Le 1er août, l’acteur et réalisateur américain dévoile sur Apple TV+ les neuf épisodes de sa nouvelle série. Soignée et romancée, Chief of War revient sur les guerres tribales qui ont secoué l’archipel polynésien à la fin du XVIIIe siècle.
Jason Momoa s’est enfin trouvé un rôle à sa hauteur. Révélé par Game of Thrones dans la peau de Khal Drogo, l’acteur américain n’a pas toujours su capitaliser sur cette aura brutale et magnétique, enchaînant ces dernières années des productions pour le moins bancales – d’un Aquaman légèrement kitsch à un projet Minecraft décevant.
Mais le 1er août, le comédien originaire d’Hawaï revient sur ses terres et retrouve du sens avec Chief of War, une série Apple TV+ dont il est non seulement la tête d’affiche, mais aussi le cocréateur.
Inspirée de faits réels, la série nous transporte deux siècles en arrière, à l’époque des grandes guerres tribales qui ont façonné l’archipel jusqu’à son unification, en 1810. Ce pan d’histoire, largement méconnu hors du Pacifique, devient le théâtre d’un récit à la fois guerrier et intime, servi par une réalisation soignée, un casting habité et une narration maîtrisée.
Un souci de justesse historique
Le personnage principal, Kaʻiana, a bel et bien existé. Connu pour avoir voyagé, notamment en Chine et à Tahiti, ce chef de guerre a joué un rôle déterminant dans la conquête du roi Kamehameha I. Chief of War s’empare précisément de cette trajectoire pour dresser le portrait de cet homme tiraillé entre ses racines, sa loyauté et sa vision du monde. Le tout en retraçant les grandes lignes de la réunification d’Hawaï, après le passage du navigateur britannique James Cook – explicitement mentionné dans l’œuvre.

On sent, dès les premières minutes, un véritable souci de justesse historique. La série a d’ailleurs bénéficié des conseils de l’organisation Awaiaulu pour assurer une représentation rigoureuse des costumes, décors, rites culturels… Mais elle revendique aussi sa part de fiction : relations personnelles, dialogues et certaines scènes de bataille relèvent clairement de la mise en récit. Une liberté narrative qui sert le propos, apportant intensité et souffle romanesque.
Un récit habité par les voix autochtones
L’un des grands mérites de Chief of War est de donner à voir cette histoire depuis l’intérieur. Dès sa conception, Momoa et le scénariste Thomas Pa‘a Sibbett ont voulu proposer un point de vue autochtone, débarrassé du prisme occidental. Cela se traduit à l’écran par un casting presque exclusivement polynésien et des dialogues en langue hawaïenne.

Momoa lui-même a appris l’ʻŌlelo Hawaiʻi pour incarner son rôle, confessant que cette langue lui avait donné plus de fil à retordre que le dothraki de GoT. Or, ce défi n’est pas qu’un artifice : il structure l’identité même de la série. Plus qu’un choix de forme, c’est une posture politique qui confère à l’ensemble sa singularité. En bref, une œuvre à regarder impérativement en version originale.
Conquête et représentations historiques
Le scénario interpelle, dès sa ligne de départ. L’histoire de l’unification de l’île, racontée à travers jeux d’alliances, trahisons, prophéties et ingérence des puissances occidentales constitue une matière dramatique inédite et rafraichissante. Kaʻiana, rappelé par son oncle Kahekili pour préparer une guerre contre un royaume ennemi, se retrouve manipulé, conduit au cœur d’un conflit aux ramifications multiples. Loin d’un simple récit de conquête, la série explore aussi l’identité, la transmission, la mémoire et le choc des civilisations.

L’intervention des Britanniques et des Espagnols, notamment à travers la représentation de la colonie de Zamboanga aux Philippines, ajoute une dimension géopolitique bienvenue. Les scènes montrant l’exploitation des populations asiatiques sont frontalement mises en scène, avec une brutalité volontaire qui choque autant qu’elle a du sens : le regard de Kaʻiana, bouleversé, devient alors celui du spectateur.
Des personnages féminins à la hauteur
La narration progresse à bon rythme, alternant batailles, tensions politiques et respirations méditatives. Certains épisodes prennent parfois le temps de s’attarder sur des moments plus intimes de dialogues – même si, par moments, cette lenteur peut sembler pesante.

Quant aux personnages, la série offre un véritable espace à des protagonistes féminins forts. À commencer par Kaʻahumanu, épouse de Kamehameha I, incarnée avec subtilité par Luciane Buchanan, qui déploie un personnage nuancé, complexe, stratège. Ou encore Kupuohi, interprétée par Te Ao o Hinepehinga, femme de Kaʻiana, une guerrière tiraillée.
Une belle mise en scène
Visuellement, Chief of War s’impose comme une série ambitieuse. La photographie capte la beauté des paysages hawaïens et fait de l’île un personnage à part entière, avec ses forêts épaisses, ses côtes abruptes et ses cieux capricieux.

Les scènes de bataille, en revanche, divisent. Très stylisées, avec ralentis, effusions de sang et chorégraphies léchées, elles évoquent immédiatement l’esthétique de GoT. Le spectaculaire y est pleinement assumé, quitte à frôler parfois la surenchère. Or, on peut s’interroger sur la pertinence de cette violence esthétisée dans une œuvre qui cherche à transmettre une mémoire, traduisant surtout une volonté de captiver un large public.
Jason Momoa apporte une voix neuve à la fresque historique. Bien menée, solidement interprétée, exigeante, Chief of War offre à la fois une plongée captivante dans une séquence historique rarement portée à l’écran et un geste de réappropriation culturelle. Elle séduira les amateurs de récits de conquête, mais aussi ceux qui cherchent dans les séries une autre manière de raconter l’histoire – depuis ses marges et ses résistances.