Près de 30 ans après sa sortie, La Haine de Mathieu Kassovitz – et la réalité brutale qu’il dépeint de la banlieue – revient sur le devant de la scène en ce mois d’octobre dans un tout nouveau format.
Si d’autres films abordant déjà les mêmes thématiques et les mêmes enjeux avaient déjà vu le jour, il n’est pas insensé de penser que c’est avec La Haine que le « cinéma de banlieue » est né, transformant une géographie en un genre cinématographique.
Bien que les banlieues, au sens contemporain du terme, apparaissent au XIXe siècle avec le développement du chemin de fer et de l’industrialisation, et voient des commerçants, artisans ou gentilshommes s’installer aux abords de la ville, il convient de rappeler que, étymologiquement parlant, elles sont le « lieu du ban », à savoir le bannissement du droit de certains individus de rentrer dans la ville.
Une caractéristique qui s’applique parfaitement au cinéma de banlieue où, dans la plupart des cas, nous avons affaire à des personnages emprisonnés dans cette marginalisation qui s’est perpétuée, voire aggravée, au fil du temps. Ces dernières décennies, c’est même un processus de « ghettoïsation » extrêmement rapide qui s’est développé, avec une certaine énumération du désespoir : entassement de familles nombreuses, discrimination ambiante, repli communautaire de plus en plus brutal, taux de chômage supérieur à la moyenne, milieu scolaire en difficulté…
Une notion d’échec que le cinéma français n’a pas manqué de représenter, du film Casque d’or réalisé par Jacques Becker en 1952 au phénomène Les Misérables de Ladj Ly sorti en 2019. Outre l’échec des institutions (police, État…), le ou les personnages ne parviennent pas à sortir de ce cadre malgré les tentatives ou opportunités heureuses. À l’image de Divines d’Houda Benyamina, où l’on suit Dounia, qui, guidée par soif de réussite, s’associe avec une dealeuse respectée. Un récit plongeant ainsi l’adolescente au centre d’une spirale de violence et pensé comme une réponse aux émeutes de 2005.
Des œuvres comme lanceuses d’alertes aux institutions
Lorsqu’il s’agit d’évoquer le cinéma de banlieue, difficile donc de faire l’impasse sur le film de Mathieu Kassovitz sorti en 1995. Juste mélange de cinéma social qui nous fait découvrir un mode de vie et de langage que l’on n’avait pas ou peu l’habitude de voir à l’époque au cinéma, La Haine est aussi un récit incroyablement cinématographique avec ces plans en noir et blanc. Hubert Koundé, Saïd Taghmaoui et Vincent Cassel incarnent un trio « black-blanc-beur » – une expression qui s’immisce dans le jargon populaire en cette deuxième partie des années 1990 – dans ce film qui s’inspire de la mort de Makomé M’Bowolé, un jeune de cité assassiné d’une balle dans la tête par un inspecteur de police lors d’un interrogatoire à Paris.
Un terrible fait divers qui pousse Mathieu Kassovitz à s’interroger sur la haine que se vouent cités et policiers, de la manière la moins caricaturale possible. Près de 30 ans après sa sortie, La Haine, César du meilleur film en 1996, reste un incontournable avec ses nombreuses scènes devenues cultes et encore citées en référence aujourd’hui. Un classique qu’il sera possible de (re)découvrir sous la forme d’une comédie musicale : dans le cadre live et immersif de la Seine Musicale, Mathieu Kassovitz et Serge Denoncourt ont imaginé 14 tableaux inspirés du film pour montrer que l’essence et le message du film restent, malheureusement, pertinents.
Inspiré de faits réels, le film Bac Nord, sorti en 2021, nous plonge quant à lui dans l’univers dur des cités, cette fois du côté de Marseille. Le long-métrage retrace les dérives d’une unité de la Brigade anticriminalité qui ont provoqué un séisme au sein de la police nationale marseillaise en 2012.
Réalisé par Cédric Jimenez, originaire de la Cité phocéenne, le film présenté hors compétition lors du Festival de Cannes a, avant de connaître un joli succès public (plus de 2 millions de spectateurs et le César des lycéens en 2022), divisé la Croisette lors de sa première projection. Salué par une partie du public, il a suscité scepticisme et critiques, notamment celui de prendre le parti de la police et de perpétuer les clichés sur les banlieues.
Dès son ouverture motorisée, le cinéaste resserre un peu plus son étreinte sur les nerfs du spectateur, comme étouffé lui aussi par une situation qui semble incontrôlable. À l’image de la cité, véritable forteresse où il ne fait pas bon circuler pour les forces de l’ordre, Marseille devient petit à petit un chaudron bouillonnant dont l’explosion n’est jamais loin, jusqu’à la scène d’action centrale dont on ressent, même derrière l’écran, toute l’intensité.
De quoi contraster avec l’autre incursion de Gilles Lellouche dans le cadre de la cité, beaucoup plus souriante avec Jusqu’ici tout va bien. Lorsque le patron d’une agence de communication parisienne branchée subit un contrôle fiscal houleux, il est contraint par l’administration de délocaliser du jour au lendemain son entreprise à La Courneuve.
L’occasion pour cet homme et son équipe bourrés d’à priori d’apprendre les règles et usages à adopter dans ce nouvel environnement. Un choc des cultures prônant la cohabitation et la fin des idées préconçues qui, malgré les clichés et les facilités, donne le sourire à la fin du visionnage. Car c’est aussi ça le cinéma, après tout…
Une plongée réaliste qui touche forcément le spectateur
Une banlieue qui s’embrase, c’est aussi l’atmosphère étouffante que nous propose Ladj Ly avec Les Misérables (2019). Véritable raz-de-marée à sa sortie et même après, comme en témoignent ses quatre Césars en 2020, dont celui du meilleur film, et une nomination à l’Oscar du meilleur film international, le long-métrage voit une cité à l’est de Paris prendre feu après une bavure policière, filmée par un enfant.
Avec le point de vue d’un policier tout juste arrivé de Cherbourg pour intégrer la Brigade anticriminalité et qui découvre alors la réalité de ces zones urbaines gangrenées par la violence et la pauvreté, ce film choc ne prend pas parti, mais pointe du doigt une réalité qui fait froid dans le dos.
Plutôt qu’un enchaînement de scènes d’action pour mettre en lumière la violence ou l’affrontement de deux mondes, Les Misérables est aussi une référence au roman de Victor Hugo, une œuvre où le phrasé et les messages ont un sens. Ainsi, le film s’attaque plus efficacement par les mots aux institutions et notamment aux politiques, quels que soient les points de vue auxquels le réalisateur s’attache : celui du flic face à ses cas de conscience ou de cet enfant défiguré par la violence environnante et qui deviendra le symbole de la révolte.
Quand on ne partage pas le point de vue des « banlieusards », nous avons le droit à un regard plus lointain, en apparence moins représentatif, mais tout aussi tendu : celui du pouvoir. Dans le thriller politique Les Promesses de Thomas Kruithof, le spectateur est plongé dans l’exercice d’un pouvoir local, à travers le personnage d’une maire de Seine-Saint-Denis et de son assistant confrontés à la déchéance d’un territoire. Avant de raccrocher l’écharpe, la maire veut lancer un projet cher à son cœur : la rénovation d’une cité insalubre.
Si les copropriétaires excédés des immeubles concernés payent enfin leurs charges, cette dernière obtient l’accord verbal que l’État investira les millions nécessaires. Reste à convaincre les habitants du sérieux de cette promesse… qui n’en est qu’une de plus après tant d’autres. Dans l’ambiance à haute pression des salles de réunion et des cabinets ministériels, c’est le paysage déchu et le sort d’une cité qui se joue au milieu d’une guerre d’influence.
Sorti deux ans après La Haine, Ma 6-T va crack-er représente également une immersion fascinante dans les quartiers déshérités de France, comme une découverte de la misère sociale et économique régnant dans ces zones urbaines, et qui conduit inexorablement à la violence.
Billetterie Fnac pour La Haine, jusqu’ici rien n’a changé.