Entretien

Boombass de Cassius : “Nous étions juste des fêtards qui voulaient faire danser les gens”

11 octobre 2024
Par Benoît Gaboriaud
Cassius
Cassius ©Pedro Winter

Après avoir « ambiancé » la cérémonie de clôture des Jeux paralympiques de Paris 2024, Cassius revient en grande pompe avec un best of et des soirées spéciales, réveillant avec enthousiasme la French Touch.

En remettant le duo sur le devant de la scène, il semblerait que Paris 2024 ait définitivement rallumé la flamme de Cassius, qui s’était éteinte en 2019 après le décès soudain de Philippe Cerboneschi, alias Zdar. Poing levé, son acolyte Hubert Blanc-Francard, surnommé Boombass, en reprend seul le flambeau. Avec la sortie de la compilation Best of 1996-2019 et la programmation du Cassius Club, l’artiste devrait faire rayonner à nouveau leur son électro-soul et rétrofuturiste si grisant. Nous l’avons rencontré pour revenir sur ses années fastes et évoquer l’avenir.

Aux prémices de la French touch, aviez-vous le sentiment d’être à l’initiative d’une révolution musicale ?

Non, pas du tout ! J’ai eu davantage ce sentiment quand j’ai commencé à me mettre au hip-hop qui était un courant social plus vaste, venant des banlieues et touchant aussi bien la musique que la danse ou le graphisme. Pour la French touch, j’ai seulement pris conscience de l’influence que nous avons pu avoir sur des générations dans les années 2010. Pour moi, nous étions juste des fêtards qui voulaient faire danser les gens. Je suis hyperfier du tournant que ça a pris. Ceci étant, à la fin des années 1990, nous tournions beaucoup avec les Daft Punk qui suscitaient l’hystérie dans les clubs. Il se passait un truc, quand même !

Philippe et vous venez d’horizons musicaux très différents. Comment avez-vous réussi à vous entendre et à travailler ensemble ?

Au début, nous faisions la même chose, puis, au fil du temps, les rôles se sont précisés. Philippe était un producteur né, il a donc porté cette casquette. Généralement, je lui faisais confiance quant au choix des titres à garder ou pas. On s’enfermait en studio avec quelques notes et on travaillait à l’instinct. Durant ces sessions, un morceau techno pouvait se transformer en slow et vice-versa. 

Cassius.©So-Me

Pour ma part, j’ai grandi dans les studios, aux côtés de mon père, j’ai donc transmis ma passion des instruments et du matos à Philippe. Sortant de Motorbass, il avait en tête des lignes vintages et des productions analogiques. De mon côté, j’étais plus tourné vers le digital. Nous nous sommes nourris de nos influences respectives. Le sample est vite devenu un élément important. On a commencé avec les MPC, jusqu’à l’émulation autour du MPC2000, puis on a découvert la famille des Yamaha CS, jusqu’au CS-80 qui ont énormément influencé notre son. Nous mélangions des sons des ancêtres du synthétiseur analogique avec les derniers digitaux.

Mais, au-delà de l’aspect musical, on fonctionnait comme un couple, en sachant laisser l’autre vaquer à ses occupations. Si j’avais besoin de passer une année avec mes enfants, ce n’était un problème pour personne. Je dois quand même avouer que Philippe, avec son côté hyperactif, était l’élément moteur. Il avait l’art de nous mettre la pression pour repartir quand il le fallait !

Clip de I < 3 U So, de Cassius.

Ces derniers mois, vous avez assuré avec Étienne de Crécy et DJ Falcon une longue série de DJ’s sets en France et à l’étranger. Quels titres de Cassius ont le plus suscité l’hystérie ?

Les titres I < 3 U So et Go Up (feat. Cat Power & Pharrell Williams) fonctionnent toujours très bien, mais je suis fier de voir que, jusqu’au fin fond de la Californie, les jeunes de 20 à 30 ans, qui n’ont pas pu écouter Cassius au moment de la sortie des albums, viennent me remercier, comme je le faisais avec des artistes des années 1970 qui m’ont tant inspiré.

Vous parliez de samples. Cassius 99, le premier titre de votre premier album 1999, en contient justement un issu de (If It) Hurts Just a Little, une chanson de Donna Summer produite par Quincy Jones en 1982.

J’avais ce sample en tête, comme celui de All This Love That I’m Giving, depuis l’époque où je travaillais avec MC Solaar. J’adorais ce passage, avec ces arrangements et ces harmonies typiques de la couleur de la musique de Quincy Jones, mais je n’arrivais pas à les sampler comme je le voulais pour Claude. Pour Cassius, sur des rythmes plus rapides à 130 bpm, j’ai eu le déclic ! La plupart des idées de nos morceaux émergeaient quatre ou cinq ans avant qu’ils sortent.

Clip de Cassius 1999, de Cassius.

Donna Summer, The Whispers, Gwen McCrae, Roberta Flack, Sandra Richarson… La plupart de vos samples proviennent de la scène noire américaine. Quel rapport entretenez-vous avec elle ?

Comme tout le monde, j’ai commencé par écouter Stevie Wonder, Aretha Franklin ou Marvin Gaye, puis j’ai découvert Sly & the Family Stone, Parliament-Funkadelic, ou Ohio Players, des musiciens incroyables, et évidemment le Dieu, Curtis Mayfield.

Clip de Feeling for you, de Cassius.

Leurs musiques et leurs interprétations rendaient leurs souffrances palpables, même s’ils n’écrivaient pas forcément les textes. En les écoutant, je me projetais dans les ghettos américains où je n’avais jamais mis les pieds. Cette démarche, on la retrouvait aussi dans le hard rock ou le heavy metal qu’écoutait Philippe, avec des groupes comme Metallica, qui pour ma part, m’emballaient moins.

Ce best of renferme un titre rare, qui n’a jamais été diffusé sur les plateformes de streaming : Dinapoly.

En 1996, nous avons produit un maxi vinyle, édité à 250 exemplaires et baptisé L’Homme qui valait 3 Milliard$. Dessus, il y avait deux morceaux : Foxy Lady sur la face A et Dinapoly sur la B. Le titre Foxy Lady s’est retrouvé sur notre premier album 1999, mais Dinapoly est toujours resté dans l’ombre. Pourtant, il est emblématique de notre façon de travailler. Il pourrait être la graine de tout ce qui a suivi.

Que signifie Dinapoly ?

C’est un mot que nous avons inventé, volontairement bizarroïde. Il évoquait pour nous l’univers du jeu vidéo et la ville de Naples que nous avons toujours aimée. Nous étions fans de l’Italie.

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Désormais, quel est l’avenir pour Cassius ?

Ces derniers mois passés avec Cassius m’ont donné envie de refaire de la musique en groupe et d’abandonner l’idée d’en faire seul. Ce n’est pas dans ma culture. Je vais donc m’entourer de toute une génération qui a été marquée par le son de Cassius pour voir comment elle peut s’en inspirer. Je ne sais pas encore la place que j’y prendrai, peut-être juste celle de producteur. C’est ma mission pour 2025.

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