Décryptage

Entre fétichisation et romance, comment les mangas abordent-ils l’écart d’âge dans les couples ?

30 mai 2024
Par Samuel Leveque
“Couteau et Piment vert”.
“Couteau et Piment vert”. ©2017 Isoya Yuki, Kodansha

Au printemps, plusieurs mangas mettant en scène des romances avec de fortes différences d’âge paraissent en France. Mais que nous disent ces œuvres de la société japonaise ?

Le saviez-vous ? Le Japon est l’un des pays où l’écart d’âge moyen dans les couples est le plus faible, même si ce type de relations n’y est pas particulièrement mal vu ou stigmatisé. Ce qui n’empêche pas les disparités (de genre, économiques, professionnelles) de se poser dans des relations majoritairement homogènes en âge. Mais les couples dans lesquels un des deux partenaires est plus vieux (à fortiori une femme) demeurent peu fréquents dans l’archipel, et font en conséquence l’objet de beaucoup de curiosité, voire de fétichisation. Le milieu du manga s’est depuis longtemps emparé de la question, pour le meilleur et pour le pire.

Couteau et Piment vert.©by Yuki ISOYA / Kôdansha

Plusieurs parutions récentes reviennent, dans des registres différents, sur les relations de ce type. C’est par exemple le cas du très beau et subtil Couteau et Piment vert, de Yuki Isoya, à paraître début juin aux éditions du Lézard noir. Dans ce récit historique situé au début des années 1950, nous suivons Ichika, une cuisinière veuve de guerre de 34 ans, contrainte d’épouser le plus jeune fils d’une riche famille d’Osaka, de 15 ans son cadet.

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Analysant dans le détail le décalage quotidien vécu par ce couple atypique, issu d’un mariage de raison davantage que d’amour, la mangaka livre un récit intime bousculant les sentiments des deux héros, soumis à une forte pression sociale. Mais si ce récit brille par la finesse de son regard sur la différence d’âge, tous n’ont pas toujours eu la même subtilité.

Des fantasmes, mais pas beaucoup de recul

Longtemps, le traitement de ce sujet a oscillé entre un côté humoristique pas toujours très fin et une fétichisation de relations problématiques, voire abusives. On repense par exemple à la relation fantasmée a posteriori assez douteuse entretenue par l’héroïne écolière de Cardcaptor Sakura avec le meilleur ami de son frère, un jeune adulte.

Usagi Drop, version animée du manga Un drôle de père de Yumi Unita.

Dans un registre similaire, le célèbre (et par ailleurs très beau) Un drôle de père a déconcerté un certain nombre de ses lecteurs en assumant une quasi-relation entre un jeune homme et sa fille adoptive dans sa conclusion. D’une manière générale, les mangas romantiques ont longtemps dépeint des relations ambiguës entre des hommes plus âgés et des jeunes filles éperdument amoureuses. Le tout sans remise en question des dynamiques potentiellement dangereuses, voire abusives du phénomène.

Des dynamiques qui peuvent s’expliquer par la relative rareté de ces relations dans le quotidien, mais aussi par une part de fétichisation liée à l’ascendant hiérarchique que peut avoir un personnage plus âgé sur un benjamin dans la société japonaise. C’est notamment un des motifs récurrents du genre du Boy’s Love, dans lequel on retrouve régulièrement des personnages adultes en position managériale exerçant un fort ascendant sur un collègue beaucoup plus jeune.

Des œuvres pour analyser les problématiques liées aux écarts d’âge

Depuis quelques années, des œuvres explorent néanmoins avec plus de finesse la question des écarts d’âge dans les couples. On pense, par exemple, à la remarquable comédie romantique Scum’s Wish, dans laquelle se pose la complexité de former un couple de ce type et les dérivatifs trouvés par les personnages pour la surmonter.

Une question qu’on retrouve également dans le brillant Mon coloc’ d’enfer (Pika éditions), dans lequel le héros décide de freiner sa relation avec sa petite amie plus jeune pour lui laisser davantage de temps et la laisser avancer à son rythme. Des problématiques que l’on ne retrouvait pas forcément dans des mangas plus anciens, questionnant moins en profondeur les dynamiques amoureuses.

Version animée du manga Après la pluie de Jun Mayuzuki.

De plus en plus de mangas parlent aussi du fait que certaines configurations relationnelles ne sont pas toujours souhaitables et n’hésitent pas à remettre en question cette fameuse fétichisation de l’écart d’âge. C’est par exemple tout le propos du magnifique récit Après la pluie, dans lequel une lycéenne éperdument amoureuse d’un homme qui pourrait être son père se retrouve confrontée au fait que cet amour ne pourra jamais se concrétiser.

Une problématique qui était également au cœur de la comédie romantique Daytime Shooting Star (Kana), qui parvenait à faire rire ses lecteurs et lectrices sans jamais oublier le côté potentiellement abusif d’une relation avec un écart d’âge très important.

Vers une approche plus variée du phénomène

Plus généralement, on constate que les ouvrages abordant la question de l’écart d’âge s’éloignent progressivement des considérations les plus stéréotypées à mesure que leur nombre se multiplie. Nombre de questions du genre sont abordées dans des mangas de ce printemps : l’érotomanie d’une jeune femme pour une vedette de cinéma vieillissante dans la comédie Dans la peau de Miwa (Kurokawa) en est un bon exemple.

Dans la peau de Miwa©Aoki U-hei, Shogakukan

Dans un registre plus dramatique, on peut citer Scar and Romance (Pika Éditions), dans lequel un jeune adulte reprend ses études et se met en couple avec une femme plus jeune, à qui il tente de cacher un passé compliqué. Et du côté de la fantasy, le manga au long cours The Ancient Magus Bride parvient à décrire le ménage étrange formé par une apprentie sorcière et son maître monstrueux, dans une revisite très modernisée de La Belle et la Bête.

Comme le soulignent de nombreux articles sur le sujet, le fait que ces relations soient représentées de manière de plus en plus variée, et dans des situations de plus en plus fouillées, ne les empêchent pas de livrer, souvent, des conclusions ou des développements controversés. Néanmoins, il semble qu’a minima, la question soit de moins en moins vue comme un fantasme sans conséquence et de plus en plus comme un élément de tension narrative qu’il convient de problématiser plus finement qu’auparavant.

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