Critique

Beetlejuice Beetlejuice de Tim Burton : laissez les fantômes reposer en paix !

11 septembre 2024
Par Robin Negre
Michael Keaton dans “Beetlejuice Beetlejuice”.
Michael Keaton dans “Beetlejuice Beetlejuice”. ©Warner Bros.

La suite du film culte de Tim Burton permet au réalisateur de retrouver un cinéma artisanal, mais peine à convaincre à cause d’une écriture chaotique et un trop-plein de personnages.

Depuis 15 ans, la même question se fait entendre à chaque nouveau film de Tim Burton : « Le réalisateur a-t-il retrouvé sa folie si caractéristique ? Est-il de retour ? » Et chaque film d’avoir plus ou moins la même réponse : « Oui, mais » ou « Non, mais ». Beetlejuice Beetlejuice pourrait se situer un peu entre les deux, tant le film contient tout ce qui a fait le sel « burtonnien » pendant des décennies, combiné aux récents travers de l’ancien prodige du 7e art.

Beetlejuice Beetlejuice est la suite directe de Beetlejuice, sorti en 1988, narrant la rencontre de la famille Deetz avec le fantôme Beetlejuice, esprit farceur imprévisible et excentrique, qui se prend d’affection pour la jeune Lydia et veut la contraindre au mariage, en vain. 35 ans plus tard, cette dernière, toujours incarnée par Winona Ryder, est désormais une célèbre présentatrice TV tournée vers le surnaturel, qui ne s’entend pas avec sa fille, Astrid, et doit faire face à la disparition tragique de son père. Celle-ci va d’ailleurs forcer la famille à retourner dans la petite ville de Winter River, et de nouveau la confronter au monde des morts.

Beetlejuice Beetlejuice.©Warner Bros.

Depuis plusieurs années, Tim Burton tente de réaliser la suite de Beetlejuice, sans succès. En rencontrant Alfred Gough et Miles Millar, les créateurs et showrunners de la série Mercredi, le projet avance et les deux scénaristes se chargent d’écrire Beetlejuice Beetlejuice. Tim Burton réunit son ancien casting – Michael Keaton, Winona Ryder, Catherine O’Hara – et accueille de nouveaux visages, dont Jenna Ortega (star de Mercredi) et Monica Bellucci.

Pour le cinéaste, cette suite est également l’occasion de revenir à un cinéma plus artisanal, après une décennie à se perdre sur des fonds verts et du numérique. Le résultat l’atteste : Beetlejuice Beetlejuice a un aspect volontairement carton-pâte, artisanal et authentique. Les personnages se perdent dans des décors en « dur » et, malgré les années passées (et une photographie plus numérique), le film parvient à s’inscrire visuellement dans la continuité du premier. Au niveau des thématiques, le long-métrage questionne une nouvelle fois les obsessions de Tim Burton autour de la mort et de la marginalité, et convoque son sens de l’absurde, qu’il n’avait plus manifesté à ce point depuis l’inégal Dark Shadows (2012).

The Michael Keaton Show

Toute la force de Beetlejuice Beetlejuice réside néanmoins dans l’interprétation de Michael Keaton. L’acteur, trois décennies après avoir endossé le costume pour la première fois, parvient à retrouver la même excentricité propre au personnage. Imprévisible, jouant avec la voix et le rythme, il canalise l’énergie physique du fantôme pour en faire un ressort dramatique et humoriste continu. Différent à chacune de ses apparitions, il dispose également d’un rôle plus approfondi que dans le premier film, tandis que la suite développe le background du personnage sans perdre l’une de ses forces : son omniscience.

Beetlejuice reste ce fantôme incontrôlable, difficile à cerner, aux pouvoirs apparemment sans limites et aux motivations cryptiques. L’acteur excelle dans le genre de l’absurde et, après Batman en 2022 dans The Flash, il renoue avec l’un des grands rôles de sa carrière. 

Beetlejuice Beetlejuice.©Warner Bros.

À contrario, le reste du film présente une succession de personnages – et d’arcs narratifs – qui ne font qu’alourdir le récit. Un écueil qui s’explique sûrement par le fait qu’Alfred Gough et Miles Millar viennent de la télévision – on leur doit notamment Smallville. Sur une série, les deux auteurs auraient très certainement eu le temps de développer les personnages et leurs intrigues. Toutefois, leur écriture filmique souffre de leur adoption des méthodes du petit écran. Ils tentent ainsi de condenser le tout, au point de le rendre indigeste, chaotique et éparpillé.

L’histoire entourant le personnage de Monica Bellucci est le cas le plus flagrant, tant l’actrice – au design particulièrement « burtonnien » – n’a que peu de scènes, alors même que son rôle la présente comme une antagoniste redoutable.

Ceci étant dit, le reste du casting trouve chez Tim Burton un terrain de jeu réjouissant. Jenna Ortega confirme être l’une des nouvelles muses du cinéaste, bien que sa partition d’enfant torturée en désaccord avec sa mère soit la copie conforme de son jeu dans Mercredi. Catherine O’Hara semble tout droit sortie de la série Bienvenue à Schitt’s Creek en incarnant à nouveau une artiste décalée. Quant à Willem Dafoe, l’acteur joue avec lui-même dans ce rôle de détective à l’esprit dérangé. Seule Winona Ryder, pourtant première grande muse de Burton, détonne.

Winona Ryder comme alter ego

Son personnage est pourtant la colonne vertébrale de Beetlejuice Beetlejuice. Héroïne du premier film, projection de Tim Burton lui-même avec cette icône gothique incomprise et inadaptée à la société « normale », elle semble être à nouveau l’alter ego du réalisateur dans cette suite. Son personnage n’est plus la « chipie gothique » qu’elle était avant. Et, dans un discours très méta semblant s’adresser à Burton lui-même, le film lui demande de le redevenir.

Néanmoins, l’époque a changé, Lydia Deetz n’est plus la jeune fille introvertie seule dans sa chambre, mais une figure publique observée et louée. Comme l’est Tim Burton. La thématique de Beetlejuice Beetlejuice cachée sous le bruit et la pagaille semble être une lettre ouverte du cinéaste, adressée à lui-même, à son cinéma et au public. Une façon de demander, peut-être, à ce qu’on arrête de poser la question : « Est-il de retour ? » Winona Ryder l’incarne avec un jeu diamétralement opposé à celui de sa jeunesse, plus craintive, moins sûre d’elle. Elle aussi a, naturellement, changé.

Beetlejuice Beetlejuice.©Warner Bros.

Alors, au lieu de poser une question que Burton ne demande pas, établissons que Beetlejuice Beetlejuice n’est ni un grand film du cinéaste ni l’un de ses pires. Le spectacle se suit, mais ne décolle jamais. L’ambiance est propre à Halloween et le film regorge de plusieurs trouvailles visuelles, mais n’atteint pas les sommets d’humour absurde ou de poésie gothique que le réalisateur a souvent utilisés, à l’image du tout premier Beetlejuice finalement, qui n’était encore à l’époque qu’une note d’intention de la part d’un cinéaste en pleine construction.

La bande-annonce de Beetlejuice Beetlejuice.

Beetlejuice Beetlejuice pourrait en être une nouvelle copie, la surprise en moins. De quoi devenir une œuvre culte dans quelques années, appréciée par une nouvelle génération la découvrant aujourd’hui, ou bien tomber dans l’oubli ? Seul le temps le dira. À moins que l’on prononce le nom de Beetlejuice trois fois. Cela fait visiblement revenir des fantômes qu’on pensait reposer en paix depuis 30 ans.

Beetlejuice Beetlejuice, de Tim Burton, avec Michael Keaton, Winona Ryder, Jenna Ortega, Monica Belluci et Willem Dafoe, 1h44, au cinéma le 11 septembre 2024.

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