Honneur aux premiers romans, pour mettre en lumière les nouvelles plumes et les jeunes talents.
| Mathilda di Matteo, La bonne mère
Le temps d’un week-end, Clara est de retour au bercail. Mais la Marseillaise, partie faire ses études à Paris au grand dam de ses parents, n’est pas venue seule. À son bras, un grand échalas aux manières de bourge, pire, un Parisien. La goutte de trop pour Véro, matriarche autoritaire, cagole excentrique qui dissimule derrière ses folles expressions une douleur intime et un regard acerbe sur le monde.
Alternant entre les points de vue de la mère et de la fille, on plonge dans un western domestique flirtant continuellement, sans jamais basculer, avec la caricature, tirant à vue sur tout ce qui obsède nos sociétés contemporaines : les transfuges de classes, l’héritage et la transmission, l’amour maternel, la violence des hommes… Intense, parfois cliché, drôle et enlevé, plus profond qu’il n’y paraît, il est là le nouveau roman marseillais.
| Robin Watine, Je rouille
Existe-t-il plus grande extase que celle des étés adolescents ? Prendre la route en direction du soleil, tout laisser derrière soi, s’offrir une parenthèse, sans entrave, avant de retrouver le cours de nos vies… Pour Noé, rien de tout cela. Gamin du Sud, fils de restaurateur de la côte, il est de ceux qui restent une fois les grandes vacances terminées. Et chaque année, c’est la même chose, il regarde partir Léna, la belle Parisienne, larme à l’œil, rage au cœur, rongé par un terrible sentiment d’infériorité.
Elle est charismatique, assurée, ambitieuse ; lui se cherche, horizon fixe, regard dans le vide : c’est perdu d’avance, alors pourquoi ne pas tout gâcher ? Réalisateur, Robin Watine écrit comme on filme, des images plein la tête. Il façonne un roman d’atmosphère hypnotique, écrasant, pour capturer le chaos des amours naissantes.
| Séphora Pondi, Avale
Dans la catégorie outsider venue se jeter dans le grand bain de l’écriture romanesque, j’aurais pu choisir la DJ et musicienne Rebeka Warrior, mais le livre m’a laissé sur ma faim, à rebours de l’enthousiasme ambiant. Mon regard s’est plutôt porté sur la pensionnaire de la Comédie-Française, Séphora Pondi. Son premier livre, Avale, est le symbole de tout le bien que fait à la fiction française le retour en grâce du genre. Elle raconte la collision entre une comédienne au « profil rare (…) noire, jeune et grasse », prête à exploser sur le devant de la scène, mais freinée par une mystérieuse maladie de peau qui la défigure, et un fan inquiétant, dérangé, qui la harcèle en ligne jusqu’à l’obsession.
Dans la lignée de Julia Ducournau, elle-même infusée au cinéma de David Cronenberg, l’autrice se sert de l’étrange, du malaise et du gore pour conférer un supplément d’âme à un récit intime et social, questionnant l’identité, les représentations et la face sombre de la célébrité.
| Pierre Boisson, Flamme, volcan, tempête
Avec Flamme, volcan, tempête, Pierre Boisson, journaliste pour le magazine Society, à qui l’on doit notamment l’enquête à succès consacrée à Xavier Dupont de Ligonnès, parachève une année placée sous le signe des météores littéraires, ces romanciers fauchés au sommet de leur art ou qui ont payé toute leur vie ce bref instant de gloire. Après Tristan Egolf, ressuscité par Adrien Bosc, Nelly Arcan, vengée par Johanne Rigoulot ou encore Louis Wolfson, démasqué par Étienne Fabre, c’est aujourd’hui Christine Pawlowska qui obtient réparation sous la plume de l’auteur.
Autrice d’un seul livre, sidérant, Écarlate, écrit en 1974 alors qu’elle était adolescente (et que les éditions du Sous-Sol ont la bonne idée de rééditer en poche), elle s’est ensuite évaporée jusqu’à ne laisser aucune trace. Dans un récit haletant, Pierre Boisson tente de recomposer la vie morcelée de cette virtuose, versant noir de Françoise Sagan.
| Ramsès Kefi, Quatre jours sans ma mère
Éloge de la fuite. Ne supportant plus l’ignorance d’un mari taiseux et la passivité d’un fils paumé de 36 ans, qui vit toujours dans son appartement, dans sa chambre au papier peint Schtroumpfs, Amani claque la porte et quitte sans prévenir son foyer et sa cité HLM. Pendant que son père s’enfonce dans le désespoir puis la rage, Salmane décide, lui, d’enquêter sur une mère dont il ne sait finalement pas grand-chose. Qui, comme tant d’autres femmes issues de l’immigration, s’est effacée derrière sa famille, ne rechignant devant aucun sacrifice pour la combler. En proie à une sévère autocritique, le « sous-fils », comme il s’appelle, revisite aussi sa propre vie, ses études brillantes balayées par un manque d’ambition, son quotidien de « cavernien » à refaire le monde dans le parking désaffecté de la cité, la peur des responsabilités.
Grâce à une plume enlevée, remplie de bons mots et de savoureuses formules, Ramsès Kefi, ancien journaliste de Libération passé par le Bondy Blog, redonne aux banlieues toute leur poésie. Il pointe du doigt leurs maux, aussi, la discrimination qu’on intègre encore plus qu’on la subit, la masculinité à marche forcée, le silence des familles, le poids de l’exil. Un premier roman comme un prolongement doux-amer de l’ouvrage collectif qu’il avait dirigé au printemps, Le Retour du roi Djibril, les contes de la cité.
| Marie Semelin, Les certitudes
Anna, 26 ans, n’a pas respecté la promesse faite à sa colocataire, Simone, 75 ans, quelques jours avant sa mort. De confession juive, elle souhaitait être enterrée en Israël. Crise mystique qu’il ne faut pas prendre au sérieux ; trop compliqué au vu du contexte géopolitique… Elle s’est trouvé toutes les excuses possibles, mais, aujourd’hui, cette trahison la hante. Elle décide alors de remonter le fil de l’existence de cette vieille dame qui dissimulait bien des secrets et dont l’histoire résume à elle seule les tensions à l’œuvre dans la région.
De 1955 à aujourd’hui, entre Jérusalem et Ramallah, Marie Semelin, journaliste au Moyen-Orient pour Radio France et le quotidien belge Le Soir, ébranle les certitudes et nous touche en plein cœur avec un portrait croisé de femmes empli d’humanité. Un pari risqué transformé en l’un des meilleurs premiers romans de la rentrée.