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Festival d’Avignon 2024 : les pépites du In et du Off

17 juillet 2024
Par Anaïs Viand
“Qui som ?” par la compagnie de cirque contemporain Baro d'evel.
“Qui som ?” par la compagnie de cirque contemporain Baro d'evel. ©Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon

La rédaction de L’Éclaireur revient sur les spectacles du In et du Off qui ont marqué cette 78e édition du Festival d’Avignon. Une sélection sous le signe de l’engagement où de jeunes et moins jeunes artistes ont lancé des débats, déclenché des fous rires, fait venir des frissons et des larmes.

De grosses coupes budgétaires, deux scrutins électoraux d’importance et une édition raccourcie pour cause des Jeux olympiques… Curieuse année pour le Festival d’Avignon 2024 qui, côté Off, comptabilise 1 666 spectacles, un chiffre en hausse par rapport à l’année passée !

« Le Festival d’Avignon est un espace et un temps d’éveil du sensible et de joyeuse découverte de la différence ; un festival qui garde et partage de l’espoir et de la force », avait rappelé le directeur du In, Tiago Rodrigues, le 27 juin. Après une première semaine timide, les rues et les salles ont finalement vu les festivaliers pointer leur nez ! Aucun doute, la Cité des papes reste et restera la capitale du théâtre. En témoigne la richesse des programmations. La rédaction a réuni ici des propositions variées, à suivre de près !

Les trois pépites du In

1 La Vie secrète des vieux, de Mohamed El Khatib

Avant que la scène ne prenne vie, un avertissement : « Compte tenu de leur âge, les personnes sur scène sont susceptibles, comme Dalida, de mourir sur scène. » Plus tard, une des comédiennes confirme qu’elle préfère « mourir sur scène qu’à l’Ehpad ». Le ton est donné. Mohamed El Khatib, spécialiste du théâtre documentaire, considère la vieillesse comme un angle mort de notre société. Alors, il a poussé la porte de quelques Ehpad et y a conduit une centaine d’entretiens.

Sur scène, on retrouve Jacqueline qui, à 91 ans, a envie de faire l’amour tous les jours, ou encore Micheline, 77 ans, qui, durant plusieurs années, a soutenu que seule sa compagne était homosexuelle et qui n’a aucun mal à parler de son clitoris devant nos yeux ébahis. Oui, car on parle de sexualité dans La Vie secrète des vieux.

La vie secrète des vieux, de Mohamed El Khatib. ©Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon

Adultère, viagra, masturbation, assistance sexuelle, consentement… Aucun sujet n’est écarté par les amateurs qui deviennent, le temps du spectacle, nos héros. Ils parviennent même à rassurer certains spectateurs : oui, il est encore possible d’aimer et de faire l’amour à 80 ans passés. Ils nous livrent même le secret de l’amour éternel : et si c’était cette capacité, au petit matin, de redécouvrir celui ou celle qui partage notre lit ?

La Vie secrète des vieux, de Mohamed El Khatib, jusqu’au 19 juillet à la Chartreuse-lez-Avignon. En tournée à la rentrée, du 12 au 26 septembre au Théâtre de la Ville, à Paris, les 8 et 9 octobre 2024 à l’Espace 1789, Scène conventionnée pour la danse de Saint-Ouen.

2 Qui som ? de Baro d’evel

Invitée pour la première fois au festival d’Avignon, la compagnie franco-catalane Baro d’evel célèbre l’art total dans la cour du lycée Saint-Joseph. Céramique, musique, danse, acrobatie… Ses membres maîtrisent même l’art de clamer les mots ! « Qui sommes-nous ? »« Qui som ? » en catalan –, s’interroge le groupe constitué de 12 adultes, un enfant et un chien. Des pollueurs, des combattants… ou bien des résistants ?

Qui som ? par la compagnie de cirque Baro d’evel.©Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon

Durant le spectacle, les yeux des petits et grands s’illuminent. Et pour cause : la matière, quelle qu’elle soit, devient or et investit l’espace scénique et public avec vibrance. Mais qui sommes-nous, alors ? Des rêveurs résolument vivants. Avec cette création aussi poétique qu’engagée, la compagnie de cirque contemporain dresse un rempart contre « les cœurs secs qui pourraient voler nos nuits » et ouvre un espace où l’on parvient à reprendre notre souffle.

Qui som ?, de Baro d’evel, jusqu’au 14 juillet à Avignon, cour du lycée Saint-Joseph. En tournée du 19 au 20 juillet aux Nuits de Fourvière, à Lyon, et du 2 au 4 octobre au Théâtre 71 à Malakoff.

3 Lacrima, de Caroline Guiela Nguyen

Pour sa nouvelle création, Caroline Guiela Nguyen – autrice, metteuse en scène et directrice du Théâtre national de Strasbourg – nous ouvre les portes du monde de la haute couture. Un univers aux clauses de confidentialité démesurées, surtout quand il s’agit de fabriquer la robe de mariée d’une princesse d’Angleterre. Dans un décor somptueux, les destins des couturiers et couturières d’une grande maison parisienne croisent ceux des dentelières d’Alençon et des brodeurs de Mumbai, et les secrets éclatent.

Lacrima, de Caroline Guiela Nguyen.©Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon

Le secret est d’ailleurs un motif récurrent dans l’œuvre de Caroline Guiela Nguyen : le secret qui en tisse d’autres et le secret qui détruit, aussi : « Il ne faut jamais défaire le tissage de la soie, car il contient les larmes d’une époque et, si on le défait, les larmes se redistribuent dans le présent. » L’autrice aime à reprendre ce conte chinois ancestral pour décrire l’envers d’un tableau complexe.

Aux côtés des comédiens – professionnels et amateurs –, la robe devient un personnage à part entière et un prétexte pour aborder les maux de notre société que sont, entre autres, la pression au travail, les violences faites aux femmes ou encore la difficulté d’acquérir une nationalité. Un sublime moment de théâtre !

Lacrima, de Caroline Guiela Nguyen, en tournée du 24 septembre au 3 octobre au Théâtre national de Strasbourg, du 20 au 21 novembre 2024 à La Comédie – Centre dramatique national de Reims, puis à Paris, du 10 janvier au 4 février 2025 aux Ateliers Berthier.

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Les dix pépites du Off

1 Revolt. She said. Revolt Again d’Alice Birch

Il arrive un moment où la pensée ne suffit plus et où il devient nécessaire d’agir, de se révolter. Six acteurs, tous aussi talentueux les uns que les autres, s’emparent du texte féministe signé Alice Birch et montent sur les planches pour notre plus grand bonheur. Ils enchaînent les scènes avec un double objectif : inverser le rapport de genre et mettre en pratique un besoin viscéral d’égalité. Langage, corps, travail, famille… Tout y passe, et l’équilibre entre ce qui relève de la théorie et de la réalité est savant.

Revolt. She said. Revolt agin, d’Alice Birch, par les Archivoltes.©Emilie Bouyssou

Des duos qui fonctionnent à merveille, un monologue puissant et la force du collectif, toujours. À cela s’ajoutent un humour grinçant et une mise en scène astucieuse. N’attendez plus, la nouvelle génération a besoin de votre soutien !

Revolt. She said. Revolt Again, d’Alice Birch, jusqu’au 20 juillet à Avignon, au Théâtre du train bleu, à 15h20. Relâches le 17 et 19 juillet.

2 Le Grand Jour, de Frédérique Voruz

Reproches, culpabilité, humiliations, cris, cynisme, secrets révélés… Nous voilà catapultés au sein d’une famille endeuillée où frères et sœurs se déchirent. Comment gérer la perte d’un parent avec qui les relations étaient conflictuelles ? Est-ce que l’on devient adulte lorsque sa mère meurt ? Les névroses valsent et les rires éclatent dans la cuisine que l’on devine appartenir à la défunte, surgissant, telle une réminiscence, sur scène.

Le Grand Jour, de Frédérique Voruz.©Antoine Agoudjian

Une farce tragi-comique interprétée avec brio par huit comédiens, parmi lesquels Frédérique Voruz, qui a signé le texte et la mise en scène. Découverte l’année dernière avec le spectacle Lalalangue, cette dernière continue de porter sur les planches des histoires familiales avec finesse et humour. Si elle aborde dans Le Grand Jour des sujets universels, elle laisse de l’espace pour l’expression de nos singularités. Sans mièvrerie aucune, Frédérique Voruz dépasse le drame pour parler de notre capacité à aimer. Et c’est franchement réussi !

Le Grand Jour, de Frédérique Voruz, jusqu’au 21 juillet à Avignon, au Théâtre des halles, à 14 heures.

3 Tom, de Stéphanie Mangez

Il est encore question de famille avec Tom, une comédie qui raconte l’histoire d’un adolescent placé dans une famille d’accueil et qui peine à tisser des liens avec des personnes qui lui sont étrangères. Si le texte touchera particulièrement les adolescents en crise existentielle, il s’adresse plus largement aux parents et à celles et ceux pour qui la famille représente une entité complexe et vertigineuse.

Tom, de Stéphanie Mangez par la Compagnie 172.©Compagnie 172

Ici, la tendresse l’emporte sur le pathos et la trajectoire de chacun des personnages – quatre au total – est passionnante. Mention spéciale pour la mise en scène originale, reposant sur un décor mobile, du slam et de la projection vidéo. « Serai-je un bon père ? » s’interroge Tom, aux portes de la maternité. Réponse à la chapelle des Antonins.

Tom, de Stéphanie Mangez, jusqu’au 21 juillet à Avignon, à la chapelle des Antonins (La Factory), à 15h15. Reprise à Paris du 3 octobre au 10 novembre au Funambule.

4 Les Chatouilles ou la danse de la colère d’Andréa Bescond

« Non, je n’invente pas une douleur pour exister en tant qu’artiste. » L’histoire d’Odette, petite fille qui a été violée de ses 8 à 12 ans, est largement inspirée des traumatismes de l’enfance d’Andréa Bescond, l’autrice et interprète des Chatouilles ou la danse de la colère. Dans ce seule en scène coup de poing s’entrecroisent pléthore de personnages – la professeur de danse qui lui a sauvé la vie, le pote Manu, les parents, la psy, les policiers et enfin son agresseur, « un ami de la famille » – et scènes de danse poignantes.

Les Chatouilles ou la danse de la colère, de et par Andréa Bescond.©Claude Pocobene

Quand les mots viennent à manquer, c’est le corps qui parle. Dix ans après la première, au Théâtre du chêne noir, à Avignon, Andréa Bescond revient sur ces mêmes planches avec une rage inchangée : certes, les langues se délient, mais le combat pour rendre le monde meilleur doit continuer.

Les Chatouilles ou la danse de la colère, d’Andréa Bescond, jusqu’au 21 juillet à Avignon, au Théâtre du chêne noir, à 14 heures. En tournée en novembre à la Scène en Grand Pic Saint Loup (34) puis au centre culturel à Uccle (Belgique).

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5 Malaise dans la civilisation, d’Alix Dufresne et Étienne Lepage

Rose-Anne, Maxime, Renaud et Alice nous embarquent dans un délire philo-pulsionnel jouissif. Le décor ? Un théâtre qu’ils découvrent maladroitement d’abord et qu’ils saccagent ensuite. Au détour de leur déambulation franchement absurde, ils questionnent et parfois déconstruisent les codes du théâtre.

Malaise dans la civilisation à la Manufacture.©Gunther Gamper

Mais ici, qui décide ? Qui décide de faire ce que nous sommes en train de faire ? Devons-nous suivre cette musique dans nos têtes, qui, parfois, nous conduit à fuir ? Et surtout, qui sommes-nous face au néant ? Dans cet essai d’être soi-même, faut-il encore parvenir à apprivoiser son corps et trouver les mots adéquats pour conter l’expérience. Malaise dans la civilisation dérange l’audience avec douceur et intelligence. Bravo à Alix Dufresne et Étienne Lepage pour l’écriture de plateau.

Malaise dans la civilisation, d’Alix Dufresne et Étienne Lepage, jusqu’au 21 juillet à Avignon, à la Manufacture, à 16h10.

6 Public : mode d’emploi, d’Yves Marc

C’est un véritable spectacle-conférence que nous propose Yves Marc, comédien, mais aussi formateur. Dans Public : mode d’emploi, il interroge notre expérience de spectateur. Vous êtes-vous déjà préparé au spectacle que vous alliez voir ? Comment définiriez-vous votre relation au comédien durant le temps de la représentation ? Comment pouvons-nous jouer sur notre concentration et notre intention ?

Yves Marc dans Public, mode d’emploi.©Jean-Marc Borme

En faisant parler les corps et son expérience, Yves Marc décentre le regard et nous invite à un voyage immobile. La destination ? Les neurosciences, entre autres. Lorsqu’il aborde des concepts scientifiques sérieux, il temporise toujours avec une anecdote ou deux et des chorégraphies surprenantes. Une pause bienvenue pour les festivaliers et festivalières qui souhaitent « apprendre » dans la bienveillance et l’amusement.

Public : mode d’emploi, d’Yves Marc, jusqu’au 21 juillet à Avignon, au théâtre Transversal (jours impairs), à 10h45. Puis le 18 octobre au Théâtre Jules Julien, à Toulouse.

7 Furie, de Leonor Oberson

C’est l’histoire d’une pilote de Formule 1, Hélène Chatterton – la première depuis 50 ans – qui va concourir à un Grand Prix. Seulement, 12 heures avant le départ, la peur d’avoir peur s’empare d’elle au cours d’une interview. Besoin de respirer, de fuir… La machine s’arrête, sans prévenir. Faire sa place dans un monde d’homme, ambition, compétitivité, culture du résultat, écologie… Furie ouvre plusieurs voies dans un monde qui roule à toute allure et redonne une juste place au plaisir et aux sensations.

Furie, de et par Leonor Oberson.©Fanny Cortade

Incroyable performance de Leonor Oberson, autrice et interprète, qui, durant plus d’une heure, nous emporte sur le bitume de la vie. Avec elle – et des effets scéniques détonnants –, on ressent la pression et on retient notre souffle, car après tout, « tout le monde connaît la peur. L’Échec. L’ivresse du désir, les vertiges du doute. Mais qui les a goûtés à 350 km/h, suspendu entre la vie et la mort ? »

Furie, de Leonor Oberson, jusqu’au 21 juillet à Avignon, à Artéphile, à 20h30.

8 Dans les bois, de Stella Serfaty

« L’homme qui court vit une vie risquée. L’homme n’a pas le temps d’être autre chose qu’une machine. » Ces mots sont ceux du philosophe, poète et naturaliste américain Henry David Thoreau qui, en 1844, a fait le choix de la désobéissance en se retirant dans la forêt pendant deux ans, deux mois et deux jours.

Telle une avocate de la nature, Stella Serfaty se l’approprie durant une curieuse expérience intitulée Dans les bois. À ses côtés, une danseuse nous accompagne dans notre reconnexion au monde du vivant. Pour le reste, il faut le vivre. Hymne à la nature, invitation à l’oisiveté, cette performance installe un délicieux écrin où le temps s’arrête et où le collectif reprend racine. Une fable écologique vivement recommandée, pour les petits comme les grands !

Dans les bois, de Stella Serfaty, d’après Henry David Thoreau, jusqu’au 21 juillet à Avignon (jours impairs), à La Scierie (hors les murs), à 11 heures.

9 Lazzi, de Fabrice Melquiot

Face à nous, deux perdants, deux pendus – Vincent Garanger et Philippe Torreton. L’un est veuf, l’autre divorcé. Ensemble, ils ferment leur vidéoclub après 27 ans de service. Ils se réinventent une vie à la campagne où le jardinage rythme leurs journées. Le vieux couple se remémore le monde d’avant – celui où le cinéma pouvait encore changer une vie, loin des plateformes – et apprend à survivre au silence.

Lazzi, de Fabrice Melquiot, avec Vincent Garanger et Philippe Torreton.©Christophe Raynaud de Lage

Le fantôme d’Orson Welles vient parfois leur rendre visite, relançant les discussions cinéphiles. Les deux acteurs, excellents en tous points, manient la langue de Fabrice Melquiot avec malice et nous livrent leur projet de vie : penser un futur sensé.

Lazzi, de Fabrice Melquiot, jusqu’au 21 juillet à Avignon, à La Scala Provence, à 16 heures.

10 Girls & Boys, de Dennis Kelly

Réunion anonyme. On y raconte une rencontre, la naissance d’un amour véritable, l’ascension professionnelle, la construction d’une vie de famille, et l’effondrement. Les trois comédiennes du collectif Brûle s’emparent des pensées et réflexions d’une femme prise dans une tempête. On rit d’abord beaucoup et puis l’horreur s’installe.

Girls and Boys de Dennis Kelly, par le collectif Brûle.©Emma Martins

Les humains sont-ils aussi, voire plus, violents que les animaux ? La masculinité inculquée aux hommes n’a-t-elle pas de terribles conséquences ? Impossible de sortir indemne de cette dérive funeste, de ce thriller teinté de l’humour anglais de Dennis Kelly, son auteur. Après avoir reçu, avalé le message, on pense et repense nos relations humaines…

Girls & Boys, jusqu’au 21 juillet à Avignon, à la chapelle des Antonins (La Factory), à 10h45 (les lundis, jeudis et samedis).

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