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Voyage littéraire au pays du Soleil levant

24 juillet 2025
Par Léonard Desbrières
“L'Éclaireur” vous propose de voyager au Japon à travers les livres.
“L'Éclaireur” vous propose de voyager au Japon à travers les livres. ©Topimages/Shutterstock

Le Japon, ses îles nimbées de mystères, sa capitale labyrinthique, sa gastronomie et sa culture complexe fascinent aujourd’hui plus que jamais nos écrivains. Escapade littéraire avec deux passionnants récits made in France et quelques bijoux récents du répertoire nippon. 

Ils sont de plus en plus nombreux à revenir du pays du Soleil levant avec des étoiles plein les yeux, comme percutés de plein fouet par des paysages qui déstabilisent le regard, par un savoir-vivre qui envoûte, par des gens aux antipodes de nos conceptions occidentales. En France, le Japon a la cote, il garnit nos assiettes et infuse nos imaginaires. Au point de devenir un sujet privilégié pour certains écrivains et écrivaines qui se sont mis en tête de partir sur le terrain, plume à la main. La preuve avec deux récits, comme les deux faces d’une même pièce, qui nous plongent en immersion dans le Japon d’aujourd’hui. Et comme c’est l’été, on n’a pas résisté à vous glisser quelques recommandations de lecture 100 % nippone.

L’usage du Japon, d’Emmanuel Ruben

La simple lecture du titre suffit à comprendre dans quels pas Emmanuel Ruben souhaite nous convier. L’usage du Japon se place sous le haut patronage de L’usage du monde de Nicolas Bouvier, dieu des écrivains voyageurs. Une famille que l’ancien géographe a progressivement rejoint depuis La ligne des glaces, Terminus Schengen et surtout Sur la route du Danube, traversée de l’Europe à vélo pendant 48 jours, entre Odessa et Strasbourg. Le vélo, c’est la grande passion de l’auteur. Plus que ça, c’est un poste d’observation idéal pour croquer le monde. C’est donc assis sur la selle qu’il s’élance pour sillonner le Japon.

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On découvre d’abord dans ce journal de bord un autre talent de l’auteur, un don certain pour le dessin. De sublimes aquarelles viennent émailler un récit écrit au fil de l’eau, sur son portable, alors qu’il parcourait l’archipel pendant plusieurs mois. Un autre clin d’œil au chef-d’œuvre de Nicolas Bouvier, magnifié à l’époque par les illustrations de Thierry Vernet.

Dans ses textes aussi, Emmanuel Ruben avance en impressionniste, capturant les lieux et paysages plus encore que les portraits et les personnages. Un procédé qui tient sans doute à la barrière de la langue, tenace dans les régions les plus reculées. Du Nord glacial au Sud verdoyant, de Kyoto à Osaka en passant par les pentes du mont Fuji, on marche sur les traces d’Ino Tadataka, un cartographe japonais qui parcourut 40 000 kilomètres pour mesurer les côtes de l’archipel. Un héros nippon méconnu qui pourrait bien être le héros du prochain roman de l’auteur. Entre méditations, contemplations, rappels historiques et aventures détonantes, le livre se mue progressivement en cartographie poétique d’un monde qui nous échappe, mais dont on a tant à apprendre. Sublime et envoûtant.

Les évaporés du Japon, de Léna Mauger

Avant de se consacrer, au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, à la rédaction en chef de l’excellente revue Kometa, qu’elle a cofondée pour « raconter le monde là où il bascule » (l’un des derniers numéros est d’ailleurs entièrement dédié à l’exploration de la société nippone), Léna Mauger s’est d’abord passionnée pour le Japon avec un reportage, lauréat de la bourse Lagardère, intitulé Toyota City, qui racontait la chute du géant de l’automobile sur fond de crise financière, mais surtout avec une enquête à couper le souffle que Les Arènes ont aujourd’hui la bonne idée de rééditer, Les évaporés du Japon.

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Accompagnée sur le terrain du photographe Stéphane Rémael, elle a voulu comprendre un étrange phénomène qui gangrène depuis des années la société nippone, les johatsu, ces quelque 100 000 personnes par an qui font le choix de disparaître sans laisser de trace. Dans un pays où la pression sociale est telle que l’échec est comparable à la mort, elle a remonté la trace de ces fantômes qui ont préféré abandonner jusqu’à leur identité plutôt que de subir la honte et la disgrâce. Il y a ceux qui partent au travail mais n’y arrivent jamais, il y a ceux qui fuient la nuit avec l’aide d’un complice, il y a même des familles entières qui prennent la décision de faire ce grand saut dans le vide ensemble. Tout cela, sans que la police ne daigne s’emparer du sujet.

En miroir, bien sûr, elle évoque le suicide, autre fléau qui gangrène ce système vicié. On découvre ainsi Tojinbo, « la falaise des suicidés », devenue un sanctuaire autant qu’une attraction touristique. Léna Mauger arpente le pays à la rencontre de celles et ceux qui se sont évaporés, pour comprendre leurs motivations et découvrir leur nouvelle vie. Mais elle s’entretient aussi avec les familles des disparus, les femmes, les enfants restés sans réponse, qui ont dû apprendre à combler le vide. Un grand moment de journalisme littéraire pour mieux appréhender l’envers du décor de la machine à fantasme nippone.

Et du côté de la littérature japonaise ?

Le roman nippon vit une seconde jeunesse et s’invite, ces dernières années, au milieu des Anglo-saxons, parmi les plus grands succès de librairie. Morceaux choisis pour une immersion totale dans le Japon d’hier et d’aujourd’hui.

La cité aux murs incertains, de Haruki Murakami

Un adolescent tombe amoureux d’une jeune fille évanescente qui prétend n’être qu’une ombre séparée de son corps originel. La « vraie elle » résiderait dans une cité lointaine et heureuse. Puis, un jour, elle s’évanouit comme si elle n’avait été qu’une apparition. Dévasté, le jeune homme continue à vivre tant bien que mal jusqu’à ce que, des années plus tard, il soit transporté comme par enchantement aux portes de ce monde qu’il croyait inventé de toutes pièces. Une fois à l’intérieur, après s’être débarrassé de son ombre en signant un étrange pacte faustien, l’émerveillement laisse place au malaise. Il retrouve sa bien-aimée, mais celle-ci ne le reconnaît pas. Dans la bibliothèque où il travaille, ce ne sont pas des livres qui sont conservés, mais des rêves qu’on emprisonne. Et puis, il y a les murs de la cité, forces mouvantes qui semblent le menacer. Son ombre avait pourtant essayé de l’alerter.

Convoquant autant les classiques de la littérature fantastique européenne que les univers oniriques et mélancoliques du maître de l’animation japonaise Hayao Miyazaki, Haruki Murakami conte les tourments d’un homme pris en étaux entre deux mondes, un passeur qui apprivoise les fantômes et communique entre la vie et la mort. Une belle métaphore de l’écrivain. Et maintenant le Nobel.

Strange Picture, d’Uketsu

L’auteur, déjà, fascine. L’homme porte un masque sordide digne des plus terrifiants films d’horreur. Il se fait appeler Uketsu. Malgré ses millions d’abonnés sur sa chaîne YouTube où il déclame des chansons macabres avec une voix électroniquement modifiée, et ses millions de lecteurs au Japon, personne n’a jamais vu son visage. Premier de ses livres traduit en France, Strange Picture est un roman noir, très noir, illustré de dessins et de schémas, qui plonge loin dans les entrailles du mal.

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Dans un chapitre introductif d’anthologie, une psychologue décortique par le menu en quoi le dessin d’une petite fille, condamnée pour avoir tué sa mère, disait déjà tout de ses intentions meurtrières. Les émotions qu’on niche dans un coup de crayon et les secrets qu’on peut y glisser sont d’ailleurs le fil rouge de ce récit à tiroirs qu’on dévore en apnée.

Deux étudiants fascinés par le blog dessiné d’un futur papa, documentant la grossesse de sa femme jusqu’à une terrible tragédie ; une mère de famille, persuadée d’être épiée, qui élève seule son enfant graphomane ; un journaliste et son mentor qui cherchent à percer les secrets d’une mystérieuse esquisse, croquée par un professeur d’art plastique juste avant son meurtre : trois histoires qui s’enchevêtrent et un puzzle littéraire qui s’assemble pièce par pièce, laissant entrevoir l’ombre d’un redoutable tueur en série. Et, en filigrane, une société japonaise viciée que l’auteur brosse à la paille de fer.

La leçon du mal, de Yusuke Kishi

Un roman aux faux airs de college novel qui dissimule en réalité un récit monstrueux et une critique au vitriol de la société nippone. Un professeur bien sous tous rapports, charismatique et sympa, rêve en secret de prendre le contrôle du collège dans lequel il travaille et prépare un plan machiavélique. Mais, sans le savoir, il a éveillé les soupçons de certains de ses élèves, persuadés de ses mauvaises intentions. Se met alors en place un jeu du chat et de la souris particulièrement retors entre ce psychopathe de première et ses étudiants, bien décidés à le démasquer. Un monument de malaise et de cruauté.

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Quartier lointain, de Jiro Taniguchi

Avec Quartier lointain, on s’extasie devant le génie d’un Jiro Taniguchi au sommet de son art. Il déploie un récit intime teinté de fantastique, dans lequel un cadre moyen japonais, de passage dans sa ville natale avant de rentrer à Tokyo, s’évanouit subitement pour se réveiller à l’adolescence et revivre l’année fatidique du drame qui a fait basculer sa famille.

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Un manga mélancolique et poétique sur les traumatismes de l’enfance et la fragilité des liens qui nous unissent. Un conte philosophique, surtout, sur la réalisation d’un rêve obsédant : le miracle de la deuxième chance. En plus du dessinateur de génie, adepte des lignes claires, des traits fins et de ce noir et blanc unique nourri d’un gris lumineux, Jiro Taniguchi est un véritable auteur qui touche en plein cœur.

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