Une question volontairement provocante pour signaler la résistance glorieuse d’une espèce en voie de disparition : les écrivains drôles. Portrait critique de cinq mousquetaires adeptes de la farce littéraire.
Au cœur d’une rentrée littéraire française dure, engagée, furieuse, à l’image d’une époque inquiète et en colère, quelques romanciers continuent à croire en une forme de légèreté et en l’humour comme une arme pour croquer nos sociétés contemporaines.
| Roman de gare, de Philibert Humm
« Attention, il ne s’agit pas d’un roman inspirant sur le thème de la résilience. » La quatrième de couverture, savoureuse pique adressée aux nouvelles obsessions du paysage littéraire français, sonne déjà comme la promesse de s’en payer une bonne tranche. Une expression à l’ancienne, comme pour rendre hommage au sens de la formule et au charme suranné des livres de Philibert Humm. Le jeune romancier est un drôle d’oiseau littéraire animé par deux obsessions. D’abord, le voyage, véritable moteur de sa littérature, ou plutôt le vagabondage, sorte d’errance céleste qui prend son temps, à rebours de la folie du monde. En cela, il marche dans les pas de Sylvain Tesson, Jack London ou Jim Tully. Ensuite, l’ironie et l’absurde, comme boussoles d’une écriture hilarante.
Après deux livres co-écrits avec son pote écrivain Pierre Adrian, Le Tour de la France par deux enfants d’aujourd’hui et La Micheline, tournée des bars de France, Philibert Humm a entamé il y a deux ans un nouveau cycle en solo, une entreprise désopilante à la croisée du récit picaresque et du carnet de voyage. Roman fleuve, récompensé de l’Interallié en 2022, faisait le récit d’une descente de la Seine en canoë par trois apprentis aventuriers vaillants, mais grotesques. Roman de gare, paru à la rentrée, raconte, lui, le périple de deux amis qui décident d’expérimenter l’idéal « hobo » américain et de vivre quelques semaines au rythme des trains de marchandises. Avec une différence notable : ici, pas d’Ouest américain, de cow-boys et d’Indiens, mais la diagonale du vide, Nevers et Pouilly-sur-Loire.
On retrouve dans ce nouveau livre tout ce qui fait le sel de cette littérature. Une expédition drolatique aux antipodes des grands récits du dépassement de soi et de la performance. L’errance est un art que Philibert Humm et son compère manient à la perfection. Au-delà de leur périple, c’est la manière dont il est raconté qui est un pur régal. Les métaphores ferroviaires interminables, les assonances et allitérations, l’utilisation volontaire d’une conjugaison désuète et d’expressions bancales, même les notes de bas de page sont des concentrés d’humour. En voiture !
| Fort Alamo, de Fabrice Caro
Le nouveau roman de Fabrice Caro (Fabcaro) commence par une scène hilarante dans la queue d’un supermarché, comme un savoureux clin d’œil à l’œuvre qui a fait connaître ce génie comique, maître de l’absurde et de la chronique sociale, l’album Zaï Zaï Zaï Zaï, paru en 2015. Alors qu’il est déjà en retard pour aller chercher sa fille à l’école, le protagoniste de Fort Alamo, un professeur de lycée qui vient de perdre sa mère, est doublé effrontément par un homme et son caddie gargantuesque. Mais alors que tout sourire, provocateur, le malotru quitte le magasin sous le regard noir de celui qui vient d’être floué, il s’effondre soudainement, victime d’un AVC.
C’est le début d’une longue série de phénomènes étranges et funestes. Un chauffard dangereux qui le presse s’encastre sur l’autoroute sous ses yeux, un homme sans gêne qui hurle au téléphone, dans les rayons d’un magasin, juste à côté de lui, est pris d’une démence mortelle, une supérieure hiérarchique succombe après un ordre trop rugueux… Les victimes de sa colère rentrée s’amoncèlent et notre héros panique, secoué par une terrible intuition : et si, par la simple force de la pensée, il était capable de foudroyer tous ceux qui l’avaient passablement irrité ? Un grand pouvoir qui implique une grande responsabilité, surtout quand on s’apprête à passer Noël avec son frère, exact opposé, obsédé par la répartition de l’héritage maternel, et sa femme, une manipulatrice qui a le don de vous énerver.
| Les Derniers Jours du Parti socialiste, d’Aurélien Bellanger
C’est ce qui s’appelle choisir son moment. En renouant avec la fiction politique, son premier amour, à l’heure même où le pays était à feu et à sang, Aurélien Bellanger a marqué de son empreinte la rentrée littéraire. Qui plus est, avec ce titre savoureusement provocant, Les Derniers Jours du Parti socialiste.
Dans la lignée de L’Aménagement du territoire, le plus balzacien de nos écrivains contemporains croque avec son talent de satiriste hors pair les affres de la classe dirigeante française et pointe son viseur sur une gauche à la dérive, victime de ses représentants autant que des intellectuels censés porter ses idéaux. Un supposé homme providentiel, des penseurs bien-pensants qui ont sacrifié l’idéologie à l’ambition, la presse, Saint-Germain-des-Prés… Tout le monde en prend pour son grade et toute ressemblance avec des faits et des personnes existantes serait purement fortuite.
| Une trajectoire exemplaire, de Nagui Zinet
L’humour, c’est aussi une part de culot et ça, Nagui Zinet en a à revendre. Un premier roman de 100 pages tout rond pour raconter, entre Lille et Paris, les tribulations d’un loser magnifique, menteur sans scrupule et sans remords. Un homme sans attache et sans profession, amateur de littérature, de variété et surtout de boisson.
Une trajectoire exemplaire, c’est surtout un ton et un style à vous décrocher la mâchoire. Une écriture à l’os, des phrases courtes comme des coups de feu. Aucun désir de plaire ou de rendre le monde meilleur. Le jeune écrivain regarde les hommes se débattre avec un désespoir profond, mais ne se perd pas dans les lamentations. À cela, il préfère les saillies drolatiques qui mêlent le cynisme à l’absurde. Le sale rejeton de Bukowski et Simenon. Une nouvelle voix qui détonne dans notre paysage littéraire.
| Aux marges du palais, de Marcus Malte
Quel meilleur genre littéraire que la farce pour croquer la situation politique actuelle de la France ? À la manière d’un Jarry dans Ubu roi, avec une langue infusée de Rabelais et Frédéric Dard, l’inclassable Marcus Malte met en scène une tragicomédie jupitérienne qui choisit l’humour et l’absurde pour tirer à boulets rouges sur un pouvoir et une société qui marchent sur la tête.
Dans le royaume de Frzangzwe, deux camps s’affrontent. D’un côté, les puissants, ceux du Palais, des laquais obséquieux à la solde du premier fifrelin Gabriel Pipaudi. De l’autre, une équipe de bras cassés qui fomentent un coup d’État retentissant et prévoient de démonter la tour Eiffel. Un festin littéraire grotesque et réjouissant.