Décryptage

Météo : quand l’IA fait la pluie et le beau temps

06 août 2024
Par Fouad Bencheman
Météo : quand l’IA fait la pluie et le beau temps
©Visual Vault/Adobe Stock

Depuis près de deux ans, de nouveaux modèles d’IA viennent révolutionner les prévisions météorologiques. Bien qu’elles soient plus rapides et plus précises, ces nouvelles méthodes de calcul ne sont pas pour autant parfaites, notamment à cause d’un impondérable difficile à appréhender : le réchauffement climatique.

Pangu de Huawei, GraphCast et GenCast de Google, FourCastNet de Nvidia, FuXi développé par l’institut Qi Zhi de Shanghai ou encore AIFS du Centre européen pour les prévisions météorologiques : peu connus du grand public, ce sont pourtant les « nouveaux ChatGTP » des prévisions météo. Capables d’anticiper les modifications de l’atmosphère à dix jours, ces nouveaux modèles de calcul viennent chambouler un secteur pourtant loin d’être hermétique aux nouvelles technologies. 

Depuis les années 1980, les météorologues utilisent des modèles d’apprentissage automatique, une forme d’intelligence artificielle plus simple et plus limitée, afin d’analyser les cycles de l’atmosphère. Infiniment plus puissants, les nouveaux émulateurs d’IA permettent d’améliorer la précision, de réduire le temps de calcul et d’augmenter la durabilité des prévisions. 

Des IA plus fortes que les meilleurs modèles de prévisions actuels

Traditionnellement, les prévisions météorologiques reposent sur des modèles traités numériquement appelés NWP (Numerical Weather Prediction). Ils intègrent des données provenant de satellites, de radars, de stations météorologiques et autres bouées océaniques. 

À partir de ces informations, des experts convertissent des équations physiques en algorithmes informatiques afin de prévoir les variables du temps : la température, l’humidité, la pression atmosphérique, la vitesse et la direction du vent, ainsi que les précipitations.

Un satellite météorologique de la Nasa.©Nasa

Concrètement, l’arrivée de nouveaux modèles d’IA, qui sont eux fondés sur des réseaux de neurones et du deep learning, apporte une grande nouveauté. Ils intègrent dans leurs calculs les données météo des 40 dernières années – à la fois les prévisions qui ont été données, mais aussi les situations réelles qui se sont passées. Et cela semble plutôt efficace. 

L’ouragan Lee en 2023.©AFP

En novembre 2023, Google a fait sensation dans le petit milieu de la météorologie. Son département d’intelligence artificielle, DeepMind, a réussi à prédire neuf jours à l’avance la trajectoire de l’ouragan Lee, qui devait toucher les côtes est du Canada et des États-Unis. Soit trois jours plus tôt que le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (ECMWF), un des leaders mondiaux dans les prévisions.

Plus rapide et plus précis, avec moins de puissance de calcul 

Afin de ne pas prendre trop de retard sur ce que proposent certains géants du Web, Météo France s’est dotée en 2022 de deux nouveaux supercalculateurs. Situés à Toulouse et accueillant 1100 salariés, soit les deux tiers des effectifs de cet établissement public, ces ordinateurs du futur sont capables de fournir des informations météorologiques fiables à 24 heures sur une échelle de 1,5 km. 

Malgré cela, l’intelligence artificielle de Google garde tout de même un temps d’avance. Sur ce site toulousain de Météo France, il faut environ deux heures pour calculer une prévision à 48 heures, là où certains nouveaux modèles d’IA sont capables de le faire en une poignée de minutes. Un gain de temps colossal dans le traitement des données, qui en plus nécessite beaucoup moins de moyens technologiques. Par exemple, GraphCast de Google ne nécessite pas d’infrastructures comme celles de Toulouse.

©Google

Enfin, et c’est certainement le plus important, la précision est plus fine. Des tests ont comparé les prévisions de l’ECMWF avec ceux de certains modèles d’IA. Dans 90% des cas, l’IA était plus précise pour des valeurs mesurées telles que la vitesse du vent, les variations de température ou encore la pression atmosphérique. 

Les dangers d’une automatisation à marche forcée 

Malgré ces avancées spectaculaires, de nombreux experts météo et scientifiques appellent à la prudence. Comme dans tous les domaines qu’elle investit, l’IA a aussi ses limites

Ce que Google et consorts proposent n’est pas un substitut, mais bien un complément. Ces modèles reposent sur un apprentissage par un algorithme de relations statistiques, mais l’expertise humaine sera toujours nécessaire pour apporter une connaissance physique à l’ensemble. 

Une partie des infrastructures de calcul de Météo France à Toulouse.©Météo France

Par conséquent, se servir de l’IA et de l’automatisation comme des moyens d’économie à grande échelle est dangereux. Pour preuves, les secousses qui remuent Météo France depuis quelques mois : plusieurs grêves ont eu lieu dénonçant une « saignée » continue dans les effectifs, 1200 postes ayant été supprimé en 15 ans. La raison de cette colère n’est pas l’IA utilisée, mais les effectifs alloués à la vérification des prévisions. 

Là où auparavant, sept prévisionnistes devaient ajuster et vérifier les données pour l’ensemble du territoire français, il n’en reste aujourd’hui plus qu’un. Mission impossible pour lui de tout vérifier à temps, d’où les nombreux couacs de ces derniers mois : de la neige annoncée à Briançon sous une température de 9 °C, une température de 28 °C annoncée à Strasbourg pour un 9 décembre ou encore un fort épisode neigeux à Paris le 9 janvier, pour lequel personne n’était prévenu…

Réchauffement climatique et enjeux financiers monstres

Si des entreprises comme Google, Microsoft ou encore Huawei mettent le nez dans nos nuages, ce n’est pas par pure bienfaisance. Pour le comprendre, il faut saisir l’utilité d’un bulletin météo – au-delà de savoir s’il faut s’armer d’un parapluie avant de sortir de chez soi.

Pour des entités ou des entreprises comme les collectivités (mairies, conseils départementaux…), les gestionnaires de transport (routier, aérien, fluvial…), les sociétés d’événementiel, les agriculteurs ou les assurances, par exemple, l’exactitude de la météo est un enjeu financier et humain. 

Vu ainsi, proposer le modèle de prévision le plus précis et le plus efficace pourrait dans les prochaines années rapporter gros. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si la plupart des grandes assurances développent en interne leurs propres services de météo par IA, comme le fait notamment la compagnie italienne Generali. Prévenir avec exactitude l’arrivée d’une catastrophe naturelle peut les aider à prévenir ses assurés et éviter ainsi de signer de trop nombreux chèques. 

Quoi qu’il en soit, tout ce petit monde fait face à un défi de taille que l’IA ne pourra pas résoudre à elle seule. Les modèles les plus avancés sont pour le moment entraînés avec des données météorologiques historiques. De ce fait, ils ne prennent pas en compte de manière explicite les changements climatiques déjà en cours et l’imprévisibilité de la météo.

Par exemple, il est admis par les scientifiques que plus la planète se réchauffe, plus les événements graves (tempêtes, ouragans, canicules…) risquent de se répéter et d’être plus intenses. Savoir qu’une tempête arrive deux jours en avance est certes utile, mais ne pas être capable de prévoir sa durée ou sa force reste problématique.

©Visual Vault/Adobe Stock

Si le réchauffement climatique pose autant de problèmes aux IA, c’est simplement parce que les algorithmes n’ont pas encore assez d’exemples dans leur base de données. Ainsi, n’importe quel événement extrême, comme un nouveau record de température, pourrait passer sous les radars. 

Si beaucoup de progrès restent à faire, les professionnels et les experts de la météo semblent toutefois déjà accorder leurs bulletins sur deux points. Le premier étant que le fantasme d’une prévision exacte au mètre et à la minute près est illusoire. Le second : oui à l’IA et à l’automatisation, mais avec méthode et sans précipitation.

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Article rédigé par
Fouad Bencheman
Fouad Bencheman
Journaliste