C’est la série événement de France Télévisions pour clôturer 2024. Cette histoire en six épisodes retraçant les péripéties d’un cabaret parisien à deux doigts de la faillite est pensée par une partie de l’équipe derrière le succès de Dix pour cent. Suffisant pour résumer l’intrigue avec Alex Lutz et Monica Bellucci à une pâle copie de la création de Fanny Herrero ? C’est tout l’inverse. Explications avec le réalisateur Marc Fitoussi.
S’il est toujours difficile de se relever d’un échec, il est parfois aussi compliqué de rebondir après un succès. C’est ce qu’ont dû se dire Marc Fitoussi, Edgard Grima et Jérôme Bruno en se lançant dans Ça, c’est Paris !, épopée à paillettes écrite pour France Télévisions, dans laquelle le spectateur assiste en temps réel à la chute du cabaret parisien du Tout-Paris, géré avec deux mains gauches par Gaspard Berthille (Alex Lutz). Après le carton médiatique de Dix pour cent, où les trois cinéastes étaient déjà à la manœuvre, difficile d’échapper aux comparaisons, voire aux critiques. Un sport hélas très français.
Mais, à l’image de leur patron de cabaret, ces derniers n’ont pas hésité à relever leurs manches pour imposer cette vision burlesque d’un monde à mi-chemin entre Moulin rouge, Emily in Paris et Dix pour cent. Et si c’est évidemment cette série qui revient le plus sur les lèvres, c’est parce que le réalisateur Marc Fitoussi s’inspire de ce qui a fait le succès du show qui fêtera ses dix ans – oui, déjà – en 2025, à savoir des guests de prestige interprétant leurs propres rôles (Monica Bellucci, Line Renaud, etc.) et des têtes pas inconnues (Nicolas Maury, génial dans son rôle de directeur artistique perché, mais aussi Charlotte de Turckheim, méconnaissable).
Le résultat, excepté peut-être le premier épisode en faux plat, est à la hauteur des ambitions. Drôle, beau à l’image et rythmé par des musiques originales signées Bertrand Burgalat, l’ensemble promet un divertissement idéal pour ramener à la maison celles et ceux ayant fui le service public pour trouver refuge chez Netflix. La parole à Marc Fitoussi, chef d’orchestre de cette production dans laquelle les dialogues côtoient les costumes, mais sans claquage de muscles.
Télérama est assez dur avec Ça, c’est Paris ! : le média affirme dans son titre l’avoir aimé à “seulement dix pour cent”. Qu’avez-vous réellement pioché dans cette série ?
Nous n’avons absolument pas réfléchi ce show en nous disant : “Tiens, qu’est-ce qu’on va prendre de Dix pour cent ?” Certes, Ça, c’est Paris ! parle de l’envers d’un décor, celui d’un cabaret, comme notre précédente série racontait les coulisses d’une agence de stars. On peut y voir d’autres similitudes : il y a évidemment le fait que j’ai été coscénariste et réalisateur de certains épisodes de Dix pour cent, sans oublier Dominique Besnehard et Michel Feller à la production et la présence de Nicolas Maury et Anne Marivin dans le casting. Mais honnêtement, tout est parti de cette envie de raconter l’histoire d’un cabaret à la dérive et comment il pourrait retrouver de sa superbe.
Quand on porte un projet aussi lourd sur les épaules, le succès de Dix pour cent est-il un atout ou un fardeau ?
Ça me profite autant que ça me dessert, et je le savais avant même que la série ne soit montrée. C’est tout à fait logique d’annoncer dès la bande-annonce que cette production a été créée par l’équipe de Dix pour cent, puisqu’on est nombreux à avoir bossé dessus. À partir de là, on sait que les médias seront très sévères dans la comparaison, ou parfois pas objectifs. Certains préfèreront notre précédent show et d’autres trouveront que Ça, c’est Paris ! est meilleur. Au final, seuls les téléspectateurs jugeront.
On retrouve au passage la même mécanique ultra-efficace avec des invités comme Monica Bellucci ou Line Renaud interprétant leurs propres rôles. À quel point cette logique de casting par épisode a-t-elle influencé leur écriture ?
Dix pour cent a ouvert la voie à quelque chose d’inédit : on n’a plus envie de ces séries ou de ces films où l’on invente des stars fictives incarnées par des acteurs et actrices connus. Maintenant, on sait que certaines personnalités sont prêtes à jouer sous leur propre nom. Si l’on parle d’une reine du music-hall et du cabaret, c’est nettement plus savoureux de pouvoir inviter Line Renaud jouant la vraie Line Renaud que de créer un personnage fictif.
De la même façon, ça me paraissait impensable d’avoir Monica Bellucci au casting et devoir l’appeler Ornella Venturini pour incarner la star italienne ! L’avantage d’avoir des “vraies gens” dans du fictif, ça se joue aussi dans les dialogues, où l’on peut autant citer Angèle qu’Aya Nakamura ou Marie-Paule Belle. Je suis certain que le public aime cette incursion de la vie dans les séries.
Quel est le véritable personnage principal de Ça, c’est Paris ! ? Alex Lutz, patron du cabaret, est évidemment central, mais les épisodes laissent découvrir une constellation de micro-rôles principaux.
On voulait une série chorale qui puisse tourbillonner, c’est-à-dire passer d’un protagoniste à un autre, du directeur du cabaret Le Tout-Paris (Alex Lutz) à son nouveau directeur artistique (Nicolas Maury), en passant par la danseuse Coralie (jouée par Salomé Dewaels). Au final, le personnage principal est le cabaret lui-même ; c’est la maison qui abrite tous les héros paumés de cette production.
Plus que Dix pour cent, le scénario de Ça, c’est Paris ! avec ce cabaret en faillite fait surtout penser au Dernier Métro de Truffaut, avec Deneuve et Depardieu dans ce théâtre parisien décati de la Seconde Guerre mondiale…
Ça me touche beaucoup, j’adore Le Dernier Métro. C’est un film qui m’a marqué et il y a d’ailleurs un lien direct dans l’un des épisodes. Ce qui est marrant, c’est qu’à chaque fois que je me lance dans la préparation d’un tournage, je revisionne des classiques et, finalement, je n’en fais pas grand-chose par manque de moyens. Pour Ça, c’est Paris !, je me suis par exemple replongé dans Victor Victoria de Blake Edwards (1982) parce qu’il y avait de grandes séquences de cabaret, sublimes.
Mais ces films de chevet ont surtout un impact inconscient ; c’est la somme de tout cela qui ressurgit sans calcul, comme Tous en scène de Vincente Minnelli (1953) qui m’avait beaucoup marqué quand j’étais enfant. Mais quand on se lance dans un nouveau projet, il faut savoir faire table rase du passé.
La musique est très importante dans Ça, c’est Paris !, et vous avez confié à Bertrand Burgalat l’écriture des morceaux de ces six épisodes. Était-ce important de lutter contre le refus de certains producteurs d’accorder des budgets à la bande originale de séries ?
J’ai toujours adoré la musique originale dans les films et les séries. Il y a deux choses que je déteste actuellement : trop de morceaux déjà connus et réutilisés comme des bouche-trous pour donner l’impression d’avoir une série populaire, et le “syndrome de la nappe musicale”, où la mélodie est diffuse et impénétrable ; ça ressemble presque plus à du sound design qu’à de la vraie musique.
Travailler avec Bertrand Burgalat, avec qui j’avais déjà collaboré sur Les Apparences (2020), était au contraire la garantie d’une musique originale “à l’ancienne”, mais résolument moderne. Le résultat est à la fois classique, classieux et très contemporain, d’autant plus qu’il a réussi à répondre à mon besoin astronomique de musiques, qu’il s’agisse du générique ou des morceaux de revues pour le cabaret. C’était pharaonique !
C’est effectivement toujours un combat de faire comprendre aux productions que la musique à l’image est indispensable. Sans parler de l’omniprésence des superviseurs musicaux qui ont quasiment remplacé les compositeurs. On croit à tort qu’il suffit de trouver deux ou trois morceaux connus pour que l’affaire soit pliée. C’est faux.
Peut-on s’attendre à que Ça, c’est Paris ! s’exporte à l’étranger ?
La série a déjà été vendue pour l’Italie [à la Rai, ndlr] et sur d’autres chaines nationales. Elle devrait aussi bientôt atterrir sur une célèbre plateforme dont je ne peux pas encore dire le nom !