À partir du 26 mai prochain, la première Kings World Cup se déroulera au Mexique. Derrière cet événement de football à 7, Gérard Piqué, ancien défenseur du FC Barcelone et fondateur de la Kings League, souhaite dépoussiérer le ballon rond traditionnel. Ce dernier ne serait plus enclin, dans sa forme actuelle, à séduire les plus jeunes générations.
Entre le départ de Kylian Mbappé du PSG, la prochaine finale de la Ligue des Champions et l’Euro de football, qui se dispute en juin en Allemagne, le ballon rond ne manque actuellement pas vraiment de sujets. Et pourtant, au milieu de cette actualité déjà bien chargée, une étrange compétition de foot à 7 va essayer, d’ici quelques jours, de se frayer un chemin sur la scène médiatique.
Si le format de cette compétition ne vous dit rien, c’est presque normal. La Kings World Cup lance cette année sa toute première édition. Par contre, le nom peut éventuellement vous évoquer quelque chose, que vous soyez un inconditionnel de foot, un spectateur occasionnel ou même un profane.
En effet, depuis l’officialisation de cette compétition, le 18 mars dernier, il est difficile de scroller sur les réseaux sociaux sans être confronté de près ou de loin. Annonces des participants et des invités, choix du nom des équipes, explications des règles… La Kings World Cup a fait le pari fou de conquérir le cœur et l’attention des suiveurs de foot en moins de trois mois.
Avant d’analyser structurellement ce nouveau format de divertissement, à la croisée du sport, des réseaux sociaux et de l’e-sport, commençons par le début. C’est quoi exactement la Kings World Cup ?
La Kings League, aux origines de la Kings World Cup
Pour comprendre le principe de cette compétition, il faut tout d’abord remonter à la fin de l’année 2022. À ce moment, l’ancien footballeur international Gérard Piqué lance en Espagne et en Amérique du Sud un championnat de foot à 7 intitulé la Kings League. Les Kings (rois) en question rassemblent une douzaine d’équipes qui s’affrontent durant une saison avant une phase finale. Pour le moment, rien de bien saugrenu.
Pourtant, à y regarder de plus près, ce sport est bien plus qu’un simple foot sur un terrain réduit. Tout d’abord, toutes les formations se composent de sportifs amateurs tirés au sort, d’anciens joueurs professionnels et de créateurs de contenus. Ce sont d’ailleurs ces personnalités qui président et coachent chaque équipe, par exemple les anciennes gloires Iker Casillas ou encore Sergio Aguero.
Autre particularité, l’ensemble des matchs de la Kings League sont retransmis en direct sur Twitch. Le but étant de capter une audience jeune et ultraconnectée, moins encline à s’abreuver de foot via le canal traditionnel de la télévision. Et, pour le moment, les audiences sont plutôt au rendez-vous. En 2023, la finale de la Kings League espagnole s’est jouée à guichet fermé au stade du Camp Nou de Barcelone, soit 90 000 spectateurs, tout en enregistrant un pic sur Twitch de 2,16 millions de viewers.
Pour comparaison, c’est à peu près autant qu’un match du PSG en poule de Ligue des Champions et bien plus que l’audience du dernier GP Explorer 2, qui, lui, a réuni à son pic 1,3 million de curieux. Des chiffres assez impressionnants pour un sport aussi jeune.
Fort de ce constat, Gerard Piqué a décidé de décliner ce principe de championnat en une compétition internationale, la Kings World Cup 2024. Un tournoi qui reprend les mêmes principes et les mêmes règles alambiquées de la Kings League.
La viralité des réseaux sociaux, l’essence même de la Kings World Cup
Sur les 32 équipes qui participeront à cette compétition, 20 sont issues des championnats de Kings League et 12 autres sont spécialement créées pour ce tournoi. Venues du monde entier, elles auront à leur tête une entité bicéphale, à savoir une ancienne gloire du foot et un créateur de contenu.
Par exemple, Rio Ferdinand et le youtubeur Jeremy Lynch pour la team anglaise, Eden Hazard et l’influenceuse Céline Dept pour la Belgique ou encore Mario Götze et le tiktokeur Younes Zarou pour l’Allemagne. Parfois, le sélectionneur d’une équipe sera seulement un créateur de contenu célèbre. Cela sera le cas notamment pour la France avec le streamer Amine ou le Japon avec le youtubeur Junichi Kato.
C’est le premier coup de génie marketing de cette Kings World Cup : s’appuyer sur un kaléidoscope inédit et diablement complémentaire. Les anciens footballeurs se chargeant ici de la caution sportive, tandis que les créateurs de contenus, qui ont tous une audience stratosphérique, concourent à la viralité de la compétition.
En effet, pour conquérir et élargir le plus possible son audience auprès des plus jeunes générations, la Kings World Cup ne se contente pas d’être diffusée sur Twitch ou sur YouTube. Elle s’adapte également à la consommation des contenus dont le public de ces plateformes raffole.
Un stream d’Amine pour choisir le nom de l’équipe de France – qui sera Foot2Rue –, d’autres pour annoncer chaque nouveau joueur, encore un autre pour expliquer à ces nouveaux joueurs les règles de ce foot à 7… Dans chaque pays qui possède une sélection, la Kings World Cup démultiplie les contenus et les formats afin de tapisser au maximum le terrain social media. Avec un objectif clair : créer et tenir en haleine une nouvelle communauté.
Un football plus fluide aux règles capilotractées…
Si pour vous le hors-jeu est la règle la plus compliquée à comprendre dans le foot, alors les modalités de jeu de la Kings World Cup risquent quelque peu de vous désarçonner.
Pour commencer, les matchs se divisent en deux mi-temps de 20 minutes avec un coup d’envoi identique au water-polo. Autrement dit, tous les joueurs d’une équipe partent de leur ligne de but au coup d’envoi afin de récupérer le plus rapidement possible le ballon resté au centre du terrain.
Durant chaque match, les remplacements sont illimités, tandis que les suspensions sont temporaires – deux minutes pour un carton jaune et et cinq pour un rouge. Comme au tennis, les équipes ont la possibilité durant le match de faire appel à une assistance vidéo, le fameux hawk-eye ou œil de faucon. Enfin, en cas de séance de tirs au but, chaque joueur part du milieu de terrain en ayant 5 secondes pour marquer. Les plus experts reconnaîtront ici la manière dont se déroulait les penalties dans les années 1970-1990 dans la Major League Soccer (MLS) américaine.
Et ce n’est pas terminé, le plus loufoque reste à venir ! Avant le match, chaque capitaine tire au sort une golden card, une sorte de joker caché qu’il est possible de dégainer à tout moment. En tout et pour tout, il en existe cinq : voler la carte de l’adversaire, exclure un joueur adverse pendant deux minutes, un but compte double pendant une minute, s’accorder un penalty instantané ou encore une carte qui permet de choisir parmi ces quatre options.
Ce mélange entre un jeu de football Fantasy type MPG (Mon Petit Gazon), de l’e-sport et du foot traditionnel a pour but de dynamiser les parties au maximum. Une sorte de réinterprétation du foot à l’ère des réseaux sociaux comme l’analyse Jérémy Alarcon, Head of Esport & Gaming à l’agence de communication indépendante Seven, que nous avons pu interviewer.
« La Kings World Cup est dans la lignée d’événements comme le projet Eleven All Stars ou encore les deux éditions du GP Explorer de Squeezie. À savoir proposer un nouveau type de divertissement qui reprend des mécanismes du sport et de l’e-sport tout en s’appuyant sur la puissance communautaire de Twitch, de YouTube et de TikTok.
On le voit de plus en plus, l’avenir de ces réseaux sociaux et leur succès auprès des plus jeunes résident dans la fusion des univers. Ici, la Kings World Cup tente de séduire le plus grand nombre soit par la verticale du foot, soit par la verticale de la gamification d’un sport, soit par la verticale des créateurs de contenus, qui ont des audiences fidèles et particulièrement engagées. »
La Kings World Cup, une némésis créée par le foot ?
Depuis quelque temps, les générations Z et Alpha, soit celles qui devront remplir les tribunes dans les prochaines décennies, se détournent peu à peu du ballon rond. Oui, le football est en crise, pas d’un point de vue financier, certes, mais d’un point de vue sociétal. Selon une étude réalisée en 2021 dans sept pays, dont la France, par l’association européenne des clubs, à peine 30 % des 18-24 ans se considèrent comme des fans de ce sport.
En même temps, il est difficile de leur en vouloir. Entre l’hypermarchandisation de la discipline, les affaires de corruption à la Fifa et la tenue d’une coupe du monde au Qatar, ubuesque d’un point de vue environnemental, les valeurs de cette jeunesse semblent de moins en moins raccord avec le foot moderne.
Est-ce que le sport le plus populaire du monde est prêt à faire son autocritique ? Pas sûr, si l’on observe les guerres intestines qui l’agitent actuellement. Nous faisons ici référence au projet de Super League, porté par une poignée de présidents de clubs, qui vise à contrer le monopole de l’UEFA et de la Fifa.
Pourtant, si la mise en bière du sport le plus médiatique du monde est en cours, Gérard Piqué ne tire pas pour autant sur l’ambulance. Pour le créateur de la Kings World Cup, sa compétition n’a pas vocation à remplacer le foot, mais à le compléter.
D’autant qu’un dernier paramètre, hautement stratégique, différencie clairement ces deux pratiques. Entre les nombreux abonnements télé nécessaires pour pouvoir regarder tous les matchs et le prix de places au stade, le foot actuel n’est plus réellement un synonyme du mot populaire. De son côté, la diffusion de la Kings World Cup sera gratuite et proposera une multitude de contenus additionnels. Eux aussi, ils seront gratuits.
Finalement, cette première édition de la Kings World Cup pourrait être vue dans plusieurs années, voire décennies, comme l’étape fondatrice d’un nouveau paradigme dans le divertissement sportif. Un avis partagé par notre expert sur le sujet, Jérémy Alarcon.
« La Kings World Cup est un événement ponctuel qui va permettre de prendre le pouls de la situation dans plusieurs pays afin de lancer éventuellement par la suite des ligues nationales. Encore une fois, c’est une nouvelle forme de divertissement qui se sert des réseaux sociaux comme d’une caisse de résonance. Et on voit que cela marche déjà. Depuis deux mois, le streamer Amine réalise de grosses audiences autour de ce projet. Une Kings League prochainement en France ? Et pouquoi pas ? C’est en tout en cas l’ambition de Gérard Piqué. »
Pour rappel, la finale de la Kings World Cup aura lieu le 8 juin prochain. Si vous ne regardez pas ce match en direct, aucun souci à vous faire. En scrollant sur les réseaux sociaux quelques heures plus tard, il y a de grandes chances que le nom du vainqueur apparaisse sur votre feed.