Entretien

3 questions à Niels Schneider pour le film Les tourmentés

15 septembre 2025
Par Charline Lecarpentier
Niels Schneider dans “Les tourmentés”, en salle le 17 septembre.
Niels Schneider dans “Les tourmentés”, en salle le 17 septembre. ©David Koskas/Bizibi

À l’occasion de la sortie au cinéma du film Les tourmentés, Niels Schneider et Déborah François ont répondu aux questions de L’Éclaireur.

Un homme mort vaut-il plus qu’un homme vivant ? C’est l’une des nombreuses questions que pose Les tourmentés, drame du cinéaste belge Lucas Belvaux (Des hommes, Pas son genre, Chez nous) qui adapte son propre roman paru en 2022 aux Éditions Alma. Skender, ancien légionnaire à la dérive, est recruté par son ancien sergent, Max (Ramzy Bedia), pour un juteux contrat : il sera pendant un mois le gibier de Madame (Linh-Dan Pham), une riche chasseuse esseulée en quête de nouveaux frissons, sous l’œil protecteur de Max.

Le film suit ainsi la phase de préparation de cette chasse à l’homme tout en faisant de la nature un personnage principal, à la fois refuge et menace, selon la manière dont elle est appréhendée. À l’occasion de la sortie du long-métrage, le 17 septembre, L’Éclaireur a pu s’entretenir avec Niels Schneider, qui joue un missionnaire traumatisé, et son versant lumineux Déborah François, qui joue Manon, la mère de ses enfants.

Comment avez-vous appréhendé les tourments de vos personnages ?

Niels Schneider : Les tourmentés est une auto-adaptation, donc, pendant tout le tournage, je me suis énormément référé aux pensées intimes de Skender qui étaient déjà dans le livre. C’était génial d’être habité par elles pour reconstituer son intériorité, dans le style de jeu très économe que recherche Lucas Belvaux. Puis, j’ai fait des recherches, lu des récits sur des légionnaires. Il y a énormément de livres, de récits de post-traumatismes. Sur la chasse et le gibier humain, il y a moins de références, mais j’ai pu voir La chasse du comte Zaroff, adapté lui aussi d’un roman.

Déborah François : La chance que j’avais, c’est que les tourments de mon personnage, Manon, sont sans doute plus proches de ceux de la vie de tous les jours. Elle est traumatisée par l’histoire qu’elle a vécue avec Skender, d’avoir vu cet homme s’enfoncer sans pouvoir l’aider, d’avoir perdu l’amour de sa vie, de devoir élever seule ses enfants… Au début du film, il ne peut pas du tout être présent et protège beaucoup sa famille de lui-même, tout simplement parce qu’il n’est pas stable et que cela pourrait causer plus de mal que de bien qu’il soit dans la vie de ses enfants. J’ai pu me baser sur des gens que je connaissais qui traversaient des situations similaires et qui s’approchaient beaucoup plus du réel.

Déborah François et Niels Schneider dans Les tourmentés.©David Koskas/Bizibi

Chaque personnage a conscience d’avoir été acheté ou qu’on essaie de l’acheter. Est-ce que ça vous a interrogé aussi sur la marchandisation des artistes ?

N. S. : Je n’ai pas pensé à ça, mais, au-delà de notre métier, la marchandisation est partout, dans tous les domaines, puisque nous vivons dans un monde ultracapitaliste. Mais j’ai beaucoup réfléchi à la fois à la lutte des classes, aux rapports de pouvoir et à la valeur de l’argent. Notamment sur la valeur de la vie d’un homme. Alors qu’on est frère d’armes avec Max, quand Madame cherche son gibier, il pense à moi. Pourquoi ? Parce qu’il sait que je suis à la rue, que je ne suis qu’un tas de vêtements, que je n’ai plus vraiment de famille. Mais une fois que j’ai un beau costume, que je suis passé chez le coiffeur et que j’ai un 200 mètres carrés avec vue sur la tour Eiffel, tout d’un coup, il n’arrive plus à me tuer. Tout d’un coup, je vaux quelque chose. Le film questionne absolument ça.

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D. F. : Je trouve beau que Manon, pour qui c’est compliqué financièrement, qui doit faire vivre une famille de trois sur son seul salaire d’infirmière, arrive quand même à jeter à la figure de Skender : « Tu crois que, parce qu’on vient avec de l’argent, tout est effacé ? » On ne peut pas acheter sa rédemption. Et je trouve ça assez beau qu’un des personnages défende aussi ce point de vue là dans le film. Le personnage de Niels a ses raisons de vouloir cet argent, que je ne pourrais pas condamner parce que je n’ai aucune idée de ce que je pourrais faire à sa place. Je trouvais ça bien que Manon lui rappelle que ce n’est pas ce qu’on attendait de lui.

N. S. : On peut être extrêmement malheureux dans 200 mètres carrés avec vue sur la tour Eiffel ou extrêmement heureux dans une petite maison où on a une chambre pour quatre. C’est un peu ce qu’elle essaie de remettre en perspective avec lui.

Niels Schneider dans Les tourmentés.©David Koskas/Bizibi

Manon, infirmière, est dans le soin, le maintien de la vie et le rapport aux enfants, alors que Skender, ancien mercenaire, donne la mort puis s’apprête à accepter la sienne…

N. S. : C’est un personnage qui a vécu dans un monde d’hommes, dans ce que l’homme a de plus toxique, de plus dur et violent. Je pense que c’est quelqu’un qui n’a jamais reçu ou connu de tendresse, de soin, justement, et qui s’en sent incapable. C’est un récit d’apprentissage. C’est quelqu’un qui, finalement, revient des morts et va apprendre à aimer.

D. F. : Sa femme et ses enfants sont son lien pour revenir ou pas à la vie. Il s’y accroche, décroche, puis s’y raccroche à nouveau. Et elle, elle a la patience et le réalisme de le laisser faire ce travail-là pour pouvoir revenir. Parce que c’est important pour leurs enfants. Quand on a des enfants, on est dans la vie, de fait. C’est pour ça qu’elle ne peut pas le lâcher.

N. S. : C’est pour cela que, pour moi, Lucas Belvaux, c’est le Clint Eastwood belge. Ils ont en commun de proposer des films avec des dilemmes, dont on ressort avec plus de questions que de réponses.

La bande-annonce du film Les tourmentés.

Enfin, une question qui provoquera peut-être moins de dilemmes : quel est votre coup de cœur culturel du moment ?

D. F. : J’ai vu l’exposition David Hockney à la Fondation Louis Vuitton et j’y pense, car elle me rappelle les nuits dans le film. Il y avait une salle qui s’appelait Clair de lune, avec des paysages de campagne éclairés par la Lune. Ça m’a complètement fascinée et donné envie de tourner de nuit.

N. S. : J’ai adoré la BD Le cas David Zimmerman d’Arthur et Lucas Harari, c’est mon dernier coup de cœur.

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