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La nouvelle garde du cinéma français s’inquiète de la dévaluation de ses droits à l’heure des plateformes

30 novembre 2021
Par Félix Tardieu
La nouvelle garde du cinéma français s’inquiète de la dévaluation de ses droits à l’heure des plateformes
©Droits réservés

Une tribune parue dans Le Monde à l’initiative de la SRF (Société des réalisateurs de films) et signée par une nouvelle génération de cinéastes sonne l’alarme sur « l’émiettement » des droits de diffusion des œuvres sur les plateformes de vidéo à la demande et appelle à une législation plus transparente en la matière.

Ils sont plus de 150 signataires, n’ont que quelques longs-métrages à leur actif et comptent déjà parmi les cinéastes les plus importants du cinéma français contemporain : Julia Ducournau (Palme d’Or pour Titane), Audrey Diwan (Lion d’Or à la Mostra de Venise pour L’événement), Xavier Legrand (César du meilleur film et Lion d’Argent à la Mostra de Venise pour Jusqu’à la garde), Filippo Meneghetti (nommé aux Golden Globes pour Deux), mais également Andréa Bescond (Les Chatouilles), Mati Diop (Atlantique), Charline Bourgeois-Tacquet (Les amours d’Anaïs), Thomas Bidegain (scénariste de Stillwater), Samir Guesmi (Ibrahim), Stéphane Demoustier (La fille au bracelet), David Dufresne (Un pays qui se tient sage), Aïssa Maïga (Marcher sur l’eau) ou encore Arthur Harari (Onoda : 10 000 nuit dans la jungle) – pour ne citer qu’eux. Tous sont co-signataires de cette tribune, relayée par Le Monde, qui dénonce « l’ubérisation de la majorité des cinéastes de fiction et de documentaire ». Ces derniers mettent en regard leurs conditions de travail actuelles au modèle économique qui a permis à leurs aïeux de prospérer : les droits reversés par la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) liés à la diffusion des oeuvres à la télévision, encadrée par la fameuse chronologie des médias, ont jusqu’à présent permis aux auteurs « de vivre entre deux films et d’initier de nouvelles écritures ». Un mode de rémunération mis en péril par le jeu des plateformes de VOD.

Louise Orry-Diquéro, Luàna Bajrami et Anamaria Vartolomei dans L’Évènement ©Wild Bunch©Wild Bunch

Là où « un film qui passe pour la première fois sur France 2 ou France 3 donne lieu à des droits d’auteur permettant de vivre entre dix et treize mois au smic », rappellent les signataires, la diffusion d’une œuvre sur une plateforme n’assure aucun montant fixe et dépend entièrement du nombre de vues et de la quantité d’œuvres cataloguées. D’après ce communiqué, « un préachat sur Netflix assurerait une part fixe minimum permettant de vivre entre trois jours et deux semaines au SMIC » et quatre mois en moyenne pour un film passé sur la plateforme en première diffusion – c’est à dire directement après l’exploitation en salles – et cumulant 500 000 vues françaises. Les cinéastes alertent donc l’opinion sur le péril d’un modèle qui est jusqu’à présent parvenu à protéger les auteurs et appellent à la création d’un mode de rémunération plus adapté à la diffusion de leurs œuvres sur les plateformes de streaming: «  La chronologie des médias est suivie de près par tout le secteur, et nous pensons en effet que cet encadrement précis de la production et de la diffusion est essentiel (…) si la ministre est effectivement celle des artistes auteurs, alors elle doit proposer un encadrement législatif et transparent concernant nos droits de diffusion (…). ​​L’appauvrissement des auteurs n’est pas inéluctable, c’est un choix de société ».

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Une entente impossible ?

Si les géants du streaming (Netflix, Disney+ et consorts) ont désormais des obligations de financement vis-à-vis du cinéma français – une participation totale estimée à 80 millions d’euros par an -, la question de la diffusion des œuvres continue de diviser les acteurs de l’audiovisuel, autant sur le plan de la rémunération des auteurs que sur la question épineuse de la diffusion des oeuvres. D’un côté, les plateformes de vidéo à la demande attendent une refonte de la chronologie des médias qui leur permettrait de diffuser les films quelques mois après la sortie en salles contre les 36 mois prévus par la chronologie des médias ; de l’autre, un acteur historique comme Canal+, engagé à reverser chaque année une part conséquente (12,5%) de son chiffre d’affaires à la production cinématographique française, refuse de renoncer à son exclusivité et s’oppose à cette réforme. La chaîne cryptée, filiale du groupe Vivendi, envisagerait par ailleurs de réduire drastiquement sa contribution au cinéma français (entre 71 et 88 millions d’euros de perte) en scindant son offre en deux – d’un côté le cinéma et les séries, et de l’autre les sports. Une tribune était déjà parue dans Le Monde en mars dernier où de nombreux cinéastes tels que Jacques Audiard, Cédric Klapisch, Agnès Jaoui, Claire Denis ou encore Olivier Assayas s’opposaient à une réforme de la chronologie des médias à l’avantage des plateformes.

À ce stade, les négociations semblent toujours au point mort. La date butoir pour un nouvel accord sur la chronologie des médias, rappelée par la ministre de la Culture Roselyne Bachelot aux dernières Rencontres de l’ARP, est quant à elle fixée au 10 février 2022.

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Article rédigé par
Félix Tardieu
Félix Tardieu
Journaliste