Décryptage

Prix Goncourt des lycéens : des rencontres comme des passages de témoin

12 octobre 2024
Par Léonard Desbrières
À Paris ,s'est déroule la journée autour du prix Goncourt des lycéens 2024.
À Paris ,s'est déroule la journée autour du prix Goncourt des lycéens 2024. ©Sensay/Shutterstock

Le temps d’une demi-journée, L’Éclaireur a discrètement assisté à une des dates de la tournée des écrivains en lice pour le Prix Goncourt des Lycéens. Quelques heures ont suffi pour comprendre ce qui fait de ce prix une aventure à part pour les élèves comme pour les écrivains.

Drôle d’endroit pour une rencontre, dirait le réalisateur François Dupeyron. En cette matinée ensoleillée d’octobre, 14 écrivains et une dizaine de classes (de la seconde au BTS, toutes filières confondues, venant de région parisienne, du Nord et de l’est de la France) se sont donné rendez-vous au Cabaret sauvage, haut lieu de la vie nocturne parisienne.

Sous le chapiteau baigné de la lumière de projecteurs bariolés, dans un décor de fête foraine ou de kermesse déjantée, les professeurs rivalisent d’ingéniosité pour canaliser l’énergie collective et faire asseoir les élèves aux places désignées. L’ambiance est électrique… pas si différente d’un samedi soir, finalement.

Le trac des grands soirs

En coulisses aussi l’excitation est palpable pour ceux qui vont les rencontrer. S’ils se sentent comme chez eux dans les allées des différents salons hexagonaux, s’ils sont habitués à répondre aux interviews, les écrivains semblent appréhender le face-à-face avec l’adolescent, créature fougueuse, imprévisible, la plus à même de les coincer avec une interrogation retorse : « Les lycéens n’ont pas du tout la même façon de penser que les journalistes, qui nous posent quand même souvent les mêmes questions, s’amuse l’autrice de Madelaine avant l’aube, Sandrine Collette, croisée dans les loges, quelques minutes avant de monter sur scène. Avec eux, on se retrouve vite à discuter de choses surprenantes auxquelles on n’aurait même jamais pensé. J’aime cette spontanéité. »

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Sans doute ressentent-ils également une forme de pression alors qu’ils s’apprêtent à s’engager dans un numéro de charme qui devra rivaliser avec celui des concurrents. Car si, à tour de rôle, par groupe de trois ou quatre, les 14 autrices et auteurs invités vont défiler toute la journée devant l’assistance, c’est parce qu’ils font partie d’une sacrée aventure littéraire. En figurant dans la première sélection du prix Goncourt, elles et ils ont été automatiquement sélectionnés comme prétendants à un autre prix d’automne, le petit frère, le prix Goncourt des lycéens.

N’y voyez pas pour autant une récompense moins importante, bien au contraire. Depuis sa création en 1988 par la Fnac et le ministère de l’Éducation nationale, avec la bienveillance de l’Académie Goncourt, ce prix de lecteurs est devenu un enjeu de taille pour les écrivains puisqu’il figure parmi les plus prescripteurs du milieu. Mais, pour atteindre le Graal, il faut conquérir le cœur des quelque 2000 élèves qui forment ce jury de la jeunesse.

Si le livre en lui-même, avec son écriture, les univers qu’il raconte et les questions qu’il soulève est bien évidemment le juge de paix d’un verdict toujours très incertain, une partie de la compétition se joue face aux adolescents, tout au long d’une tradition chère au prix Goncourt des lycéens, une tournée des écrivains à travers la France.

Le matin du 8 octobre, au Cabaret sauvage, on assiste, en effet, à la deuxième date d’un cycle de rencontres qui, la veille, a déjà emmené les auteurs à Toulouse et qui les emmènera par la suite à Strasbourg, Rennes, Lyon ou encore Aix-en-Provence. Un road trip intense étalé sur dix jours, pour un prix qui se mérite plus que les autres.

Laisser parler les élèves

La lumière se tamise, le silence se fait. De part et d’autre de la scène, deux journalistes, Nicolas Carreau et Agathe Le Taillandier, introduisent la journée en insistant sur la chance et l’importance de la mission confiée aux lycéens présents dans la salle. Le célèbre « un grand pouvoir implique de grande responsabilité » est lâché. Un peu de Spiderman pour les amadouer. Bien joué. Un dernier remerciement adressé aux élèves d’Estienne, école de design, de communication et des arts du livre, qui se chargeront d’illustrer chaque rencontre avec des dessins personnels retransmis en direct, et le décor est planté.

Place aux artistes. Sous un tonnerre d’applaudissements digne des plus grandes rock stars du moment, les quatre premiers auteurs montent sur scène. À tour de rôle, après la lecture d’un extrait de leur livre par un ou plusieurs élèves, ils vont disposer d’une quinzaine de minutes pour échanger avec le public.

Pour les modérateurs en charge de la rencontre, toujours le même mode opératoire : intervenir quand c’est nécessaire, pour fluidifier le débat, mais surtout distribuer la parole aux élèves qui sont les véritables moteurs du dialogue. Un format d’ailleurs très apprécié par certains élèves interrogés, dont Anita, en BTS au lycée Marie de Champagne, à Troyes : « J’ai trouvé que c’était une bonne idée de nous laisser parler plutôt que de simplement écouter une présentation des auteurs. On a pu avoir des réponses à des questions précises qu’on se posait sur les livres. »

Susciter le débat

Comment les classes se sont-elles préparées à un tel événement et plus largement à assumer pleinement leur rôle de juré ? « Quand j’ai annoncé à mes élèves qu’on allait lire 14 livres en deux mois, j’ai ressenti beaucoup de peur d’abord et c’est normal, raconte le professeur de lettres d’Anita, interrogé lors de la pause déjeuner. Puis on s’est organisé et je crois qu’une forme d’excitation s’est emparée de la classe. »

Afin de balayer au mieux les livres de la sélection, il a opté pour une répartition simple. 14 groupes qui progressent, lecture après lecture. Mais d’autres classes ont adopté des stratégies différentes : « Les premiers jours, on nous a chacun attribué un livre, se rappelle Marie, élève au Lycée Stéphane Hessel d’Épernay. Au bout de 100 pages, on devait lui attribuer une note. Si elle était trop basse, on essayait un autre livre. J’ai commencé par Les Guerriers de l’hiver d’Olivier Norek et j’ai tout de suite su que je n’allais pas aimer. Je ne voulais pas lire une histoire de guerre et de mort. J’ai donc essayé un autre livre, Tout le bruit du Gueliz de Ruben Barrouk et j’ai été complètement emportée, ce petit-fils qui part sauver sa grand-mère, ça m’a émue. »

Au même moment, un de ses camarades qui passe à côté de nous, sans même s’arrêter, nous lance un « Je ne suis pas d’accord, Les Guerriers de l’hiver, j’ai trop aimé, le courage, les combats… » Faire naître le débat, pousser les élèves à argumenter leur choix : c’est l’essence même d’un prix comme celui-là.

Un moment d’échange privilégié

Chacune avec sa méthode, les classes et leurs élèves enchaînent les questions aux autrices et auteurs avec aplomb. Quelle part d’eux-mêmes les écrivains mettent-ils dans leur livre ? Une interrogation qui stimule Maylis de Kerangal alors qu’elle signe avec Jour de ressac son livre le plus personnel.

Comment procèdent-ils aux recherches préalables à l’écriture ? Le sujet passionne Philippe Jaenada qui, dans La Désinvolture est une bien belle chose poursuit sa littérature du réel ultradocumentée et tente de percer la mort mystérieuse d’une femme tombée de la fenêtre de sa chambre d’hôtel en 1953.

Comment sait-on quand on tient un bon personnage ? LA grande question pour Étienne Kern, auteur de La Vie meilleure, un roman consacré à Émile Coué, fondateur de la méthode qui porte son nom. La signification d’un prénom ou même son orthographe, la redondance d’une phrase, l’océan qui s’invite à chaque page : d’autres questions en apparence plus simples viennent, comme prévu, bousculer les auteurs. Un ping-pong dynamique s’installe et les heures défilent sans que la fatigue ne semble véritablement se faire ressentir.

« Je crois que de voir tous les écrivains répondre à l’appel n’a fait que renforcer la motivation, se félicite notre professeur à la pause déjeuner, avant d’être subitement rappelé par ses obligations. Ça donne une journée dense, fatigante, un peu longue, mais je crois qu’ils s’en souviendront longtemps. » Effectivement, Anita, son élève, apporte de l’eau à son moulin : « Habituellement, je ne suis pas une grande lectrice, mais la configuration du Goncourt des lycéens m’a donné envie de découvrir le plus de livres possible de la sélection pour pouvoir les juger justement. Je suis tellement à fond que je pense que je vais devenir déléguée. »

C’est la prochaine étape pour les 53 classes qui composent le jury à travers la France. À l’issue de ce cycle de rencontres, elles vont élire un représentant pour annoncer leur tiercé de livres gagnants et défendre leurs choix lors de délibérations régionales le 25 novembre prochain. Un dernier tour de table sera alors effectué entre deux représentants de chaque région pour élire le gagnant, qui sera annoncé le 28 novembre à Rennes, ville où chaque année le prix Goncourt des lycéens est proclamé.

Transmettre l’amour des mots et de la littérature

Du côté des auteurs, on en aurait presque oublié la compétition. Juste avant de monter sur scène, Étienne Kern nous confesse que cette rencontre est d’abord un grand moment d’émotion : « La boucle est bouclée. Il y a 25 ans, j’étais à leur place, juré du prix Goncourt des lycéens. J’ai même pris avec moi un des livres en compétition à l’époque, La Demande de Michèle Desbordes. C’est ce livre qui m’a donné envie de devenir écrivain. Alors, qui sait ? Peut-être que les échanges d’aujourd’hui donneront envie à un ou une adolescente de se lancer dans l’écriture. »

Chacun dans leur style, les écrivains marquent leur territoire et captivent leur audience. Thomas Clerc s’aide d’objets personnels qu’il a apportés pour expliquer le procédé d’écriture original utilisé dans Paris, musée du XXIe siècle, le 18e arrondissement. Philippe Jaenada en ours sensible et blagueur, Maylis de Kerangal cherchant à faire passer avec passion ce qui se joue dans l’écriture, Étienne Kern, tendre et très à l’écoute des adolescents – il faut dire que le professeur de lettres en Khâgne au lycée Édouard Herriot de Lyon s’y connaît un peu en matière de pédagogie. On parvient à l’attraper alors qu’il sort tout juste de scène : « Je suis très content, ça s’est bien passé, mais j’attends encore plus impatiemment la dédicace. Ce qui se joue à ce moment-là est souvent plus important que ce qui se joue sur scène. »

Effectivement, chaque rencontre est suivie d’une signature informelle, plus personnelle, où les auteurs prennent le temps d’échanger en tête à tête avec les lycéens et lycéennes. Des moments furtifs et intenses qui donnent parfois lieu à beaucoup d’émotions. Sandrine Collette nous confie, presque émue : « Hier, une élève est venue me demander une dédicace en pleurant parce qu’elle a reconnu quelque chose de très intime dans le personnage de Madelaine, ça m’a bouleversée. Je vois ce genre d’événement comme un cadeau. On essaie de donner de l’amour avec nos livres, et on reçoit en retour. »

Preuve que ce qui s’est joué sous ce chapiteau aujourd’hui, plus encore qu’une course au prix entre auteurs et autrices, c’est la transmission d’un amour pour les mots et la littérature, une invitation adressée aux nouvelles générations. « Les jeunes ne lisent plus de livres », clame-t-on partout. C’est tout l’inverse qu’on a vu aujourd’hui.

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