Alors que la grand-messe annuelle du 7e art vient d’ouvrir ses portes, quelques beaux livres de cinéma viennent marquer l’actualité littéraire.
| Les mots du patron
C’est un livre précieux et étonnant que nous a offert Thierry Frémaux en 2017. Délégué général du Festival de Cannes depuis 2007, il a consigné au jour le jour, dans ce carnet de bord écrit à 100 à l’heure, un an d’une vie entièrement dédiée à l’organisation de la plus grande et la plus prestigieuse fête du cinéma mondial. De la clôture de Cannes 2015 à celle de 2016, on embarque dans l’esprit fou d’un boulimique cinéphile et on pénètre au cœur de la machine du plus important festival du monde.
Les petites mains qui travaillent d’arrache-pied, la critique et les médias, ces partenaires contrariés, les artistes, réalisateurs, scénaristes qui proposent leur film et attendent le jugement dernier, celui de la « sélection officielle » : Thierry Frémaux croque avec talent un microcosme bouillonnant de vie, de passion et de génie. Du strass, des paillettes, mais surtout une déclaration d’amour au cinéma et à tous ceux qui, comme lui, ont décidé de lui consacrer leur vie.
| Une ombre qui plane
Impossible d’aborder cette 77e édition du Festival de Cannes sans évoquer le tremblement de terre salutaire qui secoue l’industrie du cinéma hexagonale depuis quelques mois. Un #MeTooCinéma français qui aura mis bien du temps à se dessiner, mais qui semble aujourd’hui prêt à se répandre comme une trainée de poudre, fort de la prise de parole courageuse et fracassante de Judith Godrèche. Dans ce contexte fort, les livres ont eux aussi un rôle à jouer, puisqu’ils sont les porte-voix de ce nouvel élan libérateur. Deux ouvrages marquants éclairent d’ailleurs l’actualité littéraire du printemps.
Un an pour coucher ce livre sur le papier, mais toute une vie à l’écrire dans sa tête. Avec Dire vrai, l’actrice et réalisatrice Isild Le Besco a enfin pu raconter sa vérité. Celle d’une vie de violence et d’emprise, celle d’un milieu artistique où l’omerta a trop longtemps régné en maître. Avec des mots simples, parfois crus, mais toujours juste, elle « décortique son histoire », dissèque une cellule familiale hautement dysfonctionnelle, raconte sa relation toxique sous la coupe de Benoît Jacquot et s’interroge sur celle que sa sœur Maïwen a entretenue avec Luc Besson alors qu’elle n’avait que 16 ans. Pas un règlement de compte, mais une purge salvatrice et un nouveau cri dans la nuit pour alerter sur la violence des hommes. Si Isild Le Besco a d’ores et déjà annoncé qu’elle ne porterait pas plainte, la littérature, elle, a déjà livré son procès et le verdict est sans appel.
Le 7 décembre dernier, France 2 diffusait un numéro de Complément d’enquête réalisé à partir d’archives du tournage du documentaire de Yann Moix en Corée du Nord, en compagnie de Gérard Depardieu. Les images qu’on y découvre font froid dans le dos. Un ogre libidineux multiplie les blagues sexuelles, les provocations et les réflexions à la limite du soutenable (et de la légalité ?). C’est la polémique de trop et le début d’une prise de conscience pour le grand public comme pour certaines anciennes victimes qui osent enfin livrer leur douloureux secret. Quelques mois plus tard, la célèbre reporter Raphaëlle Bacqué et le journaliste de cinéma Samuel Blumenfeld s’associent pour retracer dans Une affaire très française le parcours complexe de l’acteur. Son enfance tragique, son rapport à l’argent, ses relations avec les femmes : le duo passe au peigne fin une existence fracassée et tente d’y trouver les germes d’un mal endormi.
À signaler la parution simultanée d’un autre livre cinéphile passionnant signé Samuel Blumenfeld, le formidable portrait croisé de deux des plus grandes légendes du cinéma français, Alain Delon et Jean-Paul Belmondo.
| Des romans de cinéma
Après avoir découvert la supercherie qui a permis à Romain Gary de remporter un deuxième Goncourt sous les traits d’Émile Ajar, un éternel espoir du 7e art, dont la carrière s’essouffle dangereusement, échafaude un plan redoutable pour revenir sur le devant de la scène et écrire son nom dans les livres d’histoire : se forger une nouvelle identité pour enfin accéder à la gloire.
Mais s’il est aisé en littérature de recourir à un pseudonyme, difficile de duper son monde en étant sous le feu des projecteurs. Alors, notre histrion fait appel à des amis du milieu, un producteur et un maquilleur d’effets spéciaux, chargés de fabriquer sa légende et de le grimer pour assurer sa vengeance. Légère, drôle et enlevée, une farce jubilatoire sur l’aveuglante course au succès mené par un improbable Monte-Cristo du cinéma français.
Encore un livre sur Marilyn Monroe ? N’a-t-on pas déjà tout écrit, tout dit sur l’icône américaine ? Des milliers de documentaires et de livres lui sont consacrés. Joyce Carol Oates a signé un roman bouleversant, presque définitif, intitulé Blonde (2000) et adapté au cinéma par Andrew Dominik en 2022. La même année, Olivier Steiner mettait d’ailleurs en scène à Paris un monologue théâtral ébouriffant intitulé très justement Le Vertige Marilyn. L’adoration des foules, la sexualisation à outrance, les sourires et les facéties de façade pour mieux dissimuler le mal-être intérieur, le plaisir du jeu réduit à néant par la machine à broyer les êtres que fut et qu’est encore aujourd’hui l’industrie du cinéma : son existence et sa carrière entremêlée forment un sujet inépuisable, un chaos tragique qui symbolise ce qu’être une femme star de cinéma signifie.
Dans Poussière blonde, paru il y a quelques semaines, Tatiana de Rosnay parvient à saisir au vol une bribe de vie, un instant loin des projecteurs pour en faire la matière d’une fiction originale. À travers le regard de Pauline, femme de chambre d’un hôtel fastueux de Reno où résidait Marlyn Monroe avec son mari Arthur Miller au moment du tournage de son dernier film, Les Désaxés de John Huston (1961), elle parvient à la peindre sous un jour nouveau. En mettant en scène la rencontre fugace, mais belle et touchante, entre l’icône au bout du rouleau – épuisée par le tournage de Certains l’aiment chaud et abîmée par une liaison destructrice et adultère avec Yves Montand – et cette jeune Française immigrée aux États-Unis, dont les illusions ont été brisées par l’emprise d’un homme, elle offre à l’actrice un de ses rôles les plus émouvants, celui d’une protectrice qui, à l’aune des drames de sa vie, peut guider d’autres femmes sur les chemins de l’émancipation.
| Confessions d’un amoureux fou du 7e art
C’est vraiment le dernier film ou c’est du bluff ? Pourquoi arrêter ? Si c’est son chant du cygne, de quoi va-t-il parler ? Depuis quelques mois, les discussions vont bon train concernant Quentin Tarantino. Alors qu’il vient subitement d’annuler son dernier projet, le trouble règne et on ne sait plus trop à quelle sauce on va être mangé. En attendant que le maestro se décide à tourner, rien de mieux qu’un petit tour du côté de ses livres qui eux aussi ont de belles histoires à raconter.
L’année dernière, il signait un roman intitulé Il était une fois à Hollywood, une novellisation de son dernier film qui n’avait pas vraiment convaincu. D’abord, parce que le concept même de novellisation n’avait pas grand intérêt, ensuite, parce que le style boursoufflé et grandiloquent de l’auteur pouvait, par moments, agacer. Heureusement, Quentin Tarantino se rattrape avec un second livre passionnant qui vient tout juste de paraître en poche. Dans Cinéma spéculations, il nous offre une déambulation autobiographique passionnante dans la vie et la cinéphilie d’un obsessionnel de la pellicule.
La Trilogie du dollar de Sergio Leone, Bullitt, French Connection, Taxi Driver : à chaque film, son chapitre mêlant coulisses, analyse historique, critique et digressions personnelles. Foisonnant, parfois déconcertant, toujours incroyablement érudit, le livre est une plongée, caméra à l’épaule, dans le Los Angeles des années 1960 et 1970 et une déclaration d’amour au cinéma de quartier, lieu magique d’une jeunesse et d’une vie dédiée au cinéma.
| Du côté de la BD
Alors que le réalisateur George Lucas s’apprête à recevoir cette année à Cannes une Palme d’honneur et un hommage amplement mérités, Renaud Roche et Laurent Hopman nous offrent une plongée fascinante dans les coulisses de sa saga emblématique, une des plus marquantes de l’histoire du cinéma : Star Wars. Si la mise en scène est brillante et le dessin parfaitement maîtrisé, c’est bien le travail documentaire qui épate.
L’album est truffé de révélations et d’anecdotes folles qui lui confèrent un caractère jubilatoire. On découvre la trajectoire d’un réalisateur rebelle, prodige, visionnaire, puis on embarque dans un voyage au bout de l’enfer, au cœur d’une aventure cinématographique cauchemardesque ponctué de querelles d’acteurs, de coucheries secrètes et d’accidents en tous genres. Une histoire presque plus rocambolesque que le scénario lui-même, qui prouve qu’un tournage catastrophique peut accoucher d’une œuvre au-delà du merveilleux. Incontestablement la BD de l’année.