
Caroline Estremo est de retour avec son nouveau spectacle baptisé Normalement. Dans ce second seule-en-scène, l’humoriste et ex-infirmière toulousaine quitte le milieu hospitalier pour parler de son divorce, de son mariage avec sa meilleure amie, ou encore de sa famille homoparentale. L’occasion de se dévoiler davantage. Rencontre.
Avez-vous hésité à raconter votre histoire personnelle dans ce second spectacle ?
Très vite, j’ai voulu en parler. Quand avec Élo, ma compagne, les choses se sont calmées et qu’on a été acceptées dans sa famille, je lui ai dit qu’un jour je raconterai cette histoire. Elle redoutait ce moment, elle est plus pudique que moi, alors que pour ma part je suis du genre à retourner le couteau dans la plaie ! [Rires] Vers la fin du premier spectacle, l’envie de raconter notre histoire, mon divorce avec un homme, mon mariage avec ma meilleure amie, nos enfants, tout cela était encore plus fort.
« L’humour est une arme redoutable pour évacuer. C’est très cathartique. »
Caroline Estremo
La seule chose qui m’a fait hésiter, c’était le fait que ça puisse la mettre mal à l’aise. Ça n’aurait servi à rien de faire quelque chose qui me plaise, mais qui ne lui plaise pas. On a donc fait un compromis. Je lui ai dit : “J’écris le spectacle, tu le lis et tu vois.” Et quand elle l’a lu, elle m’a félicitée. J’ai aussi demandé à ma belle-famille si elle voulait lire le spectacle, d’autant plus que mon premier jet est souvent brut et que je les tacle beaucoup. Ma belle-mère m’a répondu qu’elle avait confiance, elle tenait même à ce que ça soit le plus vrai possible pour que des familles qui ont mal réagi face à l’homosexualité de leur enfant puissent bien réagir.
Comment votre belle famille a-t-elle réagi quand elle a découvert le spectacle ?
Je pense que j’étais beaucoup plus terrorisée qu’eux, mais, à la fin de la première, je leur ai demandé s’ils pouvaient tous monter sur scène avec moi parce que c’est aussi leur histoire. Ma belle-mère avait les larmes aux yeux ce jour-là. Je pense qu’ils l’ont bien pris en fin de compte ! Même si ce spectacle a rouvert certaines blessures, la finalité est la bonne. Tout va bien aujourd’hui.
Selon vous, l’humour n’est-il pas le biais le plus favorable pour panser ces blessures-là ?
Heureusement qu’il y a l’humour. C’est ce qui marchait dans mon premier spectacle quand je parlais du quotidien pas très joyeux des soignants. Ça nous permettait de rigoler de notre propre enfer. J’utilise l’humour absolument pour tout. En tout cas, je trouve que c’est une arme redoutable pour évacuer. C’est très cathartique.

Comment s’est déroulé le processus d’écriture de ce spectacle ? Était-ce vital, libérateur, douloureux ?
J’ai pris ça comme un jeu, parce que je pense avoir une relation fidèle avec mon public. Nous sommes assez proches. Comme je me montre sur les réseaux sociaux, il sait ce qui se passe. Peut-être que parfois je suis un peu trop proche. Je ne mets pas de barrières… [Rires] Je peux raconter spontanément quelque chose qui m’est arrivé, d’hyper intime, car ça me fait rire. C’est nature-peinture avec moi. Quand je me suis lancée dans l’écriture du spectacle, je voulais qu’il soit authentique, parce que si tu commences à tricher sur les choses, ça se ressent. On m’a demandé si je racontais l’adultère, de peur qu’on me juge, mais c’était essentiel de raconter aussi cette partie. Je me devais d’être honnête, parfois j’ai même dû me contenir et ne pas tout raconter.
Justement, où est la limite quand on raconte une histoire aussi personnelle que la vôtre ?
Je ne sais pas, parce que je n’en ai pas dans ma tête ! [Rires] C’est ça le problème. Finalement, ce sont les autres qui m’ont dit “attention”. Je me suis dit que je devais aussi garder des idées pour d’autres supports. Au début, le spectacle faisait 1h45, il faut tenir. Cela fait beaucoup d’informations à digérer pour le public aussi.

Comment arrive-t-on à trouver le rythme entre rires, running gags, émotion et le message que l’on veut faire passer ?
C’est quelque chose qui vient assez instinctivement. C’est assez agréable, car je sais d’emblée où je veux aller. Je savais que je voulais avoir le fil rouge de mon frère qui sert clairement à dire les horreurs et à incarner les questions de la vie que beaucoup de gens se posent ; ce reflet de la société au global. Au départ, il pensait que personne ne l’aimerait, mais c’est un personnage très attachant finalement. Je voulais aussi qu’il y ait dans le spectacle ce retournement de situation autour de la personne homophobe que je mentionne. Ce que j’aime dire dans ce spectacle, c’est que je raconte une histoire. Il y a des messages à l’intérieur, mais c’est au public de se servir, de prendre ce qui l’intéresse et ce qui fait écho à sa vie. Pour revenir à votre question : c’est une fois qu’on joue qu’on se rend compte des réactions du public. Ça me permet de réadapter mes curseurs.
Comment vous percevez-vous ? Peut-on dire que vous êtes plus une conteuse d’histoires qu’une humoriste ?
Disons une conteuse d’histoires drôles ! [Rires] Je crois que je sais faire que ça en fait, raconter des histoires… Mes spectacles ne sont pas du stand-up pur, je raconte des histoires, mes histoires. Je suis un peu toquée aussi, parce qu’il faut qu’il y ait un fil conducteur. J’admire les humoristes qui arrivent à passer du coq à l’âne. J’ai besoin de mots de liaison. Pour le premier, ça s’est fait naturellement, mais j’ai utilisé la même formule pour le second, finalement.
Quel spectacle a été le plus dur à présenter sur scène, avec le recul ?
C’est difficile à dire. Il y a forcément le challenge du premier spectacle, car avant ça, je n’avais pas fait de one woman show. Il y avait cette peur-là, mais le deuxième spectacle a été une autre terreur, parce que j’ai réussi le premier. On se demande donc si ça va encore marcher. Est-ce que ça marchait parce que c’était la communauté des soignants ? Est-ce que cette histoire-là va leur parler ? Je dirais que ça a été deux challenges différents, mais avec le deuxième j’avais la chance d’avoir acquis mon métier. Dans le premier, j’étais une infirmière qui faisait des blagues, je n’étais pas humoriste. Maintenant, je me sens quand même beaucoup plus en place, je maîtrise beaucoup plus mon métier. Aujourd’hui, je peux dire que je suis humoriste et anciennement infirmière.
Ce spectacle va permettre aussi d’ouvrir ma communauté et de ne pas se limiter à celle des soignants, de par les thématiques que ça convoque, de par les sujets, de par quelqu’un qui fait son coming-out, qui a du mal à l’assumer par rapport à sa famille… Le but ici était quand même d’élargir mon public, car je n’aurais pas pu faire un deuxième spectacle sur les soignants. Ceci étant dit, je retrouve quand même ma communauté de soignants dans les salles. Sauf que maintenant, ils peuvent plus facilement attirer leurs amis ou les moldus, comme on les appelle !
Quel message souhaitez-vous faire passer à cette nouvelle communauté et ce nouveau public ?
Peu importe ton orientation sexuelle, peu importe ton métier, je vais te raconter une histoire !
Le premier spectacle était déjà engagé du fait de la crise des hôpitaux. Peut-on dire que ce deuxième spectacle l’est aussi ?
J’aborde des sujets qui sont engagés malgré eux. Dans mes spectacles, je raconte avant tout mon ressenti, et il se trouve que celui-ci correspond à l’actualité. Ce n’est pas l’actualité qui m’inspire, en revanche. J’imagine que c’est en cela que mes deux spectacles sont engagés. Il y a des messages dedans, bien sûr, mais ce sont les miens. Après, chacun se sert. Je n’ai pas la prétention de représenter qui que ce soit, car avant toute chose il y a cette envie de raconter mon histoire d’homoparentalité et le parcours de la PMA. Je tiens à raconter mon vécu, mon ressenti, sans inventer. J’ai toujours à cœur cette idée d’authenticité.

Que vous a appris ce second spectacle que vous ignoriez sur le premier ?
C’est intéressant comme question. Je dirais que ça m’a appris au niveau du stress, parce que le métier d’humoriste reste un métier stressant. Et s’il y a des humoristes qui arrivent à monter sur scène sans avoir mal au ventre, bravo ! Personnellement, je n’ai toujours pas trouvé la solution. Ça va mieux aujourd’hui, mais les premières fois, j’avais mal au ventre un mois avant le spectacle. Je devais me répéter que j’étais une guerrière. Aujourd’hui, grâce à ce deuxième spectacle, j’ai appris que tant que je reste moi-même, je parviens à me connecter avec les gens. Je trouve qu’avec le public, ça se connecte mieux et je suis plus à l’aise.
Il y a aussi des choses que je ne maîtrisais pas avant et que je maîtrise aujourd’hui. Je l’ai vu dans l’écriture du spectacle. Il y a des choses que j’ai instinctivement enlevées, car j’identifie mieux ce qui est primordial pour le rythme du spectacle. Dans le premier spectacle, je balançais tout. Au fur et à mesure, j’ai appris à travailler l’écriture, mais aussi les silences.
Votre frère est l’un des meilleurs running gags du spectacle. Comment l’a-t-il accueilli ?
Il l’a accueilli de la même façon que dans le spectacle : il s’est touché le pec. Il a dit : “Mais qu’est-ce que tu dis sur moi ?” Au départ, il avait peur, il se demandait ce que j’allais raconter sur lui, d’autant plus que je ne voulais pas qu’il lise le spectacle avant. Je voulais qu’il ait la surprise. Puis, il y a ce truc à la fin où je voulais vraiment qu’il laisse un message sur le répondeur. Je l’avais en tête depuis le début.

Vous imitez votre mère et votre belle-mère de façon très drôle aussi !
Ma mère, c’est pareil, je lui avais toujours dit : “Si un jour je t’emmène sur scène, je me moquerai de toi.” C’est ce que j’ai fait dans le premier, alors que dans le deuxième ce sont mon frère et ma belle-mère, Marielle, qui sont vraiment au centre. Elle prend cher comme une belle-mère finalement ! J’espère que ça rend le spectacle plus fédérateur. C’est ça qui est intéressant. Sur les angoisses aussi, parce qu’on a tous vécu ce moment où tu ne te sens pas à ta place, que ce soit dans le couple ou le travail ; ce moment où tu sais que t’es pas dans la bonne direction. Pourtant, on n’a qu’une vie et on peut aussi sortir des traces. Tout va bien si on ne suit pas le chemin à la trace. On n’en meurt pas. Tu perdras sûrement des gens dans la bataille, mais si ça veut surtout dire que tu es à la place, alors c’est le principal.
Vous avez beaucoup perdu ?
Franchement, non. Mes amis m’ont soutenue. J’ai eu quelques réflexions, bien sûr, mais nos proches nous ont soutenues et nous disent que l’on est dix fois plus épanouies aujourd’hui. Selon nos proches et la famille de ma femme, elle avait l’air plus effacée. Aujourd’hui, elle est vraiment présente. Ça prouve bien ! J’insiste, on n’a vraiment qu’une vie, il ne faut pas la gâcher.
Un mot sur vos enfants. Est-ce que ce spectacle est aussi pour eux ?
Oui, car c’est un spectacle qui va rester un moment. Aujourd’hui, elles sont encore petites, mais un jour elles vont grandir aussi et elles vont découvrir l’histoire de leurs mères, sur scène, ou en vidéo. Autant, la plus petite est encore trop petite pour comprendre, mais la plus grande, à 5 ans déjà, saisit tout. Elle était venue sur scène avec moi à Toulouse pour la dernière au Zénith du précédent spectacle et, depuis qu’elle a été accueillie comme Beyoncé, elle n’attend qu’une chose, c’est de remonter sur scène. Elle sait aussi que je parle d’elle sur scène.
Quand j’y réfléchis, c’est plus une déclaration d’amour pour elles, parce que je défends aussi le fait que c’est pas parce qu’on n’a pas le même sang qu’on n’est pas de la même famille. Je me dis qu’un jour, ça va être capté et quand elles auront 15 ans, 20 ans, 25 ans, elles auront ce cadeau-là. Je me dis aussi que ça pourra aider d’autres familles homoparentales qui veulent se lancer ou qui veulent aujourd’hui parler de leur expérience avec leurs grands enfants. Souvent, j’ai des retours de personnes dont les enfants sont grands, et elles me rassurent, me disent que tout va bien. Même si on n’a pas fini. À mon avis, on va rencontrer d’autres crises, comme la crise d’adolescence avec le fameux : “T’es pas ma mère !”
Quelle est votre dernière recommandation culturelle ?
Je sais qu’on le connaît déjà, mais j’adore Panayotis Pascot ! Je pense aussi à Louis Cattelat que j’ai croisé durant le Pride Comedy Show. Côté littérature, j’ai lu le dernier livre de Baptiste Beaulieu, car il parle d’homophobie et d’homoparentalité.
Sinon j’ai vu Better Man sur Robbie Williams. Ce film m’a fait un bien fou. On voit qu’il s’est battu toute sa vie contre ses angoisses, son anxiété, ses idées noires et ses addictions. C’est quelqu’un qui s’est toujours vu comme un singe, comme à part. On comprend toute sa vie : pourquoi il a écrit telle ou telle chanson ? Comment elles correspondent à des morceaux de sa vie ? J’ai eu un vrai coup de cœur pour ce film !
Normalement, de Caroline Estremo, tous les lundis à 21h au Théâtre du Marais jusqu’au 30 juin 2025, et en tournée dans toute la France jusqu’au 21 mars 2026.