Article

Deena Mohamed, figure montante de la BD égyptienne

28 août 2024
Adhérent
Article réservé aux adhérents Fnac
Deena Mohamed, figure montante de la BD égyptienne
©Deena Mohamed

Les créations de Deena Mohamed nous parviennent pour la première en France depuis que son triptyque Shubeik Lubeik a été traduit en juin dernier. Portrait d’une dessinatrice novatrice et révoltée.

Dès les premières planches, l’univers de Deena Mohamed nous happe sans réserve. À tout juste 30 ans, la dessinatrice égyptienne, autodidacte, s’impose aujourd’hui comme l’une des créatrices de bande dessinée phares du monde arabe.

Une dessinatrice engagée

Féminisme, patriarcat, capitalisme, islamophobie… Voici les quelques thèmes qui composent l’œuvre de Deena Mohamed. Ancrée dans son époque, c’est d’abord sur Internet qu’elle se fait connaître. En 2013, elle bouscule l’industrie des comics avec sa série en ligne Qahera, qui met en scène une super-héroïne musulmane. Son super-pouvoir ? La super-ouïe, qui lui permet de détecter de loin les attaques misogynes, racistes et islamophobes.

À lire aussi

Elle combat le harcèlement de rue et défend les femmes musulmanes de ceux qui voudraient qu’elles restent cloîtrées à leur maison. « Je considère Qahera comme une bande dessinée de commentaire social plus que comme un comics de super-héros. Mais, en la réalisant, je me suis rendu compte qu’il y avait un réel manque de super-héroïnes musulmanes et les lecteurs et lectrices ont réagi très fortement à cet élément de la BD », précise la dessinatrice. Une création qui vaut à Deena Mohamed le prix de la meilleure série de bande dessinée numérique lors de la première édition du Cairo Comix Festival en 2015.

À vos souhaits

Mais c’est la publication de son triptyque Shubeik Lubeik, de 2015 à 2023, qui assoit Deena Mohamed parmi les créateurs et créatrices de bande dessinée. Réuni en un seul et même roman graphique, cet album, dont le titre se traduit par « Vos désirs sont des ordres », vient d’être publié en français (Steinkis, 2024).

Situé en Égypte, il décrit un monde dans lequel les vœux deviennent une marchandise comme les autres. Cela vous semble trop beau pour être vrai ? Voici le piège : certains vœux sont de meilleure qualité que d’autres. Le risque ? Vouloir à tout prix une belle voiture pour finalement en obtenir une de la taille d’un jouet. Ou pire : souhaiter perdre dix kilos… et se retrouver sans ses deux bras.

À partir de
35€
En stock
Acheter sur Fnac.com

« Shubeik Lubeik n’est pas tant une société dystopique, mais plutôt le reflet de la nôtre. Plus je réfléchissais à l’idée des souhaits, plus il me semblait que tout était possible aujourd’hui si l’on avait suffisamment d’argent. Il existe certaines limites physiques et biologiques, comme le fait que les milliardaires ne peuvent peut-être pas contrôler l’immortalité, mais la vérité est qu’avec suffisamment d’argent, on peut réaliser des choses presque fantastiques », précise-t-elle, animée par une volonté de dénoncer, grâce au dessin, les travers de la société capitaliste ainsi que les inégalités, qu’elles soient sociales ou liées au genre.

La création de BD fleurit en Égypte

Alors que la bande dessinée conquit davantage de lecteurs et lectrices chaque année – en 2023, 75 millions d’albums ont été vendus en France d’après l’institut GfK –, l’Égypte est loin d’atteindre de tels records. Cependant, une toute nouvelle génération d’auteurs et d’autrices de bandes dessinées voit le jour dans le monde arabe. Deana Mohamed en fait partie. « Il s’agit moins d’une industrie que d’une communauté. Il n’y a pas beaucoup d’argent en jeu, il est donc difficile pour les artistes de travailler sur des projets de longue haleine,déplore-t-elle, avant d’ajouter : Mais tous ceux qui font de la bande dessinée en Égypte le font par amour. »

©Deena Mohamed/Steinkis

Dans son enfance, Deena Mohamed se détourne de la BD égyptienne, occultée par l’abondance des créations occidentales. « J’ai lu Tintin, ainsi que d’autres bandes dessinées françaises en arabe comme Astérix et Obélix. C’est seulement lors de mon mémoire de fin d’études, que j’ai consacré à l’histoire de la bande dessinée égyptienne, que j’ai découvert la richesse de notre scène contemporaine », révèle-t-elle, désormais admiratrice de l’anthologie égyptienne Tok Tok (2011), de l’album Zahra’s Paradise (2010) d’Amir Soltani et Khalil Bendid ou encore de l’auteur de comics Mohamed Salah.

Imposer son regard

Ces différentes influences permettent à Deena Mohamed de construire sa propre identité graphique. Dans Shubeik Lubeik, elle joue avec les courbes de la calligraphie arabe pour créer des personnages mystérieux. « Le potentiel de l’écriture arabe dans les bandes dessinées est vraiment inexploité. Il s’agit d’une écriture très décorative. J’ai grandi avec l’art de la calligraphie constamment autour de moi. Ce fut un véritable défi d’apprendre à la pratiquer moi-même, mais je suis heureuse que cela ait pu fonctionner dans la BD », s’enthousiasme-t-elle.

Dans le dessin, l’histoire et le choix du support, Deena Mohamed est guidée par l’envie de repousser les limites de la création de BD. Désormais, la dessinatrice impose sur le marché de la bande dessinée égyptienne, et bien au-delà, une nouvelle patte, un nouveau regard sur la société. À découvrir absolument… si tel est votre souhait !

À lire aussi

Retrouvez tous les articles Contact dans votre espace adhérent
Tout ce qui fait l'originalité de la Fnac et surtout, tout ce qui fait votre originalité.
Espace adhérent