Nos recommandations de lecture pour l’été ? Des romans vrais inspirés d’histoires ayant bel et bien existé.
« Investigation is an art, let’s just be kind of artists. » Avec ce crédo, Tom Wolfe, l’auteur culte du Bûcher des vanités, signait, au mitan des années 1960, le manifeste du New Journalism et donnait naissance à un genre étrange, hybride, à la croisée du reportage et de la littérature, fasciné par une idée : faire roman avec des histoires vraies. Plus d’un demi-siècle plus tard, la non-fiction a le vent en poupe et regorge de trésors. Morceaux choisis pour un été littéraire réussi.
| Il était une fois les Amériques, de David Grann
Reporter emblématique du New Yorker et auteur d’enquêtes littéraires virtuoses comme The Killer of the Flower Moon (2017), adaptée au cinéma par Martin Scorsese, le saint patron de la non-fiction, l’Américain David Grann a droit à une réédition collector de la part de sa maison d’édition française historique, Le Sous-Sol. Avec, en majesté, l’un de ses plus illustres récits, La cité perdue de Z (2009). Gilet vintage, petites lunettes sur le nez, l’intellectuel new-yorkais est aux antipodes du baroudeur et de l’aventurier. Ses reportages, il les écrit enseveli sous les archives, plongé dans le passé.
Et ses recherches l’ont un jour conduit à croiser la route de Percy Fawcett, militaire et archéologue britannique qui, pendant l’entre-deux guerre, a sacrifié sa vie pour retrouver, au cœur de l’Amazonie, la piste d’une supposée civilisation avancée. En contant dans l’enfer vert, au milieu des animaux sauvages et des tribus indigènes, cette expédition dantesque au cours de laquelle l’explorateur a disparu sans laisser de traces, David Grann fait surtout le récit halluciné d’une quête obsessionnelle aux confins de la folie pour entrer en contact avec d’autres formes de vie. Un chef-d’œuvre porté à l’écran par James Gray en 2016.
| Snakehead, de Patrick Radden Keefe
Difficile quand on est Américain de se faire un nom dans le journalisme narratif à l’ombre de David Grann. Pourtant, à coups d’enquêtes éblouissantes, de folles histoires vraies et de restitutions aussi cliniques qu’haletantes, Patrick Radden Keefe s’est progressivement hissé à la hauteur du maître, et des livres comme Ne dis rien ou L’empire de la douleur sont déjà considérés comme des classiques du genre.
Quelques mois seulement après Voleurs ! Bandits ! Escrocs !, recueil de 12 portraits de voyous d’anthologie, notre fin limier s’élance sur les traces d’une nouvelle figure du crime organisé. À la tête de sa minuscule boutique de Chinatown, Sister Ping est une vieille dame qui cache bien son jeu. En réalité, elle est à la tête de l’un des plus grands trafics d’êtres humains des années 1980, accumulant plus de 40 millions de dollars en faisant rentrer illégalement des milliers de Chinois sur le sol américain. Avec la minutie du reporter et la fougue du romancier, Patrick Radden Keefe raconte l’arrivée aux États-Unis de cette enfant de la Révolution culturelle, retrace la création de son empire criminel et son ascension jusqu’à l’affaire retentissante du Golden Venture en 1993, qui amorce sa perte. Un récit effarant qui résonne tristement, à une époque de passeurs et de migrants.
| Les évaporés du Japon, de Léna Mauger
Avant de se consacrer, au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, à la rédaction en chef de l’excellente revue Kometa, qu’elle a cofondée pour « raconter le monde là où il bascule », Léna Mauger s’est d’abord passionnée pour le Japon avec un reportage lauréat de la bourse Lagardère intitulé Toyota City, mais surtout avec une enquête à couper le souffle que Les Arènes ont aujourd’hui la bonne idée de rééditer.
Accompagnée sur le terrain par le photographe Stéphane Rémael, elle a voulu comprendre un étrange phénomène qui gangrène depuis des années la société nippone : les johatsu, ces quelque 100 000 personnes par an qui font le choix de disparaître sans laisser de trace. Dans un pays où la pression sociale est telle que l’échec est comparable à la mort, elle a remonté la trace de ces fantômes qui ont préféré abandonner jusqu’à leur identité plutôt que de subir la honte et la disgrâce promises par un système vicié.
| Ici, c’est pas Miami, de Fernanda Melchor
Et si l’avenir de la littérature sud-américaine se conjuguait au féminin ? Dans le sillage des monstres sacrés Gabriel Garcia Marquez, Luis Sepulveda ou encore Mario Vargas LLosa, de géniales héritières s’imposent désormais sur la scène mondiale avec des œuvres furieuses qui explorent sans concession les errances coupables d’un continent en pleine crise de conscience. Après Paradaïze, roman poisseux, nerveux, explosif, qui peignait les ravages de la culture machiste et de la fracture sociale à l’œuvre au Mexique, Fernanda Melchor poursuit sa plongée immersive et radicale. Ici, c’est pas Miami, un titre qui sonne comme un défi, est une mosaïque d’instantanés brutaux, des textes courts, publiés dans la presse entre 2002 et 2011, qui racontent la violence de Veracruz, sa ville natale.
Caméra à l’épaule, plume au poing, elle nous embarque pour un monument de reportage dans les artères viciées de ce grand port maritime de la côte est du Mexique, qui a sombré aux mains de la criminalité et du narcotrafic. Sur le terrain, elle explore le mal qui règne ici-bas. On croise une cohorte d’habitants qui feraient de fameux personnages de roman : des reines de carnaval, des avocats du cartel, des clandestins dominicains qui pensaient avoir rejoint la Floride… Une vue en coupe d’une ville malade de laquelle jaillit une humanité bouleversante.