas aller à la cantine avec tout le maquillage, car elle était très loin. On nous apportait à manger dans les loges et moi, tous les jours, je prenais mon plateau pour aller manger dans sa loge, comme si ça ne nous suffisait pas de tourner ensemble toute la journée. Voilà, c’est ça notre lien.
R. Z. : Est-ce qu’on fera un film sur nous ?
M. F. : J’espère bien ! J’espère que je me jouerai !
R. Z. : J’espère que les gens comprendront surtout que je t’ai subie et non pas l’inverse, contrairement à Simone !
Qu’est-ce qui vous a le plus marqués pendant ce tournage ?
M. F. : Je me souviens d’une émotion particulière. On a tourné dans le restaurant Chez Paul, place Dauphine, qui est le restaurant collé à l’appartement où Montand et Signoret habitaient, qu’ils appelaient La Roulotte et qui était situé au rez-de-chaussée. En arrivant sur le tournage, comme j’ai du temps, je sors par-derrière, je vais voir l’appartement devant lequel j’avais déjà traîné en préparant le film et il se trouve que c’est ouvert. C’est une galerie aujourd’hui. Je rentre avec ma perruque de Simone et, alors que je ne suis pas mystique du tout, je me suis mise à toucher les murs comme pour récupérer des cellules mortes pour mieux jouer… La maison est pratiquement restée en l’état, je pense que c’est la même moquette qu’à l’époque. Je dois être un peu mystique avec Simone… Et en tournant dans le restaurant, je la sentais présente, je ne sais pas comment dire. Je ne crois pas aux esprits, mais elle a déjeuné là tous les jours quand elle était à Paris, c’est quand même émouvant d’avoir accès à ces véritables lieux.