Critique

Tous les garçons et les filles : deux courts métrages qui font la paire

05 janvier 2022
Par Félix Tardieu
Tous les garçons et les filles : deux courts métrages qui font la paire

Le cinéma, c’est avant tout des films courts qui, souvent, affichent de belles promesses pour l’avenir. C’est le cas de ce programme de deux courts métrages qui brossent le portrait d’une jeunesse amourachée, à une époque où l’instantanéité est de mise et où l’attente est devenue un poids insupportable.

Tous les garçons et les filles est moins un hommage à la chanson de Françoise Hardy qu’un clin d’oeil assumé à une série de téléfilms diffusés par Arte en 1994, Tous les garçons et les filles de leur âge, qui gravitait alors autour de l’adolescence. Une série confiée à cinéastes confirmés – Chantal Akerman, Olivier Assayas, André Téchiné, ou encore Claire Denis – tout comme à des nouveaux venus – Emilie Deleuze, Cédric Kahn ou Olivier Dahan. Le programme de courts-métrages qui sort en salles aujourd’hui, composé de Pauline Asservie (Charline Bourgeois-Tacquet, 2018) et Les Mauvais Garçons (Elie Girard, 2020), aura certes un retentissement moins perceptible que cette collection de téléfilms qui a marqué, à son époque, le renouveau du cinéma d’auteur français – au point de faire l’objet d’un cycle de projections au MoMa de New York, en 1997. Mais le collage de ces deux films courts, comme deux images que l’on aurait judicieusement raccordées sur une table de montage, ambitionne tout autant de radiographier la jeunesse de son époque, en l’occurrence marquée par les profondes transformations des modalités de la relation à autrui. 

Anaïs Demoustier et Sigrid Bouaziz dans Pauline Asservie ©Films Grand Huit

Dans leurs films respectifs, Charline Bourgeois-Tacquet et Elie Girard enregistrent, non sans une certaine tendresse, les mutations du sentiment amoureux et d’une amitié, sur fond de textos « vus » mais pas « répondus » et de rencards Tinder virant au désastre, avec ce même hors-champ de l’attente – attente de l’autre et de sa réponse, où de simples mots tapotés sur un clavier numérique se transforment en véritables « signes de vie » – et de l’absence. « Suis-je amoureux ?  – Oui, puisque j’attends » : Bourgeois-Tacquet cite directement Roland Barthes en ouverture de Pauline asservie (remarqué à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes, puis nommé aux Césars du meilleur court métrage en 2020). Ce passage, tiré de Fragments d’un discours amoureux (1977), dicte ainsi la marche du film : Pauline, interprétée avec tonicité par Anaïs Demoustier, n’a pas de nouvelles de Bruce, homme de lettres dont elle est tombée amoureuse. En vacances avec sa meilleure amie Violette (Sigrid Bouaziz), Pauline passe tout son séjour à attendre le Graal – le fameux SMS – en dépit de l’esprit de fête autour d’elle. L’amour occupe tout son esprit. Cette obsession aliénante, la réalisatrice continuera de l’explorer dans Les amours d’Anaïs (2021), son premier long-métrage, sorte de prolongement naturel de Pauline asservie.

Les Mauvais Garçons ©Année Zéro

Avec le trio d’amis Les Mauvais Garçons (en lice pour le César du meilleur court métrage 2022) c’est paradoxalement l’absence de Victor, absent depuis que sa compagne attend un enfant, qui permet au réalisateur de se focaliser sur l’amitié entre Guillaume (Raphaël Quenard) et Cyprien (Aurélien Gabrielli), bousculant au passage les codes de la masculinité. Sous les lumières d’une ville pluvieuse et plongée dans l’obscurité, Guillaume et Cyprien se confrontent à leurs errements, à leurs doutes : sans ce troisième ami que l’on ne finit plus d’attendre, il n’y a plus qu’une surface réfléchissante qui renvoie sans cesse l’autre à ses propres failles. Mais malgré cette dialectique, les deux amis s’épaulent, se redressent et s’enlacent. Sans jamais se détacher de ses personnages, Elie Girard capte alors cette amitié nécessairement appelée à se réinventer. Les deux courts métrages, tout en affichant des qualités bien distinctes, s’emboîtent alors parfaitement. Si l’amoureux, comme disait Barthes, c’est « celui qui attend », alors l’ami, c’est peut-être celui qui écoute.

Tous les garçons et les filles – des films de Charline Bourgeois-Tacquet et Elie Girard – 1h04 – En salles le 5 janvier 2021

À lire aussi

Article rédigé par
Félix Tardieu
Félix Tardieu
Journaliste