Après la disparition de Paul Auster, L’Éclaireur se penche sur l’héritage monumental de ce titan de la littérature américaine.
Romancier, poète, essayiste, scénariste de films, fin lettré francophile (il a traduit Mallarmé et Simenon en anglais) : Paul Auster, surnommé le Barde de Brooklyn, a marqué pendant 50 ans la littérature mondiale. Mais ce chantre de la ville de New York, qu’il a dépeinte sous toutes ses coutures, est aussi un auteur qui a su rester populaire et abordable, et a influencé plusieurs générations de jeunes auteurs.
Le choc de la trilogie new-yorkaise
Paul Auster est un auteur contrarié, qui a mis du temps à trouver son public. De la fin des années 1960 au début des années 1980, ce fils d’une famille d’immigrants juifs d’Europe centrale peine à se faire publier. Il ne rencontre aucun succès, ni pour ses scénarios, ni pour ses romans, ni pour ses essais littéraires. Tout change cependant avec la publication de Cité de verre en 1985, premier volume de la fameuse Trilogie new-yorkaise (complété par Revenants et La Chambre dérobée) publiée jusqu’en 1987. Cette série de trois romans étranges, flirtant avec le polar et le fantastique, met en scène de manière poétique et flamboyante la ville de New York.
C’est un succès immédiat, qui permettra à l’auteur de vivre confortablement et d’assurer la publication de ses romans et essais postérieurs. Il enchaîne alors les triomphes critiques et commerciaux, en publiant en particulier le spectaculaire Leviathan en 1992 et surtout Mr Vertigo en 1994, une fresque baroque dépeignant l’épopée d’un orphelin dans l’Amérique underground des années 1920.
Les thèmes de Paul Auster se déploient à merveille dans ses premiers romans : la quête de sa propre identité, la notion d’auteur et un amour immense pour les labyrinthes urbains.
Après un détour remarqué par le cinéma, Auster sera également remarqué pour ses essais autour de l’écriture et ses textes autobiographiques, avant de livrer dans les années 2000 et 2010 une série de romans monumentaux. On en retiendra en particulier l’incroyable édifice littéraire de 1 000 pages constitué par 4 3 2 1, un roman écrit sur une période de plus de trois ans mettant en scènes quatre versions possibles de la vie d’un même personnage dans l’Amérique des sixties.
Des pépites à redécouvrir
Auteur éclectique, Paul Auster a eu l’occasion de toucher à de très nombreux genres littéraires tout au long de ses 50 ans de carrière : polar, autofiction, roman à clés, biographies. Certaines de ses œuvres les moins connues sont de véritables bijoux narratifs intemporels qui peuvent encore à ce jour servir de portes d’entrée idéales à l’œuvre du romancier.
On citera par exemple le très étrange Voyage d’Anna Blume, paru en 1987, un roman fantastique épistolaire prenant place dans une ville en train de disparaître dans des circonstances étranges. L’ambiance y est crépusculaire, presque apocalyptique, et sa conclusion vous restera en tête des années durant.
Plus récent, mais tout aussi fascinant, Dans le scriptorium, écrit et publié en 2007, est un court et intéressant roman autoréflexif dans lequel un homme enfermé dans une pièce aveugle, filmé continuellement par une caméra, est en proie à des visions cauchemardesques issues, semble-t-il, de romans de Paul Auster. L’écrivain n’en est alors pas à son coup d’essai s’agissant de se mettre en scène dans ses propres œuvres, mais, dans celle-ci, le procédé est poussé dans ses derniers retranchements.
Un héritage littéraire immense
Paul Auster laisse derrière lui une somme littéraire, théâtrale et cinématographique (il était revenu à la réalisation en 2007 pour La Vie intérieure de Martin Frost) rarement égalée dans le monde des lettres américaines de ces dernières décennies. Un titan littéraire au moins comparable à des monuments comme Philippe Roth ou Saul Bellow, et qui a laissé derrière lui plusieurs générations d’autrices et d’auteurs profondément marqués par ses travaux.
L’auteur a ainsi travaillé en étroite collaboration avec son épouse, la romancière à succès Siri Hustvedt, mais aussi entretenu une vaste correspondance (partiellement publiée) avec ses amis Salman Rusdhie et J. M. Coetzee (auteur australien, prix Nobel de littérature en 2003).
Le style particulier d’Auster, à la fois introspectif et flirtant sans cesse avec les contours flous de la réalité, a ainsi été une des inspirations du Finlandais Sam Lake pour la création du personnage de jeu vidéo Alan Wake.
Dans un autre registre, les travaux d’Auster ont pu inspirer les travaux de photographes et de plasticiens comme la Française Sophie Calle. Ainsi, si la disparition de ce romancier immense est une immense perte pour la littérature mondiale, son héritage reste, lui, bien vivant.